RIVALITÉ PÈRE – FILS

En 1874 Julien se sent prêt. Les impressionnistes exposent chez Nadar et lui débute sa carrière de peintre au Salon. Il a 23 ans. Il présente un tableau au titre éloquent : Assassinat de Lepelletier de Saint-Fargeau par le garde, Pâris, le 20 janvier 1793 qui lui rapporte une médaille de troisième classe, valant à l’époque 250 francs-or. Malgré leurs divergences, il est intéressant de constater les intérêts communs du père et de son fils, puisque, cette même année, Edmond Le Blant publie dans le Correspondant : Lepeletier de Saint-Fargeau et son meurtrier. (Le père avec un « L » et le fils avec deux !)

Gravure sur le sujet – Le tableau de Le Blant a disparu.

« Je suis attiré, d’ailleurs, par le drame qui se passe à côté, sur la toile de M. Julien Le Blant.

Nous sommes le 20 janvier 1793, au palais ci-devant Royal, au restaurant Février.

Michel-Louis Le Pelletier de Saint-Fargeau, membre de la Convention, achève un modeste dîner lorsqu’un homme armé s’avance vers lui, en lui disant :

— N’es-tu pas Le Pelletier?

— Oui.

— Ancien président au Parlement de Paris?

— Sans doute.

— N’as-tu pas voté la mort du roi ?

— Oui, avec douleur, mais selon ma conscience.

— Eh bien reçois ta récompense !

Et d’un coup de sabre, il lui ouvre les entrailles.

L’assassin était Pâris, ancien garde du corps du comte d’Artois et garde constitutionnel de Louis XVI. Après son crime, il sortit si précipitamment du restaurant, qu’il se déroba aux poursuites. On ne le découvrit que quelques jours plus tard, dans une auberge de Forges-les-Eaux, et au moment où on allait l’arrêter, il se brûla la cervelle. » (Le Salon de 1874, Nestor Paturot)

L’adage dit qu’un fruit ne tombe jamais loin de son arbre. Les similitudes des destinées de Julien et de son père sont étonnantes. Tous deux ont perdu leur maman à la naissance. Tous deux ont été autodidactes dans le domaine qui les rendra célèbres. Tous deux vont recevoir la légion d’honneur. Tous deux vont marquer leur époque dans leurs domaines respectifs et laisser leur nom dans une série d’ouvrages …  Pourtant Julien et son père vont travailler chacun de son côté, sans jamais avoir collaboré dans un même livre. Edmond s’est-il opposé à la vocation artistique de son fils comme l’ont fait nombre de parents de peintres célèbres ? Julien en a-t-il voulu à un père fréquemment absent ? Etaient-ils simplement trop semblables ? Les réponses leur appartiennent, mais nous savons qu’une réconciliation a eu lieu en novembre 1880 sous le porche de l’église St-Honoré d’Eylau à Paris, le jour du mariage de Valérie, la demi-sœur de Julien, avec Adhémar Esmein.

UN REMBRANDT INCONNU

En 1892, la presse s’enthousiasme pour la découverte d’un Rembrandt inconnu. Il s’agit d’une huile sur bois de 111 par 174 cm, représentant Abraham recevant des anges à sa table qui appartenait à Madame Legrand, fille du dessinateur Aignan-Thomas Desfriches. Il a été découvert au Pecq, près du Vésinet, et acheté pour la modique somme de 4060 francs par un marchand de Paris, amateur de Rembrandt, M. Stéphane Bourgeois. Le tableau s’intitulait alors « Jésus et les disciples d’Emmaüs » (drôle de titre car Jésus est un vieillard sur le tableau !) et était considéré comme croûte. Estimé cent mille francs quelque temps plus tard, une guerre d’experts se déclencha afin de savoir si le tableau était ou non de Rembrandt, ou du moins en partie. Cette œuvre, conservée de nos jours à Rotterdam au Musée Boijmans Van Beuningen, est en fait d’un élève de Rembrandt : Arent de Gelder (1645-1727). Aux XVIIIe et XIXe s., les tableaux de Gelder ont souvent été pris pour des Rembrandt car ses tableaux paraissaient trop beaux pour être d’un autre que ceux du maître. C’est aussi l’avis un peu hâtif de Le Blant.

Le Rembrandt de Pecq

« Cher M. Bourgeois. Il est très facile pour moi de vous faire savoir tout ce que je pense de votre Rembrandt, tant discuté l’hiver dernier car je l’ai examiné, sans la moindre excitation, et mon opinion à ce sujet a été réglée dès le premier jour je l’ai vu. L’«Abraham divertit les anges » que vous avez acheté au Pecq est de Rembrandt par son exécution ainsi que par sa composition. Aucun autre que lui peut avoir peint cette œuvre, et je ne modifierai pas mon opinion tant qu’on ne m’aura pas présenté un autre peintre capable de composer un tel ce chef-d’œuvre. Un bon nombre de noms ont été avancés? Mais selon moi aucun d’eux n’est le bon. Comme tous ou la plupart des œuvres des maîtres, le tableau a été retouché à certaines endroits. Durant son long séjour en France, il a traversé de nombreuses péripéties et durant ces périodes perturbées, notre cher pays n’a pas eu plus égard pour les œuvres d’art que pour les personnes. Telle est, mon cher Bourgeois, mon opinion sincère, et, si vous pensez que mes compétences peuvent être de quelque poids, vous pouvez faire connaître mon jugement. Espérant vous voir bientôt, croyez-moi Bien à vous.

J. Le Blant. »

BARBEY D’AUREVILLY FÂCHÉ CONTRE LE BLANT

En 1886, Le Blant illustre d’un portrait-frontispice et de six eaux-fortes hors texte Le Chevalier des Touches de Jules Barbey d’Aurevilly pour la Librairie des bibliophiles. Collection Bibliothèque Artistique, imprimé par Jouaust et Sigaux.

Portrait de Barbey d’Aurevilly par Julien Le Blant

Pour son portrait, l’auteur se montre déjà très exigeant et il en fait part à son éditeur:

« Le portrait est bien comme esquisse, mais il faut le pousser vigoureusement au noir. Je n’aime que les portraits très foncés de ton. »

Lettre de Barbey d’Aurevilly à l’éditeur Jouaust

Critiques de l’époque

« C’est la première fois qu’il se trouve aussi richement habillé, et le costume est vraiment digne du personnage. Au mérite d’une exécution typographique des plus soignées vient se joindre le charme de ravissantes eaux-fortes gravées par Champollion d’après des compositions de Julien Le Blant, dont la suite des dessins pour Servitude et Grandeur militaires avait eu l’année dernière un si grand succès. C’était bien d’ailleurs à ce peintre attitré des scènes vendéennes qu’il fallait s’adresser pour interpréter l’épisode de la chouannerie si pittoresquement décrit par Barbey d’Aurevilly. Cet ouvrage, qui encore l’avantage de pouvoir être mis dans toutes les mains, sera certainement, cette année, le livre d’étrennes favori dans le monde des bibliophiles. » (Le Livre. Revue du monde littéraire 1886.)

