CHEZ MADELEINE LEMAIRE

L’atelier-salon de Madeleine Lemaire, au 31 de la rue Monceau, est une adresse incontournable pour le Paris mondain de 1900. Un journaliste nous en fait la visite.

Le salon de Madeleine Lemaire

« J’entre dans l’atelier de Mme Lemaire ; j’y suis seul et je puis, sans être taxé d’indiscrétion, regarder ce qui m’environne. Il me semble que je me meus dans une serre qu’on aurait aménagée en salle de travail. Des tapisseries, il est vrai, garnissent les parois du fond, montent jusqu’au plafond ; des tentures éclatantes et des soieries s’accrochent ici et là, dans le beau désordre de l’art. Une galerie en bois sculpté, sorte de loggia italienne, où Véronèse, dans ses fêtes, eût placé des musiciens, se voit à droite. Sur la balustrade de cette galerie un paon est posé, laissant pendre dans le vide sa queue aux couleurs étincelantes. Partout s’étalent, au hasard, placés par la main du caprice, de petits meubles, des crédences dorées, des fauteuils des siècles derniers, des poufs où nos aïeules aimaient à s’asseoir, des trophées enrubannés où s’enlacent flûtes et cornemuses chères aux peintres galants que conduisait Watteau. Des tambourins, des violes, des lanternes sont accrochés, retenus par des faveurs aux tons éteints. Un piano à queue rappelle que la musique est de la fête, et que rien n’accompagne mieux une scène du dix-huitième siècle qu’un air de Rameau chanté d’une voix discrète.

Madeleine dans son atelier avec Suzette debout.

Ajoutez à tout ce que je viens de décrire la flore se mêlant à cet ingénieux désordre; les plantes qui grimpent, qui s’emmêlent, qui retombent, les feuillages aux tons roussâtres ou aux reflets métalliques, l’éclat des azalées, la pourpre des cactus, la variété des primevères jetant comme une clarté de printemps dans cet intérieur de paix et de travail ; et dans un vase de Chine une touffe de roses expirantes dont les pétales tombent une à une. Notez que je suis tout seul en me figurant cela, que je respire un air subtil où la grâce un peu pâlie du passé — ainsi que serait un pastel de la Rosalba — se marie aux inquiétantes recherches du présent et que je vois, sous mes yeux, réunis fraternellement des paysages d’Heilbuth, des soldats de Detaille, des chats de Lambert, des éventails d’un ton exquis, d’une touche preste, d’un éclat joyeux, signés Madeleine Lemaire. Abusai-je de l’hospitalité confiante qui m’a été offerte, en écrivant mes impressions ? Je ne le crois pas. J’ai voulu voir avant tout le monde, — ayant le désir du fruit défendu, – ce que préparait la femme d’élite qui m’a ouvert sa maison toute grande, qui m’a dit : «Vous êtes chez vous.»

C’est dans ce salon, en 1894, alors qu’il est invité pour chanter Les Chansons grises, que Reynaldo Hahn fait la connaissance de Marcel Proust et devient son amant jusqu’en 1896. On y rencontre aussi Victorien Sardou, Colette, Guy de Maupassant, le comte de Montesquiou, Réjane; Jean-Louis Forain, Antonio de La Gandara, Jean Mounet-Sully, Emma Calvé, Camille Saint-Saëns, Marie Diemer, Laude de Sade, la comtesse de Chevigné; Jules Massenet, Tony, dit Marshall Le Grand, Marie-Laure Bichoffscheim, la vicomtesse de Noailles; Sarah Bernardt, Henri Rochefort, Constant Coquelin, Robert de Flers, Arman de Caillavet, François Coppée, Marie-Clémentine de Rochechouart-Mortemart, la duchesse d’Uzès; le chanteur Félix Mayol, l’homme politique Raymond Poincaré, Paul Deschanel, Émile Loubet, et le grand comédien Lucien Guitry. En été Madeleine Lemaire déplace ses « fidèles » et les installe dans son château de Réveillon, dans la Marne.

Si les récitals se déroulent dans un silence quasi religieux, les fêtes peuvent être extrêmement éclatantes et la presse mondaine s’empresse de les relater. Par exemple, celle organisée le 30 mars 1889, pour les quinze ans de sa fille Suzanne. Elle devait réunir une quarantaine de personnes et, finalement, en vit débarquer trois ou quatre cents. Un journal avait annoncé un bal travesti. Les amis peintres n’ont pas manqué le rendez-vous. Détaille, Clairin, Duez, Ballu, Le Blant, Jeannot, Jourdain, Escalier, Arcos, Gervex, Besnard ont décidé d’animer les festivités et de se vêtir de costumes de 1830. L’atelier de l’« impératrice des roses » est alors le théâtre d’une éblouissante cohue, riant, sautant, valsant dans une atmosphère chargée du parfum des roses et des lilas.

Suzette Lemaire par Edouard Manet

« Les élus de ce bal mémorable constatèrent que les costumes de l’époque prescrite perdirent singulièrement de leur ingratitude, puisque portés par d’adorables jeunes filles et par des hommes de goût, s’avisant d’en exagérer les côtés disgracieux ou ridicules. Les hommes, qui étaient en majorité, furent spirituels depuis le bout de leurs escarpins jusqu’à la pointe de leurs toupets en flamme de punch. Les plus drôles étaient : un moutard traîné par son garde national de père ; un chambellan de Charles X, grave, gourmé, le jarret tendu. Sous une poitière, un Talleyrand, tabatière en main, communiquait ses impressions à un Lamartine. Au buffet surchargé de friandises et de primeurs, un lord Byron but tant de vin de Champagne qu’il en boita ensuite, pour de bon. Tous et toutes étaient excentriques, mais d’une excentricité fine et bien trouvée. Mais lorsque des jeunes filles dansèrent un quadrille réglé par Soria de l’Opéra, l’assistance émerveillée ne put se contenir : le délire fut général : Louis Ganderax, Paul Hervieu, Becque, Munkacsy contemplaient d’un œil amusé la délicieuse gaucherie de ces entrechats juvéniles. On se sépara fort tard, en se promettant de recommencer, et on recommença, car la fête laissa un durable souvenir, et Madeleine Lemaire fut priée de la renouveler. » (Comoedia)

« La palme de l’imprévu, de la gaîté, de la bonne grâce revient à une femme, à une artiste de grand talent et de grand cœur… à Mme Madeleine Lemaire. Le premier bal donné en l’atelier de la rue de Monceau fêtait simplement les quinze ans de Miss Suzette Lemaire : Les danseurs s’appelaient : Alexandre Dumas fils, déguisé en Turc », Meissonier en « Doge de Venise », Gounod en « Médecin malgré lui », Guy de Maupassant en « Nègre »… combien d’autres encore ! Detaille, J. Béraud, Raoul Toché, Heilbuth, Julien Le Blant, Clairin, Vibert, Bastien-Lepage, Jacquet, Lambert, Toulmouche… Le souper avait été commandé pour 20 convives et, à une heure du matin, 300 masques se disputaient en riant les reliefs des homards et les os des jambonneaux Le succès fut tel que Mme Madeleine Lemaire dut, l’an suivant, recommencer la fête : « Un bal 1830 » réunit les mêmes artistes, puis ce fut une folle soirée où, « par ordre de la Patronne », tous les costumes étaient « en papier » … (Femina)

LES RÉFRACTAIRES

Les Réfractaires 1894 – huile sur acajou de 76 x 117cm – Historial de la Vendée

D’après Julien Le Blant Les Réfractaires (1894) Photographie de l’atelier Goupil, 1894, 14,5 x 21,5 Bordeaux, musée Goupil, inv. 93.II.8.148

Sujet

Cette scène représente une des causes de la rébellion vendéenne. On y voit un groupe de réfractaires au tirage au sort qui longe la Loire. Un réfractaire, c’est un conscrit qui ne s’est pas présenté dans le délai d’un mois au capitaine de recrutement. Le service militaire est alors de cinq ans. Pour échapper à un service aussi long, il existe plusieurs possibilités : tirer un bon numéro, se faire remplacer, être exempté ou alors être réfractaire. Le jeune homme qui fait ce choix doit alors se cacher, ses parents peuvent subir une amende ou être passibles de poursuites judiciaires. Les hommes que l’on voit ici ont été faits prisonniers par la Garde nationale et la Gendarmerie.

