LES COUSINS DANS LA COURSE

Maurice et Etienne Le Blant participent à la première course automobile.

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Le véhicule piloté par Maurice Le Blant

En 1894, Maurice et Etienne Le Blant, cousins germains de Julien, participaient à la première compétition automobile de l’histoire qui se déroula entre Paris et Rouen (127 km.) le 22 juillet 1894. Sous le nom de « Concours des voitures sans chevaux», Le Petit journal avait organisé cette compétition, ouverte à des véhicules qui devaient « être sans danger, aisément maniables pour les voyageurs et ne pas coûter trop cher sur la route ». La course a été remportée par le Comte Jules de Dion sur sa De Dion-Bouton en 6 heures 48 minutes. Maurice Le Blant, sur une Serpollet, termina quinzième en 10 heures 43 alors que son frère Etienne, sur une autre Serpollet, abandonna. Il reçut tout de même un 3e prix pour la fiabilité du véhicule.

Annonce de la course dans « Le Petit Journal »

La course

Le temps merveilleux, raconte à ce sujet un rédacteur du Petit Journal, qui a favorisé cette journée de dimanche, a permis à des milliers de personnes d’assister au passage des voitures. Sur la grande route de Paris à Rouen, c’est entre deux haies de curieux que les véhicules ont presque constamment roulé. De tous les côtés, on était venu s’installer, dès le matin, aux endroits les plus favorables, pour jouir de ce spectacle qui ne s’était encore jamais vu. Les uns avaient choisi un terrain plat pour voir arriver les voitures de loin et juger de leur vitesse ; les autres avaient préféré s’installer au bas d’une côte pour assister au spectacle toujours impressionnant de la descente. Les plus malins attendaient sur la crète d’un mamelon. Ils pouvaient ainsi voir comment les voitures se comportaient à la montée et les suivre ensuite du regard lorsqu’elles filaient en descendant la rampe. Beaucoup de familles s’étaient commodément installées sur le bord de la route et y avaient déjeuné. Quelques-unes avaient même apporté tables et chaises.

La « Belle Jardinière » pilotée par Etienne Le Blant

Si les concurrents heureux n’eurent point d’histoire et ne seront mentionnés que lorsqu’il s’agira de l’arrivée à Rouen, il n’en fut pas de même des… autres, dont les péripéties eu cours de route furent, parfois, fantastiques. La question du conducteur était de première importance. Ceux-ci n’existaient qu’en nombre restreint. On se les arrachait. C’est ainsi que Maurice Le Blant concourant avec deux énormes véhicules manqua de conducteur au dernier moment pour sa seconde voiture. La première devait être menée par lui-même et Bechtald son chauffeur. Serpollet avait laissé espérer sans rien garantir — que son beau-frère, M. Avezard et un mécanicien de l’usine dirigeraient la seconde machine de Le Blant, une voiture de livraison commandée par la « Belle Jardinière ». À huit heures et demie, à la porte Maillot, Maurice Le Blant attendait en vain un conducteur pour cette conséquente mécanique. M. Etienne Le Blant, ingénieur de la Compagnie de l’Est, homme de bonne volonté mais de science automobile insuffisante, avait déjà précédemment conduit la « Belle Jardinière » sur un trottoir et démoli un banc… En dépit de ce début peu encourageant, il n’hésite cependant pas, pour sortir son frère d’embarras, — M. Avezard n’étant point arrivé, — d’entreprendre la conduite du véhicule jusqu’à Rouen, ayant à bord comme commissaire M. Cassigneul fils qui n’était rien moins que rassuré, et le chauffeur de Maurice, que celui-ci remplaçait sur sa voiture par un homme de plus ou moins grande compétence. L’arrivée à Mantes s’effectua pour la plupart des véhicules sans trop de difficultés : Les cinquante tables dressées à l’hôtel du Soleil d’or étaient entourées par deux mille personnes environ, dont quelques-unes, assure la chronique, parvinrent à déjeuner. Puis l’exode continua, les complications de l’itinéraire, côtes, virages, etc. ; contribuant à éliminer peu à peu une bonne partie des concurrents. Entre Vernon et Guillon, un des tubes Field de la chaudière du tracteur Scotte lâche son bouchon à l’intérieur du foyer au moment où le chauffeur était en train de charger le feu et voici le véhicule irrémédiablement arrêté. Le chauffeur, en outre, se blesse légèrement au genou en sautant de la voiture alors qu’elle marchait encore. On le panse aussitôt ; ce n’est rien heureusement ; mais une mauvaise nouvelle se répand et le bruit court jusqu’à Pont-de-l’Arche qu’un accident, est survenu, mort d’homme, nombreux blessés. Ainsi s’écrit ordinairement l’histoire… Il faut regretter, rapporte un journal, d’autant plus l’accident de la voiture Scotte que c’était un véhicule destiné à faire sensation s’il avait pu atteindre Rouen. Il était tout enguirlandé de chapelets de grelots qui tintinnabulaient joyeusement au moindre mouvement. M. Scotte, chapelier à Epernay, avait été contraint d’adopter ce signal par le préfet de son département qui lui avait dit : « Le bruit des grelots couvrira non seulement le tapage du mécanisme mais illusionnera les chevaux qui croieront en l’entendant avoir affaire à leurs semblables… » L’idée était originale tout au moins.