« Le Chevalier des Touches, de Barbey d’Aurevilly, est peut-être, avec l’Ensorcelée, le meilleur roman de cet écrivain puissant et bizarre dont le talent frise parfois presque le génie, le seul aujourd’hui qui puisse créer et animer des figures capables de parler, d’aimer, de souffrir, de vivre, de mourir dans l’air héroïque.  Julien Le Blant, le peintre par excellence des scènes de l’histoire de la Vendée et de la chouannerie, l’auteur de la Déroute du Manset de la Mort de Charette a été justement et habilement choisi pour orner ce récit original de dessins qui font tableau, et ont, comme le texte, cette vie intense du roman taillé dans l’histoire avec des intuitions et des inventions à la Walter Scott. (Le Correspondant – Paris 1886.)

« Bref, comme Baudelaire poète, Barbey d’Aurevilly est de la classe des auteurs inillustrables. … Et maintenant, si nous exceptons Julien Le Blant, évocateur précis du Chevalier des Touches, et André Mare, paysagiste à l’âme profonde, qui a si bien exprimé le tragique d’une époque et le véritable visage du terroir et des ciels normands, nous ne rencontrons, à notre grand regret, que des talents bien peu caractéristiques qui ont manqué d’envergure pour peindre dignement la fresque aurévillienne. » (Pierre Mornand, les Cahiers aurevilliens N°5 – 3e année 1937)

« Nous signalerons d’abord, dans la Bibliothèque artistique et moderne, une édition du « Chevalier des Touches », l’œuvre la plus fine et la plus délicate de Barbey d’Aurevilly. C’est la première fois qu’il se trouve aussi richement habillé, et le costume est vraiment digne du personnage. Au mérite d’une exécution typographique des plus soignées vient se joindre le charme de ravissantes eaux-fortes gravées par Champollion d’après des compositions de Julien Le Blant, dont la suite des dessins pour « Servitude et Grandeur militaires » avait eu l’année dernière un si grand succès. C’était bien d’ailleurs à ce peintre attitré des scènes vendéennes qu’il fallait s’adresser pour interpréter l’épisode de la chouannerie si pittoresquement décrit par Barbey d’Aurevilly. Cet ouvrage, qui a encore l’avantage de pouvoir être mis dans toutes les mains, sera certainement, cette année, le livre d’étrennes favori dans le monde des bibliophiles. Le prix de ce volume hors ligne est de 27 fr. 50. » (Le Livre)

L’Illustrateur tout indiqué était M. Julien Le Blant qui est arrivé, comme on le sait, à une réputation de spécialiste, en dessinant et en peignant des chouans. Ii s’est donc appliqué à rendre visibles l’incident de la foire de Bricquebec, la capture de des Touches, le mariage d’Aimée, l’évasion de la prison de Contances, le meurtre du Moulin-Bleu, le départ en barque. Il est presque inutile de dire que les détails des costumes et les détails de mise en scène sont exacts.  Mais il faut louer le joli arrangement du mariage devant les épées croisées, et la très juste expression de rage froide que le dessinateur a su marquer sur la physionomie du chevalier des Touches, dit la Guêpe. » (Gustave Geffroy – La Justice 29 novembre 1886)

« Cet ouvrage si attachant a encore le mérite de pouvoir être mis dans toutes les mains.  La nouvelle édition est, d’ailleurs, attrayante à tous égards. Au mérite d’une exécution typographique des plus soignées vient se joindre le charme de très belles eaux-fortes, gravées par Champollion d’après des composition de Julien Le Blant, dont la suite de dessins pour Servitude et Grandeur militaires a eu l’année dernière un si grand succès. C’était bien d’ailleurs, au peintre attitré des scènes de la Vendée qu’il fallait demander l’interprétation de cet émouvant épisode do la chouannerie. » (Le Constitutionnel 12 janvier 1887)

L’auteur est furieux

Alors que la critique et les inconditionnels de d’Aurevilly sont unanimes à saluer le travail de Julien Le Blant, illustrateur reconnu pour ses connaissances du monde des chouans, l’auteur du Chevalier des Touches, est fou de rage en découvrant l’ouvrage. Il est intéressant de constater que les deux créateurs, compétents dans leur domaine respectif, ne se font pas la même représentation mentale de ces événements vécus un siècle auparavant :

« Le 3 janvier 1887

A Madame de Bouglon

Ma très chère âme,

Vous avez dû recevoir le jour même de l’An (je l’avais calculé) un exemplaire du roman que vous préférez (le Des Touches l’édition de Jouaust). C’était là mes pauvres étrennes. Comme je l’ai écrit sur la première page, l’édition est belle, mais les illustrations sont misérables. J’avais cru pourtant que celui qui est venu humblement me demander de les faire les ferait bien, mais il n’en a rien été. C’est Le Blant, peintre de talent qui se recommandait à moi justement par deux tableaux chouans, la Mort de Charette et un vieux chouan racontant la guerre qu’il a faite à son petit-fils, en lui montrant le champ de bataille, qui est une lande, dans laquelle il a fait le coup de fusil contre les Bleus. Ce Le Blant, que j’avais rencontré dans le monde et qui de manières, est très bien, m’avait paru avoir assez d’enthousiasme intelligent pour le Des Touches et il m’avait séduit, mais baste! Tous ces gaillards d’artistes qui ont une vanité de tous les diables, ne croient qu’en eux et vous interprètent sans venir vous demander, à vous qu’ils illustrent, le moindre conseil. Aussi entassent-ils sottise sur sottise. Ce Le Blant m’a fait des chouans d’opéra-comique. Il les a bottés en bottes à revers, poudrés et en habit à la française, eux, les chouans, à peau de biques, à grand chapeau, à couverture à cuves et à mouchoirs noués derrière les oreilles, ces guerillas, ces catérans qui se battaient et couchaient la nuit, à la belle étoile, comme des chats-huants ! II est impossible d’être plus faux et plus bêtement faux… Quant aux situations, il a toujours été à côté quand il ne les a pas ridiculement manquées. Somme toute, son interprétation fait pitié. C’était si simple de venir me demander ce qu’il ne savait pas, mais l’orgueil lui a mis son carcan comme à une oie et il n’a pas passé la haie et il est resté pataugeant dans le fossé ! C’est à faire devenir fou un homme aussi violent que moi !… Il m’a presque dégoûté de mon livre ou du moins, il y a ajouté pour moi une horrible sensation. Si vous faites relier le volume, arrachez-en, je vous le conseille, toutes ces saloperies de rapin et jetez-les au feu ! C’est tout ce que cela mérite, le feu ! …Jules Barbey d’Aurevilly »