Face à la menace des états européens coalisés, la France révolutionnaire a, pour la première fois de son histoire, recours à la conscription. Elle décide d’appeler sous les drapeaux tous les citoyens français depuis l’âge de dix-huit ans jusqu’à quarante-cinq ans accomplis, non mariés, veufs sans enfants par tirage au sort. La Vendée devait fournir 4200 hommes. Les membre des municipalités et institutions républicaines étaient dispensés de ce service militaire et la bourgeoisie se payait des remplaçants. Beaucoup de jeunes paysans refusèrent de se présenter au tirage au sort. Après toutes les vexations dont les populations de l’ouest s’estimaient avoir été l’objet de la part de la République, la coupe était pleine et cette loi la fit déborder. Des émeutes éclatèrent sur tout le territoire de ce qui va devenir la Vendée militaire. Dès le 11 mars 1793 tombaient les premières victimes. Deux jours plus tard, Cathelineau et sa troupe partirent en guerre contre la République. C’est le début de la guerre de Vendée. Sous l’Empire, Napoléon Ier a besoin de renforcer ses troupes. La conscription est censée répondre à cette demande. Dans le nord des Deux-Sèvres où le calme a encore du mal à revenir après les Guerres de Vendée, les réfractaires sont encore assez nombreux. À force de fuir les gendarmes et de vivre clandestinement, certains de ces jeunes gens finissent parfois par former des bandes et tomber dans la criminalité.

En 1882, Julien Le Blant expose pour la première fois avec les aquarellistes. Sur les quatre œuvres qu’il propose, une d’elles traite du thème des réfractaires.

Le même sujet aussi traité par Le Blant en 1889 dans Les Chouans de Balzac

Critiques de l’époque

« La surprise nous attend ailleurs. M. Julien Le Blant nous la réservait. C’est un nouveau. Il s’était déjà révélé au Palais de l’Industrie. Il se révèle, dès son début aux aquarellistes. Ce qu’il nous apporte, c’est la Bretagne, la Bretagne révoltée, la Bretagne des Chouans. Il nous montre « les Réfractaires », prisonniers, entraînés à travers les landes farouches par un détachement de grenadiers, et nous trouble. Le thème est simple et poignant ; les captifs sont vus de dos, s’enfonçant dans l’inconnu, pendant que deux jeunes femmes les suivent des yeux, comme un souvenir du passé. » (L’Intransigeant)

« … Et cette longue bande de Réfractaires vendéens que les soldats de la République poussent devant eux, comme les sbires du tzar chassent les convois de transportés en Sibérie ; comme c’est morne et beau ! » (L’Art populaire)

« Nous ne saurions trop louer la composition si curieuse, si nouvelle, vraiment trouvée, des Réfractaires. Ces hommes vus de dos, qu’escorte un détachement de fantassins, coiffés du feutre de grenadier ou du casque à chenille des chasseurs, et que regardent, avec une pitié touchante, deux pauvres femmes, forment un tableau d’une impression saisissante. Que dire du paysage, sinon qu’il est admirablement rendu, admirablement vrai, preuve, pour nous certaine, que M. Le Blant a rapporté de Bretagne ces études où il place ainsi les drames qu’il veut peindre ? En résumé, il y a, dans les aquarelles exposées par M. Le Blant, un tempérament personnel, un dessinateur de premier ordre et un coloriste d’une clarté séduisante. » (Le Panthéon de l’Industrie.)

En 1894, Julien Le Blant participe pour l’avant-dernière fois au Salon en reprenant sur toile ce même sujet.

Le tableau exposé à l’historial de la Vendée.

« M. Julien Le Blant, qui s’est voué depuis quelques années à l’illustration, art dans lequel il excelle, a toujours sur chevalet quelque épisode du genre historique qui rappelle les sujets auxquels il doit ses premiers succès. Les « Réfractaires » sont encore un souvenir des guerres de Vendée ; nous y retrouvons les qualités de l’artiste, sa façon à la fois large et précise et sa qualité maîtresse, le caractère, par le type, le geste, l’exactitude des horizons et la sobriété du rendu.» (Le Figaro Salon)

« Les «Réfractaires», un petit chef-d’œuvre de M. Le Blant, très coutumier du fait.» (Le Salon)

« Et combien plus poétiques, plus poignants sont encore les « Réfractaires », de M. Julien Le Blant. Fidèle à sa « spécialité », ce sont des Bretons que nous montre encore le peintre des guerres vendéennes. Mais combien son paysage est vrai et comme l’attitude de ses « réquisitionnaires » est exacte. Ce petit tableau vous produit le même effet que la lecture de ce merveilleux chapitre premier des Chouans, où Honoré de Balzac s’est montré le premier et le plus génial des paysagistes. » (Le Salon)

Avec ses soldats qui s’éloignent dans le lointain, Julien Le Blant se retire définitivement de la peinture d’histoire et des guerres de Vendée. Ce tableau a appartenu à l’écrivain Marc Elder, critique et historien d’art, Chevalier de le Légion d’Honneur, Prix Goncourt et conservateur du château des ducs de Bretagne à Nantes avant d’être aujourd’hui propriété du Conseil Général de Vendée. Il est exposé à l’historial de la Vendée aux Lucs-sur-Boulogne.

MAURICE LOIR – AU DRAPEAU !

Récits militaires par Maurice Loir, publiés par Hachette en 1897, avec 36 aquarelles de Julien Le Blant dont 12 planches hors texte, reproduites en couleurs par H. Reymond, 12 en-têtes et de 12 culs-de-lampe tirés en noir.

Maurice Loir, connu également sous le pseudonyme de Marc Landry, est né le 16 avril 1852 à Paris. Après avoir été élève de l’École navale et avoir fait sa carrière dans la marine, ce neveu de Louis Pasteur est devenu lieutenant de vaisseau à bord de la Triomphante en 1882. Il a pris sa retraite en 1896 et a été promu capitaine de frégate de réserve en 1901. Il a écrit des ouvrages portant pour l’essentiel sur la marine de guerre française et a été collaborateur du journal Le Figaro pour les questions maritimes sous son pseudonyme Marc Landry. Maurice Loir était officier d’Académie, et fut fait officier de la Légion d’honneur par décret du 22 juillet 1905. Il est mort le 1er décembre 1924 à Paris.

Au drapeau !, préfacé par Georges Duruy, rassemble des récits militaires extraits des mémoires de G. Bussière et E. Legouis, du Comte de Ségur, du Maréchal Masséna, du Général vicomte de Pelleport, du Capitaine S. Carnot, du Maréchal Marmont, du Commandant du Fresnel, du Général Corbineau, du Général Thoumas, du Général Ambert, du Général baron Lejeune, de Norvins, de A. Vandal, de A. Thiers, du Comte de Michaud, de A. Lallemand, de E. de Lyden, du Baron Petiet, de Camille Rousset, du Capitaine Richard, de Garnier-Pages, du Général du Barail, de A. Rambaud, de P. Laurencin, de Germain Bapst, de Fernand Hue, de Roger de Beauvoir, du Lieutenant Painvin, de Dick de Lonlay, du Capitaine Simon, de Jules Claretie, du Comte S. Jacquemont et les Journaux du temps. On y trouve également un tableau historique des régiments Français.

Préface du livre

«M. George Duruy vient d’écrire pour un livre de M. Maurice. Loir : Au Drapeau — qui se compose de morceaux extraits de mémoires et d’ouvrages militaires et forme une suite d’épisodes éclatants commençant avec les campagnes de la Révolution pour ne finir qu’après 1870 — une préface vibrante de patriotisme, de laquelle nous détachons cette éloquente glorification du drapeau français.

