L’invité du manoir de Rholan
L’éducation artistique de Pierre Georges Jeanniot a commencé avec son père, Pierre Alexandre Jeanniot (1826-1892), longtemps directeur de l’École des beaux-arts de Dijon. Pourtant, Pierre Georges Jeanniot entame tout d’abord une carrière militaire, en tant qu’officier d’infanterie(1866-1881), sans jamais cesser de dessiner. Il expose pour la première fois en 1872 au Salon de Paris où il présente une aquarelle sous le titre Intérieur de forêt. Ainsi, chaque année, il y présente des œuvres avec des vues de Toul, Paris, Troyes, des bords de Seine et quelques portraits.
En 1881, alors que l’armée lui propose le grade de commandant, il démissionne pour se consacrer exclusivement à la peinture. Les œuvres de cette époque représentent des scènes de la vie militaire qui lui permettent de se forger une réputation. Jeanniot s’établit de manière permanente à Paris en 1882 et obtient sa première récompense l’année suivante (médaille de troisième classe au Salon de Paris) avec sa toile les Flanqueurs (1883, anciennement au musée du Luxembourg). En 1886, la Ligne de feu, souvenirs de la bataille de Rezonville (musée de Pau) assure sa notoriété.
À Paris, il se lie d’amitié et laisse de précieux souvenirs sur Édouard Manet, Pierre Puvis de Chavannes, Jean-Louis Forain, Paul Helleu, mais surtout avec Edgar Degas qu’il vénérait comme un maître et avec qui il partagera beaucoup de temps dans sa maison familiale de Diénay (Côte d’Or).
Le dessin fut toujours sa passion et sa force. Son trait vivant, expressif et animé excellait à rendre avec humour les scènes pittoresques de la vie de ses contemporains. Pendant les trois décennies suivantes, il illustre un grand nombre de livres et manuscrits, y compris Le Voyage de Paris à Saint-Cloud, Germaine Lacerteux, Tartarin de Tarascon, Adolphe de Benjamin Constant, Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, Le Misanthrope de Molière et Contes Choisis de Maupassant, Le Calvaire d’Octave Mirbeau, Les Paysans d’Honoré de Balzac, Candide de Voltaire et de nombreuses autres œuvres littéraires.
Plus tard, il devient directeur du Journal Amusant en même temps qu’il collabore au Rire et à L’Écho de Paris. Comme graveur, Jeanniot s’est spécialisé dans l’eau-forte parisienne, aux côtés d’artistes tels que Paul Helleu, Henry Somm ou Norbert Gœneutte. Chroniqueur de scènes de vie parisienne, il montra une France ironique où les marionnettes du snobisme sont saisies d’un trait cursif, aigu, dans une enveloppe de tons rares. Son talent de graveur l’apparente parfois à Toulouse-Lautrec ou Mary Cassatt.
Parallèlement à l’eau-forte, Jeanniot employa la xylographie qui, par de violents découpages, permet aux surfaces largement encrées de s’opposer sans transition aux sources claires.
En 1895, Degas acquiert le Conseil de Révision sans que l’on sache s’il s’agit d’un hommage à l’art de Jeanniot ou d’une délicate attention à l’égard d’un homme qui a beaucoup reçu à sa table.
Le gouvernement français le nomme chevalier de la Légion d’honneur en 1906.
Son œuvre porte dans son ensemble la marque d’une grande probité, d’une originalité, d’un sentiment soutenu et d’une rare virtuosité d’exécution. Ainsi, en 1924, L. Leipnik écrit : « Pierre-Georges Jeanniot représente les types parisiens à la lumière d’une imagination fantastique. Les plats soigneusement imprimés rapportent aux preuves harmonieuses délicieusement expressives des types cette gamme du ralenti à la mode aux pauvres pittoresques. Jeanniot observe ses sujets au polo ou sur la plage d’un bord de la mer, dans un restaurant ou dans Bois de Boulogne ; et il dépeint sans moins de sympathie l’ouvrier sur son chemin à l’usine ou se reposer en dehors d’un petit café appréciant une boisson et une discussion politique animée. Le Polo, saisons de plage et de Marchande de quatre sont typiques de l’observation vive de Jeanniot et de son modèle, dans lequel une imagination parfois fantastique est équilibrée par un sens de la proportion sensible. »
Grand collectionneur des toiles de ses contemporains, il possédait entre autres le Dîner au Pavillon d’Armenonville d’Henri Gervex (1852-1929).
Georges Jeanniot, un invité régulier du manoir de Rholan.
[…] Quand allez-vous nous revenir? Ecrivez-nous un mot. Ma femme, Jeanniot et moi nous vous rappelons, bien d’avance, que nous avons fait des projets pour cet été, entre autres celui d’être réunis avec vous à Rholan et d’y passer de bons moments. […] (Lettre à Chialiva Paris – 11 février 1914)
[…] Nous venons de recevoir une lettre de Jeanniot, il a une nouvelle maladie, c’est l’ankylose du genou dit-il et la paralysie en perspective. Un rien, quoi! pauvre ami! il est vrai qu’il a un épanchement de synovie qui le fait souffrir. Il devrait se tenir tranquille mais Dame! il n’y a pas moyen. […] En attendant, qu’il ait mal ou non, il faut qu’il travaille toujours, toujours. C’est bien triste pour un homme de tomber sur un numéro semblable à la loterie du mariage. […] ( Lettre de Marie à Guiguet – Rholan 31 mars 1915)
[…] Jeanniot est arrivé Samedi dernier. Nous le trouvons très changé et encore maigri. Il a perdu sa gaîté et croit avoir quelque chose à la vessie. Est-ce cela ou autre chose? Il est certain qu’il a maigri et qu’il y a une cause. Il est frappé. On devrait bien se rendre compte chez lui qu’il n’a plus 40 ans et ne pas l’obliger à donner des sommes de travail qui ne sont plus en rapport avec son âge. Ceci nous parait juste. On devrait l’épargner, puisqu’il est la Poule aux œufs d’or. Enfin nous allons bien le soigner et tâcher de lui remonter le moral. Hier il s’est pesé et a été stupéfait d’avoir tant maigri: 57 kg 1/2. […] ( Lettre à Guiguet – Rholan – 6 juillet 1915)
[…] Jeanniot est resté quelques semaines avec nous. Le pauvre ami est bien vieilli de toute façon, il a perdu son entrain, s’endort après les repas et travaille à contre coeur. C’est très grave. Certainement, si cela continue ainsi, la gravité de sa situation va être extrême. Il vit avec des espérances chimériques. […] (Lettre à Guiguet – Rholan – 19 septembre 1915)
[…] Il y a une grande exposition de Jeanniot chez Charpentier. Je connais beaucoup de choses que j’ai revues avec plaisir, il dessinait si bien. Je suis persuadée que s’il n’avait pas été obligé de produire pour la matérielle, il aurait fait beaucoup mieux et des choses très artistiques. J’ai souvent causé de tout ça à Rholan avec lui. C’était un être si exquis qu’il lui aurait fallu une autre compagne. […] (Lettre de Marie à Guiguet – Rholan – juillet 1933)