On peut difficilement reprocher à Julien Le Blant son manque de documentation sur ce sujet qui le passionne depuis des années. En 1891, dans un article de la Revue de Bretagne et de Vendée, il répond à une question concernant les costumes des soldats vendéens :

« En règle générale, on peut affirmer que les chefs de la grande armée n’eurent aucun uniforme ; c’est l’avis d’un artiste de talent très consciencieux et très connu, M. Maurice (!) Le Blant, le dessinateur des Chouans et le peintre de deux toiles célèbres : la « Mort de d’Elbée » et l’« Exécution de Charette ». M. Le Blant motive son opinion dans une lettre qu’il m’écrivait, il y a quelque temps, et qu’il ne m’en voudra pas de reproduire en partie : Si l’on me demandait mon avis sur le costume de guerre des généraux vendéens, je dirais, en m’appuyant sur Mme de la Rochejaquelein, qu’ils devaient être très mal accoutrés: Ce qu’ils pouvaient porter ? Leurs costumes de chasse ; et, ceux qui avaient servi, leurs costumes d’officiers de marine ou de l’armée de terre sous Louis XV et Louis XVI. Charette a certainement porté son costume d’officier de marine avant d’adopter les costumes fantaisistes sous lesquels on le représente. Quand j’ai préparé l’ « Exécution de Charette », j’ai trouvé à la Contrie, chez le général, un mauvais dessin, légèrement enluminé, représentant Charette le jour de son exécution. Une note à la plume est écrite sous le dessin, et celui qui l’a rédigée dit avoir vu le général du Bas-Poitou au moment suprême. Charette, détail imprévu, portait une veste de chasse. C’est le costume que j’ai reproduit dans mon tableau. »

EXPO UNIVERSELLE DE CHICAGO 1893

Le Blant invité à représenter la France

À cette époque où les impressionnistes sont bien installés et où l’art nouveau émerge, Julien Le Blant est encore sélectionné pour représenter la France. Il présente son dernier tableau : Le Retour du Régiment et le catalogue officiel est élogieux à son sujet dans son chapitre consacré à l’art de la France.

L’exposition universelle de 1893, officiellement Columbian World’s Fair ou World Columbian Exposition, aussi connue comme la foire mondiale de Chicago, est une exposition universelle qui se tient du 1er mai 1893 au 3 octobre 1893 à Chicago dans l’Illinois. Elle a lieu pour le 400e anniversaire de l’arrivée de l’explorateur Christophe Colomb dans le Nouveau Monde. L’exposition attira 27 millions de visiteurs en 1893.

Plusieurs grandes villes américaines sont candidates pour accueillir l’exposition, mais Chicago bat sans mal ses trois principales rivales, qui sont New York, Washington D.C., et Saint-Louis dans le Missouri. La foire a un effet novateur sur l’architecture de Chicago, les arts, et l’industrie américaine. L’exposition est en grande partie conçue par l’architecte et directeur des travaux Daniel Burnham et le paysagiste Frederick Law Olmsted. Elle est conçue pour suivre les principes conceptionnels des Beaux-arts, à savoir les principes d’architecture classique européenne basés sur la symétrie et l’équilibre.

L’exposition s’étend sur un territoire de 2,4 km2, comprenant près de 200 nouveaux bâtiments de style architecture classique, ainsi que des parcs, des canaux et des lagunes. Plus de 27 millions de personnes (l’équivalent d’environ la moitié de la population américaine à l’époque) participent à l’exposition au cours des six mois d’ouverture. Son ampleur et sa grandeur de loin dépassent les autres foires mondiales, et elle est devenue un symbole de l’émergence de l’American exceptionalism, de la même manière que l’Exposition universelle de 1851 est devenue un symbole de l’époque victorienne au Royaume-Uni. Elias Disney, le père de Walt contribue à la construction de certains bâtiments de la foire.

Le directeur de l’Académie américaine de Rome, Francis David Millet, réalise de grandes fresques murales sur certains des bâtiments. En effet, l’exposition est un lieu privilégié pour les arts et l’architecture de la « Renaissance américaine », et elle présente le foisonnement des styles néoclassique et Beaux-arts. Cela a mis à bas le développement de l’école de Chicago, et un retour au pastiche. Durant 20 ans, on a vu des gratte-ciels gothiques s’élever, choquant autant par leur anachronisme que par leur dépaysement géographique.

MÉDAILLE D’OR À L’EXPO UNIVERSELLE 1885

Exposition universelle Anvers 1885

L’Exposition universelle de 1885, également connue sous le nom de Wereldtentoonstelling van Antwerpen, est une Exposition internationale qui s’est tenue à Anvers, en Belgique, entre le 2 mai et 2 novembre 1885. Elle avait une superficie de 220 000 m2, a accueilli 3,5 millions de visiteurs. Il y a officiellement 25 nations à avoir participé, incluant : l’Allemagne, l’Autriche, le Canada, l’Empire ottoman, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne, le Portugal, la Serbie, le Royaume de Roumanie, les États-Unis ainsi que plusieurs États d’Amérique du Sud.

L’événement a pris place 20 ans après l’accession de Léopold II au trône de Belgique, et la même année de la création de l’État indépendant du Congo, la foire fut la première à avoir eu un village congolais, élément qui a également été présent lors de l’Exposition internationale de Bruxelles de 18975. Elle fut aussi le lieu de présentation de la première montre 24h réalisée par Jean Joseph Lacoppe, un wallon né en 1840 à Stavelot et installé à Liège par la suite.

Médaille d’or et légion d’honneur pour Le Blant

Le 15 août 1885, Julien Le Blant est récompensé par une médaille de 1ère classe, pour son Bataillon Carré, présenté lors de cette exposition universelle d’Anvers. À la suite de cette distinction, le 29 décembre, il est fait chevalier de la Légion d’honneur à Paris 8e sur recommandation du peintre Ferdinand Heilbuth. 

LE SALON ET LA SOCIÉTÉ DES ARTISTES

La Société des artistes français est une association loi de 1901 instaurée en 1881 par Jules Ferry, notamment pour gérer le Salon des artistes français, une exposition annuelle succédant au Salon de l’Académie des beaux-arts, héritière de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Le 27 décembre 1880, Jules Ferry demande aux artistes admis une fois au Salon de constituer la Société des artistes français, héritière du Salon créé en 1663 par Colbert. En 1881, la Société des artistes français reçoit la mission d’organiser en lieu et place de l’État, l’exposition annuelle des Beaux-Arts. En 1883, le palais de l’Industrie est mis à disposition des artistes pour 1 franc symbolique.