Je suis l’image au juste de la Patrie : Depuis qu’il y a une France, je me dresse au milieu de ses armées. Je parle d’elle à ceux qui, pour elle, vont verser leur sang ; je les exhorté à ne pas lui en marchander une seule goutte, et, quand ils sont tombés, je console, en restant debout, leur agonie. Sous un autre nom et d’autres couleurs, j’étais il y a sept siècles à Bouvines, conduisant les milices de la France à la défense de leur soi envahi par les Allemands; et, au plus fort de la mêlée, agité eu l’air par le bon chevalier qui me portait, j’appelais les nôtres au secours de leur Roi en péril. ; Cinq cents ans plus tard, blanc et fleurdelysé d’or, j’étais à Denain, le jour où la dernière armée de Louis XIV livrait la suprême bataille que j’aidai à gagner, en rappelant aux soldats de Villars que c’en était fait de la France, si par un miracle d’héroïsme ils ne la sauvaient.. À Valmy, à Jemmapes, à Fleurus, j’ai fait flotter les trois couleurs à la tête des irrésistibles légions de la République ; cloué à un tronçon de mât, j’ai eu le dernier regard, la dernière pensée des marins du Vengeur, lorsqu’aux sons de la Marseillaise leur navire criblé de boulets, s’enfonçait lentement dans les flots. À Austerlitz et à Iéna, j’ai été sacré d’une gloire immortelle par les armées du grand Empereur. A l’heure des revers, pendant la funèbre retraite de Russie, c’est autour de moi que marchaient, rangés en un silence farouche, les survivants de la Grande Armée. Par-delà les mornes steppes glacées, j’évoquais à leurs yeux la lointaine Patrie ; sous l’âpre bise et la neige, j’entretenais la flamme de vaillance indomptable qui soutenait les corps épuisés de ces héros. J’ai parcouru toute la terre : l’Algérie et la Chine, le Mexique, le Sénégal et le Tonkin m’ont vu successivement apparaître ; naguère encore, une poignée de braves m’a planté au centre de la meurtrière Madagascar sur Tananarive conquise. Mais ce n’est pas la guerre, la conquête seules que j’ai promenées à travers le monde. Mon éternel honneur sera d’y avoir apporté aussi le généreux esprit de la France.  J’ai détruit le vieil édifice féodal, abri de séculaires iniquités, qui pesait sur l’Europe. Dans tous les lieux où j’ai passé, j’ai semé, je sème encore la liberté. Les peuples mêmes qui ont souffert de mes triomphes ont trouvé dans les défaites que je leur infligeais le gage salutaire de leur régénération ; ils ont maudit victoires, et ces victoires leur ont profité.  Je les ai rachetées, d’ailleurs, ces conquêtes qu’on me reproche ! Si j’ai aimé la gloire, j’ai aimé la justice aussi. Pour le seul amour d’elle, j’ai abrité de mes plis ses causes justes qui, sans moi succombaient ; j’ai protégé les faibles ; j’ai combattu sans réclamer de salaire, pour l’indépendance de peuples, opprimes ; j’ai aidé les Américaine et les Grecs, les Belges et les Italiens à s’affranchir. Que ceux-là parmi eux l’oublient qui ont la mémoire courte, peu importe ! J’ai bien mérité de l’humanité : j’ai conquis, mais j’ai délivré. » (Le Petit Journal 16 décembre 1896)

Critiques de l’époque

« Au Drapeau ! par M. Maurice Loir. Un magnifique volume illustré de 12 planches hors texte en couleurs et de 24 dessins dans le texte d’après les aquarelles et les dessins de Julien Le Blant. Le drapeau dont ce livre raconte l’histoire, c’est le drapeau aux trois couleurs, dont l’origine remonte à la Révolution. Le récit de M. Maurice Loir se compose de morceaux empruntés à toutes sortes de mémoires et d’ouvrages militaires, voire à des journaux officiels, et forme une suite d’épisodes éclatants qui commencent avec les campagnes de Buonaparte en Italie et en Egypte et ne s’arrêtent qu’après 1870. Quel cortège de trophées et de souvenirs héroïques défile sous les yeux du lecteur dans ces pages magnifiquement illustrées d’après les aquarelles et les dessins de Julien Le Blant ! » (Le Phare de la Loire 18 décembre 1896)

« Un livre vibrant de patriotisme, un de ces livres qui enflamment les cœurs de l’amour du pays. Au Drapeau! de M. Maurice. Loir, se compose de morceaux extraits de mémoires et d’ouvrages militaires, et forme une suite d’épisodes éclatants qui commencent avec les campagnes de la Révolution et ne s’arrêtent qu’après 1870. Trente-six planches en couleurs, d’après les aquarelles de Julien Le Blant, montrent aux yeux, en traits émouvants, le cœur de la France qui palpite dans ces récits d’héroïsme. » (Le Figaro 13 décembre 1896)

« Parmi les beaux livres illustrés, ceux qui aiment les récits militaires liront les morceaux rassemblés par M. Maurice Loir, sous ce titre : Au drapeau ! avec une préface de M. George Duruy. C’est l’histoire du drapeau tricolore, composée de fragments de Mémoires, de chapitres écrits par les historiographes. Le commencement est daté des campagnes de Bonaparte en Italie, les dernières pages racontent 1870 et le Tonkin, victoires, conquêtes et défaites. Les illustrations en couleurs de M. Julien le Blant disent, avec une certaine violence d’imagerie, le sang et l’horreur des spectacles. » (La Justice 24 décembre 1896)

« La maison Hachette donne, cette année, à la littérature militaire le pas sur les récits de voyages. Au drapeau ! par Maurice Loir, est un recueil de récits militaires, une galerie de tableaux de batailles, une évocation de la gloire du passé. Ce sont des extraits de Mémoires, des passages puisés dans les ouvrages des généraux et des historiens. Ces feuillets détachés du Livre d’or de nos armées forment un tout, éloquent et consolant. On suit chronologiquement les étapes de notre drapeau, jusqu’aux jours noirs de 1870, qui par instants eurent aussi leur éclaircie d’espérance et leur rayon de gloire. Les craintes que peut soulever notre organisation militaire actuelle sont vives, légitimes. Le haut commandement apparait inférieur, l’exagération du système défensif de la frontière, l’accumulation des forteresses formant autant de pièges à retenir nos forces disséminées, le système régional de recrutement pouvant jeter la consternation et le découragement dans toute une province, spécialement éprouvée à la suite d’une sanglante bataille, la faiblesse de notre cavalerie, l’insuffisance des cadres trop fréquemment rajeunis et la caducité des généraux et des colonels, toutes ces causes d’affaiblissement de notre armée, dont s’émeut, la clairvoyance des patriotes, ne résistent pas à l’enthousiasme, à l’emballement généreux et fortifiant qui s’élève en nous-mêmes au contact des grandes actions du passé. On se dit que les épopées, comme l’histoire, recommencent, et qu’un pays qui a de si prodigieux états de service ns saurait être on danger de périr. Les livres comme ceux de M. Maurice Loir redonnent de la fierté à l’âme, font affluer le sang au cœur et redressent le torse de chaque Français longtemps courbé sous l’humiliation. Une préface de M. Georges Duruy, 12 planchés hors texte et des illustrations en couleur de Julien Le Blant, et un tableau des régiments français font de ce patriotique volume un des meilleurs ouvrages de l’année. Ces récits guerriers sont comme les chants d’une Iliade aux Achilles innombrables, se transmettant d’âge en âge, comme les coureurs de stade le flambeau, le Drapeau de la France. Mme de Witt née Gaizet a déjà corrigé, éclairci, résumé pour la jeunesse les plus intéressants passages de nos vieux chroniqueurs. Cette année ce sont, du docte Suger au précis et anecdotique Froissart, les anciens récits relatifs aux croisades et à saint Louis que Mme de Witt a recueillis et condensés. Avec la couleur et le ton de l’époque, cette dernière aventure de la chevalerie est présentée. Des illustrations d’après les documents du temps ajoutent à l’illusion du récit et font du lecteur un contemporain de Blanche de Castille et du saint roi qui fut le premier, le plus hardi des explorateurs français, l’initiateur du grand mouvement d’expansion de la France en Afrique. Ce volume contient neuf planches en chromolithographie, quarante-six grandes compositions en noir et trois cent deux gravures reproduites d’après les manuscrits et enluminures de l’époque. » (L’Écho de Paris 22 décembre 1896)

« Le drapeau dont ce livre raconte l’histoire, c’est le drapeau aux trois couleurs, dont l’origine remonte à la Révolution. Le récit de M. Maurice Loir ce compose de morceaux empruntés à toutes sortes de mémoires et d’ouvrages militaires, voire à des journaux officiels, et forme une suite d’épisodes éclatants qui commencent avec les campagnes de Bonaparte en Italie et en Egypte et ne s’arrêtent qu’après 1870. Quel cortège de trophées et de souvenirs héroïques défile sous les yeux du lecteur dans ces pages magnifiquement illustrées d’après les aquarelles et les dessins de Julien Le Blant. Tout est épique dans ce volume, y compris même les tableaux de l’année terrible, où les drapeaux de Rezonville, de Saint-Privat, de Gravelotte, de Metz et de Loigny ont aussi leur auréole glorieuse et jettent dans la nuit de la défaite un éclair fait pour relever les âmes. » (La Petite République 26 décembre 1896)

VIGNY – SERVITUDE ET GRANDEUR MILITAIRES

En 1885 Les éditions Jouaust et la Librairie des bibliophiles publient Servitude et grandeur militaires d’Alfred de Vigny dans la collection « Bibliothèque artistique moderne », illustré d’un portrait-frontispice de l’auteur ainsi que de 6 illustrations hors-texte d’après des dessins de Julien Le Blant, gravées à l’eau-forte par Eugène-André Champollion.