Véhicule de Scotte

Pendant ce temps, le comte de Dion dont le tracteur mené par Bouton tient la tête des « poids lourds », à Lery se trouve en présence d’un rechargement long de 100 mètres. Grâce aux vigoureux biceps du populaire sportsman aidé par le capitaine de Place et trois ou quatre hommes, l’arrêt ne dépasse pas dix minutes. II n’en est pas de même lorsqu’arrive ensuite le lourd véhicule de Maurice Le Blant, qui, faisant fonction de rabatteur, transportait tous les voyageurs et commissaires des voitures ayant abandonné la course. Pendant une heure, on s’efforce d’obtenir de la chaudière une pression suffisante pour que le véhicule sorte, par ses propres moyens du chaos des cailloux. C’est en vain, et, en désespoir de cause, on l’aide d’une corde sur laquelle tirent une cinquantaine de badauds. Cette fois, le tracteur fait un bond formidable, et, dans son ingratitude de machine, pourchassant la grappe humaine, s’élance à la poursuite de ses sauveurs qui n’ont que le temps de fuir devant lui pour n’être point écrasés…

Cependant, on s’approche de Rouen : la foule se fait de plus en plus enthousiaste et il arrive que des concurrents à la traversée des villages reçoivent en pleine ligure des bouquets lancés par les mains pures mais brutales de jeunes campagnardes. On est reconnaissant de l’intention… et l’on continue, après l’involontaire embardée causée par la surprise ! Les voitures à vapeur jouent de malheur : L’une d’elles a un chauffeur « craignant la chaleur » ,— ce qui est pour un chauffeur un défaut capital, — le personnage est en outre d’un caractère particulièrement susceptible. En route, au moment où l’on marchait bon train, il fait soudain, de l’arrière de la voiture où il se trouvait, un signal d’arrêt au conducteur qui était placé devant. On stoppe, et il explique que, ayant trop chaud, il lui faut se reposer quelques instants sous un arbre ! Le propriétaire se fâche et le chauffeur déclare alors que, puisqu’on manque d’égards vis-à-vis de lui, il rend « son tablier » et abandonne la partie ! Par bonheur, passe à ce moment Serpollet qui, prenant pitié de son collègue et concurrent, n’hésite pas à lui prêter un apprenti de treize ans, vrai gavroche parisien, plein de fougue et d’entrain, qui jusqu’à Rouen remplira merveilleusement la dure besogne du chauffeur !  Rendons hommage à ce jeune héros et flétrissons la mémoire du chauffeur qui n’aimait pas la chaleur !