Delacroix, Ingres, Manet, Rodin, Claudel, Bartholdi, Dufy, Picabia entre autres en furent sociétaires.

En 1881, elle prend le nom de Société des Artistes Français. L’Etat lui délègue le soin d’organiser une exposition annuelle des Beaux-Arts et la charge de s’administrer elle-même.

En 1883, un décret paru au journal officiel la déclare « d’Utilité Publique ».

Depuis 1901, le Salon a lieu tous les ans à Paris sous la nef du Grand Palais des Champs-Elysées qui a remplacé le Palais de l’Industrie démoli pour l’Exposition universelle de 1900.

La Société des Artistes Français existe toujours et compte plusieurs centaines d’adhérents auxquels s’ajoutent tous les ans plusieurs centaines d’exposants au moment du salon.

Salon de 1890

Julien Le Blant au comité

La Société des artistes français est composée d’un bureau élu par le comité. Les sociétaires élisent les membres du comité et un jury pour chaque section. Le jury est élu pour trois ans parmi les sociétaires médaillés d’or. Julien Le Blant est élu en 1891 comme membre du Comité.

En 1893 il est élu pour 3 ans comme membre du jury de peinture.

En 1899 il est élu comme membre du jury de peinture.

En 1900 il est élu comme membre du Comité.

Sous les présidences de 

1891 : Léon Bonnat

1896 : Édouard Detaille

1900 : Jean-Paul Laurens

1901 : William Bouguereau

Les médailles d’honneur, de 1re classe, 2e et 3e classe ont été instituées dans un souci d’encouragement aux artistes et sont attribuées par le jury pendant chaque Salon dans les cinq sections : peinture, sculpture, gravure, architecture, photographie. Depuis 1946, elles deviennent des médailles d’or, argent et bronze. La médaille d’honneur récompense l’ensemble d’une œuvre.

Les médailles sont éditées par la Monnaie de Paris et gravée par des sociétaires graveurs en médailles.

En bas à gauche, « la mort du général d’Elbée » par Le Blant au salon de 1878.

Le salon officiel

Mais pourquoi ce fameux Salon attirait tant Julien Le Blant et ses condisciples au point de passer une partie de l’année à préparer une toile pour cet événement ? Les Salons ont connu pendant près d’un siècle, approximativement de 1750 à 1850, et surtout de la Restauration à la Troisième République, un véritable âge d’or.  Le Salon officiel était un des événements mondains les plus courus de la vie parisienne au 19e siècle. Il durait deux ou trois mois, cristallisait l’intérêt de l’opinion et attirait un immense public (500 000 entrées en 1876, 50 000 visiteurs certains dimanches). Les organisateurs recevaient pour cette exposition annuelle parfois plus de quatre mille œuvres dont la moitié était souvent refusée. Les tableaux étaient accrochés sur plusieurs niveaux et les meilleures pièces n’étaient pas forcément les mieux présentées. Des médailles étaient distribuées à la fin du salon par un personnage important, parfois le chef de l’état. Ce jeu des récompenses, mentions, médailles, décorations qui marquent tout au cours des Salons une carrière réussie, explique la place que les artistes lui accordent. Le tableau du Salon est la grande affaire, à lire Balzac et Zola, de la vie du peintre et son meilleur revenu. Avec Courbet, qui ouvre sa propre exposition en 1855, puis avec le Salon des Refusés en 1863, le Salon officiel et ses critères d’acceptation a été fortement remis en question. Pourtant le passage par cette manifestation semblait incontournable comme le disait Renoir à Durand-Ruel en 1881:

« Il y a dans Paris à peine quinze amateurs capables d’aimer un peintre sans le salon. Il y en a 80 000 qui n’achèteront même pas un nez si un peintre n’est pas au Salon. Voilà pourquoi j’envoie tous les ans deux portraits, si peu que ce soit. De plus, je ne veux pas tomber dans la manie de croire qu’une chose ou une autre est mauvaise suivant la place. En un mot, je ne veux pas perdre mon temps à en vouloir au Salon… »

LE SALON DES AQUARELLISTES

En 1882 le peintre est admis à la Société des Aquarellistes français, et participe à leur 4e exposition. Il présente quatre œuvres : Le Déjeuner, Les Réfractaires, L’Émigré et Les Vedettes. La cote du peintre est évidente puisque les tableaux ont été achetés avant l’exposition par Adolphe Beugniet, qui fut, avec Durand-Ruel et Georges Petit, l’un des principaux promoteurs de l’art moderne et notamment de quelques peintres impressionnistes.

L’émigré – catalogue du salon des Aquarellistes 1882

« Julien Leblant n’a envoyé que quatre tableaux ; mais quels tableaux ! Toute la vieille Vendée sauvage tous les chouans sont là sur leur rude terre bretonne. L’Émigré est très saisissant. C’est un noble auquel on ménage la fuite. Il est drapé dans un manteau sombre, comme dans la statue de Chateaubriand ; sa tête est baissée sous l’amertume. Quatre paysans armés l’accompagnent à travers un pays perdu, parmi les landes de genévriers qui avoisinent la mer. Un vent violent chasse l’émigré loin de ce rivage qu’il a tant aimé. Grande pensée, composition superbe. Et cette longue bande de Réfractaires vendéens que les soldats de la République poussent devant eux, comme les sbires du tzar chassent les convois de transportés en Sibérie ; comme c’est morne et beau ! » (L’Art populaire)

« Le débutant de cette année est M, Julien Le Blant, le peintre des Chouans. Ce jeune maître, de trente ans à peine, a fait une entrée triomphale. M. Julien Le Blant a visiblement soigné et travaillé les aquarelles envoyées rue de Sèze. Il a fait comme ces jeunes compagnons d’autrefois qui n’obtenaient de porter ce titre qu’après leur « chef-d’œuvre ». Les ouvrages qu’il expose sont.de véritables chefs-d’œuvre. Ses Soldats républicains conduisant des réfractaires bretons, sa Vedette vendéenne à cheval et son Emigré débarquant, par un vent terrible, accompagné par trois gars solides enfonçant contre le vent leurs chapeaux sur leur front têtu, font un superbe effet. On songe tout de suite au débarquement de Lantenac, dans le Quatrevingt-Treize de Victor Hugo, à l’aspect de ce bout de mer, si lumineux avec sa bande d’écume sous un ciel sinistre, à la vue de cette grève avec ces hommes debout allant fièrement au-devant du danger.