Le comte Alfred Victor de Vigny, est est né le 27 mars 1797 à Loches. Il s’est consacré rapidement à la littérature après une carrière militaire dans laquelle il n’a jamais combattu. Il écrit des poèmes, rassemblés dans son recueil Poèmes antiques et modernes (de 1822 à 1826 puis complété en 1837). C’est un romantique, qui donne sa vision désenchantée de la société dans un roman historique : Cinq Mars (1826). Ce roman représente les humiliations infligées à la noblesse par la monarchie absolue. Il met en scène le thème de l’exclusion et de la solitude dans ses poèmes, ou bien le drame dans des nouvelles comme Servitude et Grandeur militaires (1835). Ses œuvres abordent tous les symboles religieux et de figures mythiques, et exposent une pensée humaniste qui voit le salut de l’homme dans la réflexion. Il meurt à l’âge de 66 ans, le 17 septembre 1863 à Paris.

Le graveur Champollion, est né le 30 mars 1848 à Embrun dans les Hautes-Alpes. Formé par Gaucherel et Edmond Hédouin, il collabore à la revue Paris à l’eau-forte entre 1873 et 1876, puis à la Gazette des beaux-arts. Il expose à plusieurs reprises au Salon des artistes français et aux Expositions universelles de 1889 et 1900. Il pratique surtout la gravure d’interprétation et grave entre autres l’œuvre de Georges Rochegrosse. Il illustre des ouvrages de bibliophilie pour les éditeurs Dentu, Ferroud ou Jouaust. La Chalcographie du Louvre lui a commandé des planches issues de son fonds. Il va graver aussi les illustrations du Chevalier des Touches, d’après des dessins de Le Blant, en 1886. Il meurt le 14 juillet 1901 à Lettret.

Servitude et grandeur militaires est un recueil de nouvelles publié en 1835, qui en comprend trois : Laurette ou le Cachet rouge, La Veillée de Vincennes, La Vie et la mort du Capitaine Renaud ou la Canne de jonc.

Résumé

C’est à la fois un roman et une réflexion autobiographique sur le métier militaire, que Vigny a exercé jusqu’à trente ans. La fiction s’incarne dans trois nouvelles, où les aventures, la tension, le pathétique mènent à la philosophie : « Une fable qu’il faut inventer assez passionnée, assez émouvante pour servir de démonstration à l’idée », écrit Vigny, qui apparaît, dans ces trois histoires de passion et d’émotion, tour à tour comme un aristocrate, un soldat, un poète, un styliste, un penseur. Vigny décrit la condition militaire avec une humanité profonde et une pitié fraternelle. Il s’élève avec fermeté contre la doctrine formulée par Joseph de Maistre, qui exaltait le guerrier comme l’instrument aveugle et prestigieux d’une mission divine. Il regarde la guerre comme un fléau et définit la grandeur par l’abnégation, c’est-à-dire par l’acceptation vaillante de la servitude. Dans les armées modernes, en effet, le troupier et même l’officier ne sont que des esclaves : ils doivent l’obéissance passive à une autorité factice qui les prend à ses gages. Mais ce renoncement à soi, souvent obtenu au prix des plus cruels sacrifices, permet à l’homme de sauvegarder sa dignité personnelle. Ainsi se définit une religion de l’honneur. Au sein d’un monde où semble régner la fatalité, cette mystique nouvelle rend à la vie un sens et atteste l’existence d’une liberté.

Critiques de l’époque

« Les dessins qui ornent cette édition sont dus à M. Julien Le Blant, qui s’imposait à notre attention par son double talent de peintre de genre et de peintre militaire. L’habileté avec laquelle il est entré dans l’esprit de l’œuvre qu’il avait à interpréter est venue montrer que nous n’avions pas fait fausse route en nous adressant à lui. Quant à M. Champollion, il a mis à graver les remarquables compositions de M. Le Blant l’intelligence et le soin dont il fournit chaque jour de nouvelles preuves. » (Extrait de la préface)

« Le dernier ouvrage publié par MM. Jouaust et Sigaux dans leur Bibliothèque moderne est la Servitude et Grandeur militaires, d’Alfred de Vigny, que, par un singulier hasard, la Société des Amis des Livres vient également d’éditer pour ses membres fondateurs et correspondants. Les deux livres sont curieux à comparer. L’édition de la Librairie des Bibliophiles a pour illustrateur le peintre des chouans, Julien Le Blant ; celle des Amis des Livres, imprimée sous la direction artistique de M. Henry Houssaye, est entièrement vignettée par le peintre militaire Henri Dupray. …

L’édition de M. Jouaust, sans présenter l’ampleur magistrale qu’ont donnée à leur œuvre d’élection les Amis des Livres, offre un intérêt absolu. Le conte de Laurette est illustré de deux dessins, ainsi que la Veillée de Vincennes et la Canne de Jonc, soit six compositions d’une grande originalité et qui doivent à la gravure de M. Champollion un relief surprenant. M. Le Blant, dans cette œuvre, a montré une grande simplicité ; il n’a point cherché le dramatique tapageur et il a su trouver des scènes émues, toutes contenues dans l’expression parfois admirable de ses personnages. Il a mis moins de passion que Dupray et aussi plus de sentiment poétique. Au demeurant, les deux illustrations sont dignes d’être réunies et je sais quelques amis des livres qui joindront les deux suites dans leur exemplaire, sans oublier les deux portraits d’Alfred de Vigny, à ses débuts et sur la fin de sa vie, que M. Jouaust a eu l’heureuse inspiration de faire graver pour ses souscripteurs sur grand et petit papier. » (Le Livre – Revue du monde littéraire 1885.)

« La Bibliothèque artistique et moderne s’est augmentée de deux ouvrages : Servitude et Grandeur militaire, d’Alfred de Vigny, un volume dont il sera impossible de ne pas tenir compte quand on fera l’histoire de l’eau-forte en notre temps, à cause des admirables dessins de Julien Le Blant, gravés par Champollion ; et Jocelyn, de Lamartine, avec des dessins de Besnard, gravés par de Los Rios. Sans valoir celles de Le Blant, que leur supériorité classera à part dans l’estampe, des compositions de Besnard rendent avec assez de sensibilité le charmé lamartinien. De quelles joies pures ces livres réussis remplissent l’âme d’un amateur. » (Le Temps)

Lors de la vente de la bibliothèque de M. Claude Lafontaine, chez Drouot en mars 1923, une édition originale de Servitude et grandeur militaires a été adjugée pour la somme de 2600 francs.

TOUDOUZE – LA VENGEANCE DES PEAUX-DE-BIQUE

En 1896, les éditions Hachette publient La vengeance des Peaux-de-bique (1793) de Gustave Toudouze enrichi de 52 dessins de Julien Le Blant, dont 16 hors texte, gravés par Devos, Privat, Rousseau, Steinmann, Romagnol et Léveillé.

« La Vengeance des Peaux-de-Bique, par Gustave Toudouze, est un fragment de l’histoire vendéenne. Claude Bodereau, dit Peau-de-Bique, est un de ces héros de la lande et du bocage qu’on admire malgré l’indignation que peut soulever leur rébellion criminelle, faisant cause commune avec les Prussiens et les Anglais qui envahirent la France en 93. Le jeune chouan a pour frère de lait un petit tambour républicain, Fanfan Rataplan. Cet émule de Bara après avoir délivré la mère et les sœurs de Peau-de-Bique, prisonnières à Laval, tombe entre les mains du royaliste. Il pense être tué, mais heureusement une réconciliation s’opère entre les deux frères ennemis, prélude de celle que Hoche devait réaliser entre la Vendée et la mère-patrie. C’est Julien Le Blant, le peintre les Chouans, qui a illustré ce récit. Les cinquante-trois dessins de la Vengeance des Peaux-de-Bique fait de ce roman très intéressant, très littéraire, une véritable œuvre artistique. » (L’Attaque)