L’arrivée à Rouen

A Rouen, l’agitation est à son comble. Toute la population est massée à l’entrée de la ville, le long des bords de la route par laquelle arrivent les concurrents. M. Armand Peugeot; arrêté par une panne à Saint-Germain, avait pris le train et attendait les véhicules de sa maison avec une impatience bien compréhensible. Le « populo » fait des ovations aux arrivants. On passe. Un ivrogne et sa femme imaginent le jeu suivant peur tromper les longueurs de l’attente : — Ecoute, dit l’homme, j’te parie un litre que c’est une voiture avec un numéro impair qui arrive là-bas. — Ça me va, marche pour le numéro pair, deusse, quatre etc. Un numéro impair apparaît ; la femme désappointée déclare qu’il y a eu « triche, et administre une magistrale volée à son mari, à la grande joie de l’assistance. Cependant les concurrents se succèdent. Derrière le comte de Dion, voici Lemaitre sur « Peugeot » avec, à son bord, M. A. Clément, une autre Peugeot ; puis, ensuite, Levassor menant une voiture légère. L’ordre des arrivées enfin s’établit comme suit :

La voiture à boggie du comte Jules-Albert de Dion

1er De Dion 5 h. 40

2e Peugeot 5 h. 45

3e Panhard-Levassor 6 h. 03

15e Le Blant 8h.50

Le palmarès

À quelques jours de là, le jury du concours se réunissait au Petit Journal et dressait la liste des lauréats : Le premier prix devrait être attribué à la reconnue  voiture sans chevaux, être sans danger, aisément maniable pour les voyageurs et ne pas coûter trop cher sur la route.

Après une demi-heure de délibération, le jury décidait que le premier prix de 5000 francs (prix du Petit Journal) serait partagé entre : MM. Panhard et Levassor et les Fils de Peugeot frères. Les qualités des voitures employées au concours par ces deux raisons sociales, nous ont paru telles, disait le lendemain le Petit Journal, elles répondent si bien au désideratum du concours, sans réaliser encore complètement le rêve du touriste et du commerçant, que le premier prix leur a été voté d’acclamation. 2500 francs sont attribués à l’une, 2500 francs à l’autre.

Quant au deuxième prix (prix Marinoni), soit 2000 francs, il était attribué à MM. de Dion, Bouton et Cie. pour leur intéressant remorqueur à vapeur, qui s’attelle à une voiture comme un cheval, et donne (avec un moteur puissant, il faut le reconnaître) une vitesse absolument au-dessus de toute comparaison, principalement à la montée des côtes. Enfin les autres récompenses étaient décernées aux divers lauréats. Le 3° prix a été donné à la voiture à vapeur de M. Maurice Le Blant (1500 francs), qui ne répondait pas absolument au programme. C’est, en effet, un omnibus à 9 places avec chaudière à vapeur Serpollet. La voiture en ordre de marche pèse 4 tonnes. Voiture vide : 2060 kilog. Outils et frein : 100 kilog., 10 voyageurs à 70 kilog. 700 kilog. Chauffeur : 70 kilog. Eau, 600 litres : 600 kilog. Charbon : 200 kilog. D’après M. Le Blant, on consommait 8 kilog. d’eau et 3 kilog. de charbon par kilomètre. (Histoire de l’automobile par Pierre Souvestre 1907)

Les deux cousins Julien et Maurice ont parfois été confondus comme le montre l’édition du Chevalier de Maison Rouge ci-dessous. Les illustrations attribuées à Maurice Le Blant sont bien de Julien!

L’orthographe du patronyme a aussi souvent été malmenée. On a pu lire parfois Julien Leblant ou Julien Leblanc , peut-être pour l’apparenter à Maurice Leblanc, auteur d’Arsène Lupin.