La Vedette, plantée dans une herbe verte et haute parsemée de fleurettes, rappelle, au contraire, arec ses larges braies, la silhouette hautaine de quelque cavalier de la vieille Gaule. Nous ne saurions trop louer la composition si curieuse, si nouvelle, vraiment trouvée, des Réfractaires. Ces hommes vus de dos, qu’escorte un détachement de fantassins, coiffés du feutre de grenadier ou du casque à chenille des chasseurs, et que regardent, avec une pitié touchante, deux pauvres femmes, forment un tableau d’une impression saisissante. Que dire du paysage, sinon qu’il est admirablement rendu, admirablement vrai, preuve, pour nous certaine, que M. Le Blant a rapporté de Bretagne ces études où il place ainsi les drames qu’il veut peindre ? En résumé, il y a, dans les aquarelles exposées par M. Le Blant, un tempérament personnel, un dessinateur de premier ordre et un coloriste d’une clarté séduisante. » (Le Panthéon de l’Industrie.)

Cour de ferme – aquarelle de Julien Le Blant.

Le salon des aquarellistes

« On est généralement porté à croire que l’exemple des peintres britanniques créant en 1804 la Society of painters in water colours, ou bien celui des aquarellistes belges associés à partir de 1866 durent amener quelques artistes parisiens à s’entendre pour fonder, en 1879, la Société d’aquarellistes français. Il n’en est rien cependant. Cette société a une autre origine. Fortuny fit un voyage en France vers 1867; il apportait d’Italie et d’Espagne un grand nombre d’aquarelles; familièrement, il les montra à un cercle de confrères réunis à la campagne, à Montmorency, et Vibert, Detaille, Worms, Lambert, Louis et Maurice Leloir admirèrent tout d’une voix, l’esprit, l’éclat, qui distinguent le talent du peintre espagnol. En même temps ils comprirent les ressources d’un art charmant mais délaissé parmi nous, auquel eux-mêmes n’avaient pas songé sérieusement encore. Le goût de la peinture à l’eau leur vint alors ; et comme ils étaient gens fort habiles, en peu de temps, sans beaucoup d’efforts préparatoires, sans beaucoup d’études spéciales, ils avaient pénétré les derniers secrets techniques du genre. Ils envoyèrent de leurs aquarelles au Salon. Mécontents de l’installation défectueuse des salles réservées aux dessins, ils prirent le parti de se concerter, et les bases de la Société des aquarellistes français ne tardèrent pas à être posées, examinées, arrêtées. La société fut créée au capital de 40 000 francs, pouvant être augmenté, divisé en vingt actions, et le nombre des sociétaires fixé à vingt, chacun devant posséder une action. L’exposition publique des aquarelles des sociétaires étant le but principal de la société, un article des statuts interdisait aux sociétaires d’exposer de leurs aquarelles ailleurs qu’au siège de la société sous aucun prétexte, dans aucune circonstance. En 1884 s’organisa pour la dernière fois l’exposition des aquarellistes français dans le local de la rue Laffitte, n° 46, trop étroit pour permettre le développement de la société ; mais aussitôt la galerie Petit, rue de Sèze, construite et agencée, la société se hâta d’en assurer la jouissance à ses expositions ; et, en même temps, porta à 80 000 F son capital et le nombre des membres titulaires à quarante. Supérieurement aménagées, toujours intéressantes par le choix des ouvrages qu’elles rassemblaient, riches en pièces hors de pair, les expositions de la société étaient très recherchées du public. On a vu cependant la société dévier de son but, et modifier son caractère spécial en admettant, à partir de l’exposition de 1884, d’autres ouvrages que des aquarelles. » (Olivier Merson.)

Un groupe fermé ?

La Société des aquarellistes français ouvre, ce soir pour les invités et demain pour le public, sa septième exposition à a galerie George Petit, 8, rue de Sèze. Partie d’une boutique de la rue Laffitte, la Société est devenue peu à peu une des associations artistiques les plus importantes de Paris; elle compte au nombre de ses membrés des peintres considérables : elle a tenu la curiosité publique en éveil par une série d’expositions plus ou moins bien venues, mais toujours curieuses, et s’il m’est arrivé parfois de guerroyer, contre les aquarellistes, c’est contre l’organisation défectueuse de leur Société que les attaques étaient dirigées: II m’avait semblé que la camaraderie tenait dans les admissions nouvelles une place plus large que l’esprit de justice et d’équité. Les vingt membres fondateurs de la Société paraissaient établir en principe l’étrange parti-pris de former un cercle privé d’où un caprice pouvait bannir des peintres doués et même des maîtres aquarellistes, sous prétexte qu’ils n’avaient pas l’agrément personnel de tel ou tel des fondateurs. Rien ne pouvait être plus grave pour la Société que ces agissements ; elle se condamnait par cela même à la monotonie de ses Salons dans le retour annuel des mêmes hommes et des mêmes notes d’art. Les expositions ne peuvent demeurer intéressantes qu’à la condition de nous apporter quelques surprises, la venue d’un maître nouveau ou l’éclosion d’un jeune talent inconnu, enfin, cet imprévu qui est la base de la vie tout entière et que les associations d’artistes ne peuvent pas dédaigner sans se condamner, à tourner éternellement dans le même cercle. La Société d’aquarellistes, je lui rends volontiers cette justice, s’est amendée depuis quelques années ; elle a, peu à peu, renoncé à son fâcheux exclusivisme ; elle a ouvert son sein à des membres nouveaux ; dans le groupe d’aquarellistes il y a peut-être quelques esprits enclins à une certaine autocratie, toujours fâcheuse dans les questions d’art; mais comme ce ne sont pas des imbéciles, ils ont fini par comprendre l’intention véritable du journaliste en qui, bien à tort, on a voulu voir un ennemi là où, en réalité, il n’était qu’un passionné de l’art; il prenait souci de l’Association des aquarellistes et de son avenir et rien que par esprit de justice, il combattait les abus d’un groupe de peintres et non leurs efforts, auxquels nous avons toujours applaudi. (Le Figaro 2 février 1885)

Une publication annuelle décidée en 1888

La Société des Aquarellistes français est aujourd’hui une institution. Elle compte dans son sein les artistes les plus divers et les plus raffinés. Elle tient dans les préoccupations du public et des amateurs la place d’un Salon; Salon plus discret, plus concentré que celui des Champs-Elysées, mais non moins intéressant.

Or, nous voulons fonder une publication annuelle sous le titre : Le Salon des Aquarellistes français.

Catalogue des Aquarellistes 1885

Cette publication contiendra une monographie humoristique et critique sur chaque peintre, par M. Eugène Montrosier, et la reproduction par la photogravure de plusieurs œuvres de chaque exposant.

La Société des Aquarellistes nous a accordé le privilège de cette publication, et tous nos efforts tendront à nous en rendre digne.