Comme transition de l’histoire aux œuvres d’imagination, M. Gustave Toudouze nous donne dans la Vengeance des Peaux-de-Bique, un ouvrage qui participe des deux genres. Le fond de ce récit, c’est l’épopée guerrière des Bleus et des Chouans, dans le Maine, la lutte des batailleurs de Mayenne et des paysans vendéens fanatisés par un chef mystérieux, « Loup-Garou », le vieux sorcier. Au premier plan, se dressent deux jeunes héros, le royaliste Claude Bodereau, dit Peau-de-Bique, et Fanfan Rataplan, le petit tambour républicain, deux ennemis acharnés, qui finissent par se réconcilier quand ils découvrent qu’ils sont frères de lait. Cette œuvre, l’une des plus émouvantes que M. G. Toudouze ait tirées de sa fertile imagination, est superbement illustrée de 53 compositions de M. Julien Le Blant, le célèbre peintre des Chouans. (Journal des débats politiques et littéraires du 21 décembre 1896)

« La Vengeance des Peaux-de-Bique, par Gustave Toudouze, — Le fond de ce roman, c’est l’épopée guerrière des Bleus et des Chouans, dans le Maine, la lutte acharnée des bataillons de Mayence et des paysans vendéens fanatisés par un chef mystérieux, « Loup-Garou », le vieux sorcier. En face du jeune Claude Bodereau ou Peau-de-Bique, l’ardent défenseur de la cause royaliste, se dresse Fanfan Rataplan, le petit tambour, qui poursuit sans trêve son ennemi jusqu’au jour où il apprend que celui-ci, dont la mère et les sœurs sont prisonnières à Laval, n’est autre que son frère de lait. Il sent dès lors tomber toute sa haine, entreprend de sauver les captives et y réussit ; mais il tombe juste à ce moment sous les coups de Peau-de-Bique qui, à son tour, est laissé pour mort. Finalement les deux frères se réconcilient sous l’égide de Mlle de Grave, la bonne fée secourable dont la figure plane doucement sur ce drame étrange et sanglant, qu’emplissent le frisson des grands bois et le hurlement sinistre de la chouette. Julien Le Blant, le célèbre peintre des Chouans, a magistralement illustré l’œuvre de G. Toudouze. » (La Libre Parole 14 décembre 1896)

« Enfin, le roman historique est présent, un roman de chouannerie : La vengeance des Peaux de bique, écrit, avec le souci de la vérité, par Gustave Toudouze. C’est une des grandes épopées républicaines, la lutte des bataillons de Mayence contre la Vendée fanatisée. Toudouze a lait revivre les passions aux prises, et les a évoquées dans leurs décors exacts : vieilles villes, campagnes du Maine, grands bois mystérieux où gémit la chouette. Il a été aidé en cela par son illustrateur, M. Julien le Blant, qui s’est fait, comme on sait, une réputation à reconstituer les scènes de cette époque et de cette région. » (La Justice 24 décembre 1896)

« La Vengeance des Peaux-de-Bique, par Gustave Toudouze, retrace la guerre des Bleus et des Chouans dans le Maine. L’auteur s’est efforcé de vanter les mérites des uns et des autres, mais on voit que ses sympathies sont pour les premiers. […] On redressera comme il convient quelques-unes des appréciations ; mais on remarquera les dessins toujours vivants de M. Julien le Blant. » (La Gazette 24 décembre 1896)

Le carrefour de la belle étoile

Ce livre écrit en 1986 par Anne Bernet était resté inédit. Les illustrations originales de J. Le Blant ont été réalisées en 1896 pour le livre de Gustave Toudouze « La Vengeance des Peaux-de-Bique ». Curiosité, ou cadeau inespéré fait au lecteur : tel peut apparaître Le carrefour de la Belle-Etoile, longue nouvelle, ou bref roman, comme bon vous semble, qu’Anne Bernet écrivit en 1986, au tout début de sa carrière et qui représente, si l’on excepte ses chansons et ses articles, sa première œuvre littéraire, à ce jour restée inédite. Le lecteur retrouvera pourtant dans ce texte de jeunesse l’essentiel, déjà, de sa thématique et comme un avant-goût des livres à venir. L’Ouest, les Chouanneries, la Vendée, Dieu, le Roi, tout s’entrecroise dans cette histoire d’une vengeance, et d’une rédemption, en apparence également impossibles. Au fil de ce récit mis en abîme, riche en rebondissements, où l’influence de Barbey d’Aurevilly, comme celle de La Varende se devine, revivent deux siècles d’ancrage dans les antiques fidélités catholiques et royales, tour à tour incarnées dans des personnages drolatiques ou tourmentés, mais jamais exempts de grandeur.

TOUDOUZE – ENFANT PERDU 1814

En 1895 les éditions Hachette publient Enfant Perdu (1814) de Gustave Toudouze avec cinquante dessins de Julien Le Blant gravés par Auguste Léveillé.

Gustave Toudouze est né le 19 mai 1847 à Paris. Il est le fils aîné de l’architecte et graveur Gabriel Toudouze, auteur d’une série d’eaux-fortes et d’une belle œuvre dessinée, conservée à la Bibliothèque nationale. Sa mère, Anaïs Colin, est artiste peintre. Après des études au collège Sainte-Barbe de 1855 à 1869, il devint un familier des dimanches de Gustave Flaubert, qui encouragea ses débuts, puis du « grenier » d’Edmond de Goncourt. Il fut lié avec Émile Zola, Alphonse Daudet, Alexandre Dumas fils et surtout Guy de Maupassant qui lui dédiera la nouvelle En voyage en 1883.

Pendant la Belle Époque, l’été, Gustave Toudouze fréquente la colonie artistique de Camaret-sur-Mer en Bretagne. Il meurt à Paris le 2 juillet 1904.

Le graveur Auguste-Hilaire Léveillé est né à Joué-du-Bois le 31 décembre 1840. Il est expert dans tous les procédés de gravure, avec une préférence pour le travail sur bois. Il exécute à partir des années 1860 de nombreuses xylogravures, signées «A. Léveillé», pour des périodiques comme Le Magasin pittoresque, L’Univers illustré, L’Art (à partir de 1875), la Revue illustrée, Le Monde illustré, ou la Gazette des beaux-arts. Il grave également de nombreuses vignettes pour des livres illustrés, dont des vues anatomiques pour des traités de médecine. Son travail de peintre est montré au Salon de 1873. Avant 1892, il produit pour la Banque de France le recto d’une coupure de réserve, imprimée en prévision d’une trop forte augmentation de la contrefaçon. Il devient à partir des années 1880 l’un des graveurs des œuvres sculptées d’Auguste Rodin. Il grave, d’après des dessins de Julien Le Blant, 110 illustrations pour Les Chouans d’Honoré de Balzac, 161 pour Le Chevalier de Maison Rouge d’Alexandre Dumas, 50 pour Enfant perdu 1814 de Gustave Toudouze et encore quelques-unes pour La vengeance des Peaux-de-Bique du même Gustave Toudouze. Il meurt le 12 avril 1900 au boulevard du Montparnasse à Paris.

Résumé

Le roman a pour cadre la fin de la campagne de France, au début de l’année 1814, pendant laquelle Napoléon Ier tente d’arrêter l’invasion de la France par les alliés européens et de conserver son trône. Malgré plusieurs victoires et après l’entrée des troupes prussiennes et russes dans Paris, l’empereur va abdiquer le 6 avril 1814 et partir en exil à l’île d’Elbe. Un des derniers chapitres du livre raconte la bataille de Fère-Champenoise, le 25 mars 1814, qui s’est soldée par la défaite de l’armée française et a ouvert, aux troupes de la coalition, la route de Paris. Toudouze fait vivre à ses héros le fameux épisode où les généraux Pacthod et Delort, qui commandaient les deux derniers carrés français, avaient pourtant réussi, grâce à leur bravoure, à repousser l’assaut ennemi. Julien Le Blant avait traité ce même sujet en 1886 avec son tableau Le combat de Fère-Champenoise.

Le terme d’Enfants Perdus, utilisé dans le titre, fait référence à un surnom que l’on donnait à des groupes de partisans ou de corps francs. On peut donc imaginer l’intérêt qu’a eu Julien Le Blant à illustrer ce roman de Toudouze. Comme le héros de l’histoire qui quitte son lycée à 17 ans pour s’engager dans un corps franc, Julien Le Blant avait aussi été un « Enfant Perdu » en 1870 lorsqu’il avait abandonné ses études d’architecture pour défendre Paris dans le corps franc de Paul de Jouvencel.

Le jeune héros du roman, Marius Mahot, rêve de défendre sa patrie mais, en fervent républicain, il ne souhaite pas se mettre directement au service de l’empereur. Il en veut d’ailleurs terriblement à ce dernier d’avoir injustement condamné son père. Avec l’aide de son majordome Louis Popin, il va monter une petite compagnie de dix hommes qui, par sa bravoure, va rendre de précieux services à la Grande Armée.