Le Salon des Aquarellistes français formera un charmant volume format in-8 colombier divisé en vingt fascicules contenant cinq ou six sujets en photogravure formant en-tête, planches hors texte, et culs-de- lampe. Nous apporterons la plus grande variété dans le choix et la distribution des sujets.

Avec le dernier fascicule, une très jolie couverture en fac-similé d’aquarelle sera offerte à tous les souscripteurs à l’ouvrage complet.

Couverture du catalogue 1888

L’exposition de février 1889

La Société dite d’aquarellistes français, inaugure aujourd’hui même sa onzième exposition. Les temps vont vite, car il nous semble que c’est hier à peine qu’on voyait poindre à l’horizon, dans un petit rez-de-chaussée de la rue Laffitte, cette association d’artistes qui était destinée à devenir une des plus brillantes. On peut dire que c’est la Société des aquarellistes français qui mit à la mode ces soirées d’ouverture où le tout Paris élégant se faisait gloire de se donner rendez-vous. Bientôt la rue Laffitte ne fut plus assez large pour contenir les affluences qui avaient à cœur d’augmenter l’éclat des « premières » des aquarellistes. On quitta le rez-de-chaussée du début et l’on passa rue de Sèze, où l’on élut domicile définitivement dans les brillantes galeries de M. Georges Petit. On se rappelle encore les soirées d’ouverture où, la grande salle de la rue de Sèze étant trop petite pour contente la foule, les curieux se pressaient sur les marches de l’escalier, attendant leur tour de voir… le dos de ceux qui avaient la rare bonne fortune d’approcher la cimaise. Le catalogue reste ce qu’il avait été dès le début, un joli livre, élégamment illustré, avec sur la couverture un cartouche style japonais, dont chacun voulait faire montre sur un guéridon de son salon. Aujourd’hui, comme les années passées, ce catalogue a tout ce qu’il faut pour flatter les amours-propres, Dès la première page on lit les noms des membres de la Société des aquarellistes, membres honoraires et membres titulaires. (Le Temps 3 février 1889)

Un déclin après 1900 ?

« On s’écrasait, l’autre jour, à l’inauguration du petit Salon des Aquarellistes. Il fallait prendre la file pour avoir le droit de regarder, une seconde, les cavaliers de Georges Scott, la Psyché, de Guillaume Dubufe, ou bien, encore, l’énigmatique Salomé, de Maurice Ray. Cette cohue est de règle aux Aquarellistes Français. C’est une habitude prise dès leur apparition, il y a un quart de siècle. Vibert et Detaille venaient de grouper les maîtres de l’aquarelle, et leur première exposition — qui réunissait des oeuvres de Gustave Doré, de Baron, de Français, d’isabey, d’Alphonse de Neuville, d’Eugène Lami, et dont Alexandre Dumas fils avait voulu se faire le parrain, — fut toute une révélation. Jamais nos peintres ne s’étaient montrés aussi à l’aise que dans ce genre de peinture léger et familier. Du premier coup, ils rivalisaient avec les artistes anglais, en verve, en limpidité et en invention aussi.  Ils avaient tout pour eux : l’imprévu, le relief, la couleur. Pendant quinze ans, les Aquarellistes semèrent des merveilles. Adrien Moreau, Emile Adan, Victor Gilbert, Julien Le Blant, leur apportèrent le renouveau d’un talent plein de sève ; Lhermitte et Duez (un maître charmant, trop tôt parti) leur donnèrent le meilleur d’eux-mêmes. Ce fut, pour l’aquarelle, une époque héroïque. Puis, l’œuvre du début, alerte et prime-sautière, fit place à l’œuvre «ficelée», travaillée comme une page de missel, chère aux bibliophiles et à ce genre d’amateur qui ne voit rien au delà du fini ou ne comprend le talent que s’il est, comme lui, tiré à quatre épingles. Aujourd’hui, l’aquarelle est quelque peu déchue ; mais on continue à lui faire fête. Combien sont-ils, ceux qui restent fidèles aux belles formules de jadis et qui, pour peindre une joue en fleur ou la dentelle d’un feuillage, n’empruntent pas au miniaturiste ses procédés longs et patients ? Dix ou douze au plus. » (Léon Plée – Les Annales politiques et littéraires – 5 mars 1905)

« Pendant quinze ans, les Aquarellistes semèrent des merveilles. Adrien Moreau, Emile Adan, Victor Gilbert, Julien Le Blant, leur apportèrent le renouveau d’un talent plein de sève ; Lhermitte et Duez (un maître charmant, trop tôt parti) leur donnèrent le meilleur d’eux-mêmes. Ce fut, pour l’aquarelle, une époque héroïque. Puis, l’œuvre du début, alerte et primesautière, fit place à l’œuvre ficelée, travaillée comme une page de missel, chère aux bibliophiles et à ce genre d’amateur qui ne voit rien au-delà du fini ou ne comprend le talent que s’il est, comme lui, tiré à quatre épingles. Aujourd’hui, l’aquarelle est quelque peu déchue ; mais on continue à lui faire fête. » (Les Annales politiques et littéraires – mars 1905)

LA MORT DU JULIEN LE BLANT

En début d’année 1936, la santé du vieux peintre devient de plus en plus chancelante et il est hospitalisé du 3 au 6 janvier 1936. Sa femme écrit à François Guiguet:

Tous ces temps-ci j’ai été tellement bouleversée que je n’ai pas eu le courage d’écrire. Mon mari est entré à la clinique vendredi et samedi on lui a fait une ponction. Il a été très courageux. Il n’a pas voulu qu’on l’endorme. Tout s’est admirablement passé. Nous sommes entrés à la maison hier lundi et aujourd’hui je devais changer le pansement, il n’y avait rien, de plus le trou s’est fermé. Il n’a pas eu un seul jour de la température, c’est vous dire, mon Cher Ami, combien je suis heureuse de ce résultat. Il peut reprendre sa vie à la condition de ne pas se fatiguer. » (Paris 8 janvier 1936)

« Mon Cher Ami,

Julien Le Blant meurt le vendredi 28 février à 11 heures, à son domicile Avenue Duquesne 13 à Paris.

Lieu de décès. Av. Duquesne 13 à Paris.
Acte de décès de Julien Le Blant

Le lundi 2 mars, la messe de sépulture a lieu en l’église St-Pierre du Gros-Caillou (92 rue St-Dominique)

Son inhumation a lieu au cimetière de Montmartre dans une sépulture sise 8 avenue du tunnel – 25ème division – 8ème ligne. Sur sa tombe figure cette plaque de marbre

Julien Le Blant ne repose pas au côté de sa mère, mais avec son grand-père Pierre-André Le Blant et son arrière-grand-mère Sabine Bourdot (ou Bourdon) veuve d’Edme François Le Blant (1765-1841). Le tombeau de famille a été édifié en 1856 et est aujourd’hui à l’abandon. La ville de Paris l’a exproprié et il sera vraisemblablement détruit.