Critiques de l’époque

« Le livre que M. Gustave Toudouze vient d’écrire sous le titre Enfant perdu prendra place au premier rang des ouvrages à mettre entre les mains des jeunes gens. C’est une histoire patriotique que le cœur a inspirée, mais la raison a guide la plume de l’écrivain, et il se dégage de son chaleureux et vibrant récit une liante moralité. L’action se passe en 1814 l’année de la terrible invasion. Le héros du livre est un jeune collégien, Marius Mahot, fils d’un républicain au cœur chaud, à l’âme enthousiaste, et qui a été exilé par Fouché obéissant aux ordres de l’empereur. A seize ans, Marius Mahot, apprenant que l’ennemi foule le sol de la patrie, s’engage dans le bataillon des Enfants perdus. C’est au récit de ses exploits que le livre est consacré. Marius a le cœur vaillant et le bras fort; sa conduite est constamment digne d’éloges. C’est toujours l’amour de son pays qui le guide ; il puise dans ce sentiment une force toujours renaissante. M. Gustave Toudouze a su répandre avec la plus grande habileté l’intérêt dans tout le cours de son livre. On devine là le romancier habitué à dresser une intrigue. Il y a dans Enfant perdu des pages très dramatiques ; il y en a de vraiment charmantes. Les types de troupiers qui composent le bataillon des Enfants perdus sont crayonnés avec couleur et vivacité. A diverses reprises, la silhouette de Napoléon apparaît, saisissante et pleine de grandeur. Mais j’ajoute tout de suite que Gustave Toudouze ne donne pas dans l’aveugle légende napoléonienne ; il y a, je l’ai dit, une grande raison dans son livre. Il y a de curieux portraits : celui du père de Marius qu’on voit apparaître, à la fin du livre, sur un champ de bataille où il retrouve son fils blessé ; celui d’un professeur de rhétorique, nourri de Tacite, de la bonne moëlle romaine, et qui dit à ses élèves des choses fort éloquentes sur l’ambition coupable de Napoléon. En composant un récit destiné à la jeunesse, Gustave Toudouze a voulu rester bon écrivain ; son livre est écrit dans une langue très élégante. La trame du récit se déroule avec art ; les péripéties se succèdent avec vraisemblance. Il y a parfois de la gaité, bien que la plupart des tableaux nous montrent la France se débattant au milieu de l’invasion. Mais un invincible espoir anime l’âme des personnages et communique au livre comme une sorte d’allégresse. Le patriotisme a vraiment porté bonheur à M. Gustave Toudouze. Le texte d’Enfant est accompagné de dessins dus à M. Julien Le Blant, habile à reproduire avec fidélité les scènes militaires. Il a mis dans cette nouvelle illustration le souci de l’exactitude et une grande variété. » (La Petite Gironde 11 mars 1895)

« C’est une œuvre émouvante et patriotique que Gustave Toudouze a écrite spécialement pour la jeunesse.  Il nous montre, à côté de l’héroïsme d’un rhétoricien courant au secours de ta patrie en danger, le patriotisme d’une mère, d’une sœur, d’une fiancée, d’un proscrit ; il nous retrace leurs émotions au milieu des dramatiques péripéties de l’invasion de 1814, sans que ses héros perdent leur gaîté toute française, môme dans les situations les plus désespérées. Au charme d’un passionnant roman d’aventures s’ajoute l’impression saisissante de la réalité. Les dessins de J. Le Blant, le maître artiste qui comprend d’une façon si juste les époques pittoresques, donne une valeur toute spéciale à ce livre si intéressant. Le passage de Napoléon au milieu des éclairs, entraînant tant d’hommes à la mort, entre la tempête du ciel et la tempête de la bataille, est, une composition absolument remarquable. (Judith Gauthier – Le Rappel 12 décembre 1894)

« Un rhétoricien (et nous sommes en 1814) vole au secours de la patrie en péril ; une mère, une sœur, une fiancée partagent ses émotions et parfois ses périls. C’est l’invasion, la campagne de France et Napoléon. Le récit n’est point mélancolique ; un ton de bravoure plutôt l’anime, tandis que par une interprétation superbe l’artiste élevé le roman jusqu’à l’œuvre d’art. » (La Souveraineté nationale 30 décembre 1894)

« Pour son « Enfant perdu (1814) », M. Gustave Toudouze a eu, pour collaborateur par le crayon, le maître-peintre Julien Le Blant. Cette histoire d’un fils de proscrit, un tout jeune homme, qui forme, avec l’aide d’un vieux grognard, une vaillante petite troupe de défenseurs, presque enfants, du sol natal envahi, abonde en péripéties captivantes. » (La Vie contemporaine)

Le 6 décembre, une vente des cinquante dessins d’illustration pour Enfant perdu 1814 de Gustave Toudouze ainsi que des trois du Talisman de Walter Scott rapportent à Julien Le Blant 14’555 francs, une belle somme sachant qu’à la même période, Claude Monet fait frémir tout Paris en demandant le même prix, 15’000 francs, pour chacune de ses Cathédrales.

MÉMOIRES DU SIEUR DE PONTIS

A Paris, chez Hachette et Cie, 1898, 1898. In-4, 12 planches hors-texte en couleurs et 12 en-têtes et culs-de-lampe d’après les aquarelles de Julien Le Blant, couverture et 12 frontispices d’après les aquarelles de Giraldon.

Résumé

L’ouvrage est basé sur les souvenirs de Louis de Pontis, qui a servi dans les armées cinquante-six ans, sous les rois Henri IV, Louis XIII et Louis XIV.

À seize ans Louis de Pontis embrassa la profession des armes ; il obtint de Louis XIII une lieutenance dans les gardes, puis une compagnie. Les nombreuses occasions où il s’était signalé par sa bravoure et sa prudence lui avaient aussi valu l’agrément du roi pour l’acquisition de la charge de commissaire général des Suisses, mais il fut obligé d’y renoncer, à cause des obstacles que lui suscita le cardinal de Richelieu, au service duquel il avait refusé d’entrer.

Employé dans les Pays-Bas et en Allemagne, il servit 56 ans dans les armées du roi et venait d’être nommé maréchal de bataille lorsque des revers de fortune, la mort d’un de ses meilleurs amis Henri II de Montmorency et le dégoût du monde lui inspirèrent le projet de se retirer dans la maison de Port-Royal des Champs, où il termina sa vie, au milieu des pratiques de la prière et de la pénitence.

Ses Mémoires, éditées en 1676 par Du Fossé d’après ses récits, ont été réimprimées plusieurs fois. Ecrites d’un style facile et naturel, elles dépeignent le cardinal de Richelieu avec noirceur. Il semble, suivant l’opinion de Grosley, avoir eu pour but d’offrir un modèle de conduite aux officiers dans toutes les circonstances où le sort peut les placer. Mais le père d’Avrigny et Voltaire ont eu tort de conclure que Pontis n’avait pas existé. Sa famille était très connue en Provence, et lui-même, considéré à son époque comme le plus courageux militaire français. Son portrait a été gravé d’après un tableau de Philippe de Champaigne, et l’épitaphe de son tombeau est rapportée dans le Nécrologe de Port-Royal.