Tombe du peintre
Registre du cimetière de Montmarte

Après la mort de Julien, Marie Le Blant avait envoyé cette lettre à leur ami le peintre Guiguet :

« Mon Cher Ami,

Jamais je ne saurai vous en vouloir, je sais trop combien vous êtes triste de la mort de mon pauvre Julien, car vous l’aimiez comme un frère, il vous le rendait. Il vous admirait en tout, il aimait chez vous votre art et l’ami délicieux que vous êtes. Je tiens à vous dire que je partage absolument ses sentiments. Quand vous viendrez à Paris je serai heureuse de vous revoir et de causer de ce Cher Ami. Il est mort dans mes bras ; sa dernière parole a été pour me dire « Ma petite Marie chérie ». Le docteur était près de moi et a tout fait, mais le cœur a flanché. Je lui ai fait un enterrement simple comme lui, j’ai voulu que cette cérémonie soit pour lui et non pour le public. Vous comprenez cher Ami mon sentiment. Il a eu beaucoup d’amis, et ceux qui n’ont pas pu venir l’ont suivi par la pensée jusqu’à sa dernière demeure. Lui qui aimait tant la lumière !!! il a eu un soleil si beau que j’étais heureuse pour lui.

Mon Cher Ami ; maintenant c’est fini, je vivrai de souvenirs et rien ne sera plus doux que de revoir des amis comme vous, qui ont aimé le grand Artiste si simple, et l’ami si bon, si droit et si captivant.

Recevez, Mon Cher Ami avec tous mes remerciements, mon affection la plus amicale. »

(Marie Le Blant – Paris, mars 1936)

Après la mort de son mari, Marie Le Blant retourne dans sa région natale du Sud-Ouest. Elle s’éteint à l’âge de 84 ans, à Bayonne le 18 décembre 1960.

Faire-part de décès.

LE BILLET DE LOGEMENT

Huile sur panneau 1890 (57 x 38 cm)    

Figaro-Salon 1890 p.47 – vente New-York 1911 – Vendu par Silla Fine Antiques en 2014

L’année 1890 est celle de la scission entre la Société des artistes français et la Société nationale des beaux-arts. A Paris trois salons ouvrent leurs portes à un public quelque peu désorienté : Les Indépendants exposent du 20 mars au 27 avril au Pavillon de la Ville de Paris, la Société des Artistes français du 1er mai au 30 juin au Palais des Champs-Elysées et la Société nationale des beaux-arts, du 15 mai au 30 juin au Palais des beaux-arts du Champ-de-Mars. C’est aux Champs-Elysées que Le Blant accroche Le Billet de Logement.

Le billet de logement est un acte administratif, délivré par le maire d’une commune, qui enjoint à un habitant de cette commune de loger des militaires de passage, et parfois leurs chevaux. Il peut aussi les obliger à les nourrir et les entretenir.

Il permet ainsi à des militaires d’être logés temporairement si la ville ne dispose pas de caserne pour les accueillir. Cette pratique vaut aussi en temps de paix, lors des manœuvres, etc. Il est très utilisé pour réquisitionner les logements pour les nombreux mercenaires étrangers de l’armée napoléonienne qui avaient « un nom à coucher dehors », d’où l’expression « à coucher dehors avec un billet de logement ». Cette pratique n’est pas spécifiquement française : elle s’observe dans d’autres pays.

Il s’agit d’un travail exceptionnel en huile sur panneau dépeignant avec des couleurs vives et des détails parfaits une paire de soldats livrant un billet à un compatriote.  Les deux soldats semblent épuisés, sales et transpirant, alors qu’un vieil homme prend connaissance du document.  L’arrière-plan s’estompe, laissant place aux maisonnettes du village et au sentier sinueux sur lequel des poulets se promènent librement. Au premier plan les trois figures sont absolument nettes, vivantes et expressives.  Tous les détails sont saisis avec justesse, des boucles d’oreilles aux traits marqués du vieux civil aux jambes boueuses des soldats.

« M. Julien Le Blant n’a plus consacré son pinceau aux hauts faits des chouans ; il a bien fait, car son Billet de logement est un tableautin où un petit incident des guerres héroïques de la Révolution est reproduit avec une finesse et un esprit de bon aloi. » (La République française 12 mai 1890)

LE COMBAT DE FÈRE-CHAMPENOISE

Huile sur toile 260 x 380 cm

Présenté au salon 1886, hors concours et acheté par l’Etat. Ce tableau a pris place pendant quelques années dans le salon précédant le cabinet du président de la République avant d’être transféré en 1908 au musée de Troyes.

Localisation actuelle : Musée des Beaux-Arts de Troyes

Sujet

La bataille de Fère-Champenoise qui s’est déroulée le 25 mars 1814 a opposé l’armée française de Napoléon Ier et les armées de la Sixième Coalition durant la campagne de France. La bataille se solde par la défaite de l’armée française et ouvre aux troupes alliées la route de Paris.

Les Français se réorganisent

L’épisode raconté dans le tableau se déroule le 25 mars vers 14h30. L’armée française poursuit sa retraite. La cavalerie ennemie est à son tour stoppée par le ravin, ce qui fait gagner un peu de temps aux Français et leur permet de se réorganiser. Mais déjà la cavalerie de Pahlen débouche sur la gauche par Normée sur Fère-Champenoise et celle du Grand-duc déborde sur la droite par Vaurefroy. Une nouvelle charge sur le centre de la ligne désorganise l’armée française, qui ne forme plus qu’une immense colonne de carrés le long de la route autour de laquelle tournoient les cavaliers autrichiens et russes. La cavalerie française, totalement désorganisée est en partie au milieu des carrés français, en partie débandée en arrière de Fère-Champenoise où elle tente de se reformer. À ce moment, le 9e régiment de marche du colonel Leclerc (division Noizet) débouche de Fère-Champenoise, et par une charge vigoureuse parvient à dégager la colonne française. Les cavaliers ennemis se replient pour reformer leurs lignes.

Le 25, à six heures du matin, le maréchal Mortier, remonta la rive gauche de la Somme-Soude avec son avant-garde tandis que trois divisions de la garde se portaient sur Soudé-Notre-Dame. Le même jour, eut lieu le combat de la Fère-Champenoise, combat des plus malheureux, et qui fit craindre un instant la destruction entière de l’armée.