Critiques de l’époque

« Les Mémoires du sieur de Pontis. En 1650, le sieur de Pontis, qui n’avait jamais cessé d’être honnête homme et bon chrétien, commença de faire sur sa vie quelques réflexions sérieuses. Il allait avoir bientôt soixante-dix ans et en avait passé cinquante-six dans les armées. De ces longs travaux, que lui était-il revenu ? Beaucoup de fatigues et quelques rares avantages, toujours ex posés aux retours de la fortune. Allons ! le temps était venu pour lui de faire une fin et de quitter les choses qui passent pour se consacrer tout entier au souci de son salut. — Deux ans après, Pontis se retirait à Port-Royal. Mais, en renonçant au monde, le vieux soldat ne renonçait pas à ses souvenirs. L’un des plus jeûnes parmi les solitaires, le modeste et savant Thomas du Fossé, aimait à les lui faire raconter, et, comme ses récits étaient pleins de verdeur et de couleur, comme ils ne blessaient jamais la modestie ni le bon goût, il amena  insensiblement le vieillard à les lui répéter plusieurs fois, de manière à les transcrire, pour ainsi dire, sous sa dictée. Quand ces Mémoires parurent (1676), six ans après la mort de Pontis, ce fut un enchantement. Mme de Sévigné avoue qu’elle ne peut s’en détacher. C’est qu’aussi la vie militaire d’un demi-siècle s’y trouve ressuscitée. Et quelle curieuse époque ! toute pleine encore de l’esprit de tumulte du siècle précédent. C’est le temps d’Henri IV et de Louis XIII, le temps où les plus honnêtes gentilshommes, quand ils ne trouvent pas d’emplois dans l’armée du Roi, ne se font pas faute d’entrer dans celle d’un, autre prince, au besoin de lever eux-mêmes une troupe de braves gens disposés à bien faire et à vivre le mieux du monde en tenant la campagne et en rançonnant le campagnard. C’est le beau temps des duels et des coups de main, des embuscades criminelles et des héroïques folies. C’est le temps des Trois Mousquetaires. Et, en effet, c’est bien-à Dumas père et, à ses héros que songera tout de suite le lecteur moderne en lisant les scènes amusantes et pathétiques qui se déroulent à travers ces Mémoires. Mais c’est, cette fois, un Dumas qui a vu de ses yeux ce qu’il raconte et donné lui-même les beaux coups d’épée qui-nous émerveillent. Revus avec le plus grand soin sur la première édition, devenue très rare et dont, à l’exception de quelques passages d’un moindre intérêt, nous reproduisons intégralement le texte, les récits de ce soldat de jadis ne pourront manquer d’intéresser nos jeunes gens d’aujourd’hui, les soldats de demain. » (Le Figaro 22 décembre 1897)

« Les Mémoires du sieur de Pontis, abrégés, et publiés par J. Servier, rappelleront à tous les lecteurs le principal personnage de deux romans célèbres d’Auguste Maquet : La Belle Gabrielle et La Maison du Baigneur. Ces précieux et intéressants « Mémoires », illustrés de 12 planches hors texte en couleurs et 24 gravures dans le texte, d’après les aquarelles de Julien Le Blant, ne nous révèlent pas seulement la vie d’un vieux soldat tout entière consacrée à la France, c’est aussi la peinture d’une curieuse époque, toute pleine de l’esprit de tumulte du siècle précédent ; peinture rendue plus vivante encore par les 86 gravures en couleurs qui illustrent le texte, d’après les aquarelles de Julien Le Blant. » (L’Intransigeant)

« La vie militaire d’un demi-siècle se trouve ressuscitée dans les Mémoires du Sieur de Pontis. Quelle curieuse époque ces mémoires dépeignent ! toute pleine encore de l’esprit de tumulte des règnes précédents : c’est le temps d’Henri IV et de Richelieu, mais non pas encore celui de Louvoie; c’est le temps où les plus honnêtes gentilshommes, quand ils ne trouvent pas d’emploi dans l’armée du roi, ne se font pas faute d’entrer dans celle d’un autre prince, au besoin de lever eux-mêmes une troupe de braves gens disposés à bien faire et à vivre le mieux du monde en tenant la campagne et en rançonnant le campagnard : n’est le beau temps des duels, des coups de mal des embuscades criminelles et des héroïques folies. C’est le temps des Trois Mousquetaires. Et en effet, c’est bien è Dumas père et à ses héros que les scènes qui se déroulent à travers ces Mémoires feront tout de suite songer le lecteur moderne. Mais c’est cette fois un Dumas qui a vu de ses yeux ce qu’il raconte et donné lui-même les beaux coups d’épée qui nous émerveillent. Si jamais l’Illustration en couleurs qui fait revivre à nos yeux non seulement les personnages, mais les costumes dans ce qu’ils ont de plus pittoresque, s’est trouvée bien à sa place, c’est assurément en un pareil volume, et rarement aussi le grand artiste qu’est J. Le Blant aura rencontré sujet plus en harmonie avec son talent. » (La Gazette)

« Les Mémoires du sieur de Pontis ne nous révèlent pas seulement la vie d’un vieux soldat tout entière consacrée à la France et à son roi Louis XIII ; c’est aussi la peinture d’une curieuse époque, toute pleine de l’esprit de tumulte du siècle précédent ; peinture rendue plus vivante encore par les 36 gravures en couleur qui illustrent le texte, d’après les aquarelles de Julien Le Blant. Ce livre tient à la fois du roman et de l’histoire, et le sieur de Pontis est un mousquetaire d’A. Dumas qui a vu de ses yeux ce qu’il raconte et donne lui-même les beaux coups d’épée qui nous émerveillent. » (La Revue chrétienne)

« À notre époque positive, où l’énergie des citoyens s’applique uniquement à accroître leurs richesses et à assurer leur bien-être matériel, on éprouve comme un sentiment de fierté à regarder ce que furent nos aïeux, les exploits qu’ils accomplirent, comme ils surent bravement mourir pour leur Dieu, pour leur Roi ou pour leur Dame. Le seigneur de Pontis, qui guerroyait au temps de M. le Cardinal, était un de ces héros. Les mémoires qu’il a laissés sont aussi attachants et variés qu’un roman d’aventures. Deux cents ans avant Marbot, il montra une égale vaillance dans l’action et, dans le récit, une égale belle humeur, avec un tant soi peu de hâblerie. Cela est proprement délicieux. […] Vingt épisodes seraient à citer : les furieux coups d’épée de Pontis, ses duels dont retentissaient la cour et la ville et une certaine querelle avec son mestre de camp qui faillit lui faire perdre la faveur de Sa Majesté. Ces pages, illustrées par le crayon de Giraldon et le pinceau de Le Blant, sont un régal auquel tout le monde trouve son profit, les petits et les grands, les simples et les philosophes.» (Les Annales politiques et littéraires)

À l’origine des Trois Mousquetaires

« M. J. Servier a eu l’idée de rééditer les Mémoires du sieur de Pontis. Ce fut une bonne idée, dont l’exécution était délicate, puisqu’il fallait, par des coupures et rajeunissements, les mettre au point de la curiosité actuelle, mais qui fut heureuse.  Songez en effet que ces Mémoires eurent pendant plus d’un siècle une vague exactement égale à celle de leur génial bâtard le roman des Trois Mousquetaires.  Au témoignage même de Voltaire qui contestait en vain et à faux leur authenticité, ils firent leur tour d’Europe. « Les jeunes barons allemands, dit-il quelque part sur un ton de persiflage où perce la jalousie de l’auteur des chapitres, des anecdotes dans le Siècle de Loups, XIV, les palatins polonais, Les dames de Stockholm et de Copenhague, les lisent, et croient y apprendre ce qui s’est passé de plus secret à la cour de France ».  Ils n’étaient pas si dupes, car si Pontis n’a pas tenu la plume et si, de ce chef, son langage n’a pas la saveur acre des Cahiers du capitaine Cogniet, du moins son secrétaire probable, Thomas Dufossé écrivit-il sous sa dictée, à Port-Royal, et nous garda-t-il tout le costume du temps, toute la grande allure du style Louisquatorzien, et l’accent même du héros.  Car c’en est un, et des plus curieux que cet officier de fortune de l’ancien régime qui ne dépassa jamais le grade de capitaine des gardes de Sa Majesté ; malgré ses prodigieux services.  Et comme elle en dit long sur les mœurs et toute la vie organique de l’armée de l’ancien régime, sa curieuse odyssée. Imaginez un d’Artagnan qui aurait réellement vécu ses prouesses, tour à tour chef de partisans à la solde de princes étrangers, gagnant lentement ses galons à la pointe de l’épée, sur tous les : champs de bataille des guerres de religion et de la guerre de Trente Ans, prisonnier de guerre en Allemagne, honoré par raccroc de caractéristiques confidences des puissances, y compris le roi, redresseur de torts, à l’occasion, dans ses congés, brave a la plus admirable intrépidité, au reste souple de l’esprit mais non de l’échine, ce qui explique assez la médiocrité de son avancement, et qui finira dévotement sa vie dans la solitude de Port-Royal, laissant compter sur son athlétique cadavre les cicatrices de vingt-deux blessures.  En vérité, je ne sais rien de plus curieusement documentaire sur la vie militaire sous l’ancien régime que ces mémoires de notre mousquetaire provençal, marqués au sceau de la plus cl air voyante sincérité et de la plus humoristique crânerie. Et on comprend sans peine que leur succès ait éclipsé celui des Mémoires du comte de Rochefort et même des Mémoires de M. d’Artagnan, œuvre de l’imagination de Sandras de Courtilz qui suggérera l’épopée des Trois Mousquetaires.  La présente édition mérite un regain de cette curiosité séculaire. Toutes les discussions et dissertations de piété, de morale ou d’histoire trop connue qui faisaient longueur dans l’édition primitive,  à notre goût du moins, sinon à celui plus robuste de nos aïeux, a été retranché sans qu’il en coûte rien à l’intérêt du fond ni de la forme.  Celle-ci, je m’en suis assuré et voyez s’il fallait que le livre m’intéressât — n’a été rajeunie que juste dans la mesure nécessaire, c’est-à-dire par une opportune transformation du style périodique et oratoire de l’auteur en style plus coupé et plus dialogué, ce qui fut l’affaire de quelques points et tirets et petits mots de suture, par la substitution de quelques termes plus modernes à ceux dont l’archaïsme risquait de faire écran au sens non sans respecter d’ailleurs ceux de ces termes archaïques ou techniques dont le pittoresque ne se pouvait effacer sans profanation, quitte à les expliquer par une note rapide.  Bref, tout ce travail de rajeunissement a été d’une discrétion égale à celle de la plus pieuse des restaurations archéologiques. Les aquarelles de M. Julien le Blant ont fait le reste, mariant étroitement leur pittoresque et même leur esprit à ceux du texte. Voilà un bel et bon livre d’étrennes pour nos rhétoriciens et un précieux supplément au cours de leur professeur d’histoire. » (Le XIXe siècle 15 décembre 1897)