La charge de la cavalerie russe

L’engagement durait depuis sept heures du matin, et les maréchaux Mortier et Marmont se flattaient de gagner les hauteurs de la Fère-Champenoise en combattant, lorsqu’une affreuse giboulée vint augmenter l’embarras du mouvement rétrograde sur Connantray. La cavalerie russe, favorisée par cette averse qui fouettait le front de la ligne française, chargea les cuirassiers à peine reformés, les culbuta sur l’infanterie, et leur enleva deux pièces d’artillerie. Les divisions de la jeune garde n’eurent que le temps de se former en carrés; deux de la brigade Jamin furent sabrés et le général pris; ceux de la brigade Le Capitaine perdirent leur artillerie, et souffrirent beaucoup sans avoir été entamés. Pour surcroit de malheur, l’orage grossissait; il grêlait avec violence, aucune amorce ne prenait, et l’on ne pouvait faire usage que de la baïonnette. Dans cet horrible désordre, l’on ne se distinguait plus à trois pas, et deux fois les maréchaux se refugièrent dans les carrés pour ne pas être entraînés par les fuyards. Heureusement le temps peu à peu s’éclaircit; la bonne contenance des divisions Ricard et Christiani, de la garde, aux extrémités de la ligne, donna le temps à la cavalerie de passer le ravin de Connantray, et de se reformer de l’autre côté. A peine l’armée française fut-elle ralliée derrière Connantray, qu’où aperçut déboucher du ravin quelques coureurs, par l’effet du désordre qui existait depuis le commencement de l’action. Loin de chercher à les arrêter, artillerie, cavalerie, infanterie, tout s’enfuit pêle-mêle dans la direction de la Fère – Champenoise. La déroute était sur le point d’être complète, lorsqu’un renfort inespéré sauva l’armée.

Le 9e régiment de grosse cavalerie, commandé par le colonel Leclerc, déboucha de la Fère-Champenoise, au même moment où les troupes le traversaient. Sans hésiter, il marcha à la rencontre des escadrons légers des alliés, leur en imposa par sa fermeté, et facilita aux maréchaux le moyen de rallier leurs troupes sur les hauteurs de Lirthes.

Le sacrifice de Pacthod

Pendant que se déroulait cette scène pénible et désastreuse, à quelque distance avait aussi lieu une autre action, bien différente et digne de faire date dans l’histoire. Le général Pacthod se trouvait placé, à la tête d’un corps de 4,000 gardes nationaux de Sens et Montereau et de jeunes soldats à peine exercés au maniement des armes. Il soutint pendant six heures un combat sanglant à la Fère-Champenoise ce 25 mars. Ses six carrés de soldats en sabots et chapeaux furent accablés par les charges répétées de 20’000 cavaliers et les tirs d’artillerie de 100 canons des armées russe et prussienne. Ces nouveaux « Spartiates » assaillis de toutes parts, ces braves, désespérant de vaincre, voulurent du moins mourir avec honneur. Les deux souverains alliés, témoins de cette défense héroïque, convainquirent Pacthod, blessé au bras, et les 1400 soldats survivants de se rendre. Pacthod fut libéré en avril, après la chute de l’Empire.

Le tableau lors de sa présentation au salon de 1886

« Le « Combat de Fère-Champenoise », de M. Le Blant, est un épisode seulement de la grande bataille livrée par les généraux Mortier et Marmont aux armées coalisées. Quelques milliers de gardes nationaux commandés par le brave Pacthod, rompus par l’artillerie prussienne, sabrés par la cavalerie russe, poussés dans les marais de Saint-Gond, opposent à toutes les sommations un refus obstiné. Ce n’est pas un sauve-qui-peut terrible à comme Waterloo, mais un duel tenace et sans merci où les vieilles moustaches de Fleurus, de Quiberon, d’Héliopolis et d’Arcole se sentent le coude une dernière fois. De leurs carrés sans cesse disloqués sans cesse reformés monte comme une clameur héroïque, faite de mille cris stoïques de ces vaincus, de leurs jurons scandant les parades ou les ripostes et du cliquetis des baïonnettes gue les lances cosaques. Il se dégage de tout le tableau une impression pénible, mais vraiment forte. » (Annales politiques et littéraires du 30 mai) 

« M. Le Blant, qui a toutes les qualités de l’historien, l’exactitude, l’impartialité, un sentiment juste des temps et enfin je ne sais quoi, dans son style, de simple, de sobre, d’austère et de fort, M. Le Blant nous ramène en 1814, après Brienne, après Champaubert, après Montmirail, après Château-Thierry, quand l’Empereur, pour employer un mot sublime de Lacordaire, n’appelait plus à son aide « que des Victoires blessées à mort ». Une colonne de paysans bretons non encore équipés, que la gendarmerie lance sur les Cosaques, tel est le sujet de la savante composition de M. Le Blant. » (Lettres et Arts)

« La désolante réplique du Sphinx, M. Julien Le Blant nous en donne quelque chose ; au-delà les victoires de l’Empire, en voici déjà le revers : Combat de Fère-Champenoise- 25 mars 1814. Des gardes nationaux, bourgeois et paysans, équipés à la diable et d’une façon disparate, pressés en cohue, guidés et poussés par quelques officiers, — obstinés débris de vingt ans de guerre, — tournent comme ils peuvent sous le feu de l’artillerie prussienne et la menace de la cavalerie russe. Ce n’est point ici une composition faite pour le plaisir, mais la figure apparemment exacte d’un héroïque et lamentable fait de guerre. La vérité des types, des costumes, des gestes, dans ce ramassis de combattants qui grouille sans confusion, est évidente ; l’ordonnance des deux armées — si la nôtre est encore une armée — est telle que l’exigent la forme du terrain et les hasards de la lutte. Tandis que les Français, dans le coin gauche de la toile, exécutent leur mouvement tournant, le premier plan, à droite, est presque vide ; de ce côté, en arrière, arrivent à fond de train les Cosaques ; avant de rencontrer la tête de notre colonne, ils se croisent avec des escadrons de leur parti, évoluant sur un autre plan, de sorte que les lances des uns et des autres rayent la fumée du ca non et de la fusillade comme des averses chassées par des vents contraires; au-dessus, d’ailleurs, le ciel éclate et des trombes de pluie font rage. Voilà, si je ne me trompe, en même temps qu’un bon tableau, un sincère et curieux document d’histoire militaire. » (La République française 7 juin 1886)

« Le Combat de Fère-Champenoise, par M. Julien Le Blant, est un récit à la façon panoramique, un retour à la peinture d’annales, que conçut largement le baron Gros, et qu’exécuta plus étroitement le compassé et appliqué Van der Meulen.  M. Julien Le Blant est plutôt dans la tradition de Van der Meulen ; l’exécution de sa consciencieuse narration est écrite d’une brosse lente, en traits pénibles, en couleurs ternes. » (La Justice 20 juin 1886)