NAISSANCE DANS LES LARMES

Edmond-Frédéric Le Blant épouse le 8 avril 1850, Marie Louise Gasparine Lemaire, fille de Louis Julien Lemaire, trésorier de la ville de Paris, chevalier de la Légion d’honneur, et de Caroline Roudler demeurant au 43 rue de Luxembourg (actuelle rue Cambon dans le 1er arrondissement).

4 Rue Tronchet à Paris

Edmond Le Blant est domicilié avant son mariage au 26 rue de la Chaussée d’Antin. Le couple s’installe au 4 rue Tronchet, maison appartenant à la famille Lemaire. Julien Le Blant nait de cette union le 30 mars 1951. La déclaration de naissance est faite auprès du conseiller général de la préfecture M. Frottin par le père de l’enfant, Edmond Le Blant, son grand-père, Louis Lemaire, ainsi que par M. François Trémisot, chef de division à la préfecture de la Seine.

Acte de naissance de Julien Le Blant

Malheureusement, la mère de Julien décède le 20 avril à 21 ans des suites de son accouchement. Elle est inhumée deux jours plus tard au cimetière du Nord (cimetière de Montmartre). Âgé de 71 ans, son père éploré publie à l’imprimerie Simon Dautreville à Paris :                                                       

Stances sur la mort de ma filleÀ mon petit-fils Julien Le Blant.

Cher enfant, tu naquis dans le deuil et les larmes :

Ta pauvre mère est morte en te donnant le jour !

Malgré nos soins pieux, nos pleurs et nos alarmes

Dieu l’a ravie à notre amour !

Sa jeunesse et ses charmes

Ont escorté son âme au céleste séjour !

Le jour anniversaire où, d’heureuse mémoire,

Jésus, de son tombeau sortit dans sa splendeur,

Ta mère entrait au sien ! victime expiatoire

Offerte au divin Rédempteur …

Jour de deuil et de gloire !

Que ton cruel contraste a dû navrer son cœur !

1851

Comme la fleur qui meurt, au lever de l’aurore,

Elle a perdu la vie, à peine en son printemps.

Le flambeau de l’hymen ne fut qu’un météore

Qui l’éblouit quelques instants Comme un feu qui dévore !…

Fiancée au bonheur… elle est morte à vingt ans !…

Qu’elle eût un sort fatal ! Comme un tendre Ephémère

Elle est venue au monde ; et l’arrêt du destin

Ne lui donna qu’un an pour être épouse et mère !

Puis elle a vu finir soudain

Sa destinée amère,

Sans pouvoir recueillir ton sourire enfantin !

Ah ! qu’elle a dû souffrir, quand Dieu nous l’a ravie !

Quand elle a vu la mort, à la fleur de ses jours !

Mère, enfant, père, époux, seuls charmes de sa vie,

Objets de ses tendres amours…

A sa triste agonie,

Tout ce ciel étoilé s’éclipsa pour toujours !

On la nommait MARIE ; elle était belle et sage ;

On aimait ses talents, ses grâces, ses vertus.

Nous, dans nos souvenirs, nous gardons son image ;

Mais, pour toi, ses traits sont perdus ;

Que je plains ton jeune âge !

Hélas ! pauvre orphelin, tu ne la verras plus !

Connais mon désespoir… Ta mère était ma fille !

Ta pauvre aïeule et moi, brisés par nos douleurs

Nous avons vu mourir l’ange de la famille !

Viens la suppléer dans nos cœurs…

Viens, ta grâce gentille

Un jour… peut-être, un jour, adoucira nos pleurs.

Comment à ton berceau dérober ma tristesse ?

Par des regrets amers nos fronts sont assombris…

Mais nos cœurs sont à toi ; compte sur leur tendresse !…

De ma fille vivant débris,

Que ton sort m’intéresse !

Prends place au premier rang de nos enfants chéris.

Et toi, ma fille, et toi ! … de ton séjour suprême,

Vois ton fils sur nos seins et bercé dans nos bras.

Nos pleurs vont se mêler à l’eau de son baptême…

Viens nous assister, viens, hélas !

Tu sais combien je t’aime !

Descends vers nous, chère âme, et ne nous quitte pas.

Ma fille, mon enfant ! toujours ta douce image

D’un prestige adoré charme mon souvenir.

Mais quand je vole à toi… j’embrasse un sarcophage !!!

Attends ! attends ! je vois venir,

Comme un heureux présage,

Le jour où ce tombeau pourra nous réunir !

Mon Dieu! fortifiez mon cœur dans sa croyance.

Puis-je être de ma fille à jamais séparé ?

Non, Bon ; il est un ciel où finit la souffrance ;

Malheur au cœur désespéré !

La Foi, c’est l’Espérance…

Promettez-moi, mon Dieu, que je la reverrai !…

DE MAISTRE – LES PRISONNIERS DU CAUCASE

Les Prisonniers du Caucase de Xavier de Maistre avec neuf compositions de Julien Le Blant, gravées à l’eau-forte par Louis Müller. La préface de l’ouvrage est écrite par Léo Claretie. L’ouvrage, tiré à 500 exemplaires numérotés, est édité en 1897 par A. Ferroud pour la librairie des Amateurs.

Julien Le Blant a réalisé neuf dessins pour une réédition luxueuse des Prisonniers du Caucase, roman écrit en 1824 par Xavier de Maistre. Xavier de Maistre, né à Chambéry en 1763, est un grand écrivain et peintre. Il a aussi été général au service du tsar Alexandre Ier pour lequel il a combattu aux confins de l’empire russe. Les Prisonniers du Caucase, un récit riche en rebondissements qui mêle de façon heureuse réalisme psychologique et pittoresque de l’intrigue, a été écrit à la suite de ces périples.

Le graveur de l’ouvrage, Louis Müller, est né à Vénissieux le 22 février 1902, est l’élève d’importants graveurs comme Henri-Auguste-Jules Patey, Henri Bouchard et Henri Dropsy. En 1895, il réalise neuf gravures pour La mort du Duc d’Enghien de Léon Hennique d’après des dessins de Le Blant. En 1929, il reçoit le second prix de Rome de gravure en médailles et pierres fines et, en 1932, le premier prix. Il meurt à Antony en 1957.

Résumé

Alors qu’il se rend dans les gorges du Caucase afin de prendre son poste, le major Kascambo tombe en embuscade et devient prisonnier des Tchetchenges. Craignant des représailles, ces derniers font conduire le major dans un village éloigné, chez les montagnards, pieds nus et enchaîné. Yvan, son « denchik », domestique soldat, apprenant le sort de son maître, veut à tout prix être auprès de lui et se constitue prisonnier. On oblige bientôt Kascambo à rédiger des lettres aux autorités Russes, afin de demander une rançon en échange de sa vie sauve. Mais le temps s’écoule et rien ne vient, il subit les pires traitements, ne trouvant de répit qu’en jouant, parfois, à la guitare pour amuser son geôlier et accompagner Yvan qui danse. Celui-ci n’aura de cesse de chercher le moyen de libérer le major Kascambo, gagnant la confiance des geôliers, des autres habitants, allant jusqu’à se convertir pour apaiser leur méfiance et les accompagner lors de certains méfaits. Belle histoire d’hommes que cette anecdote tirée des œuvres de Xavier de Maistre, présentée ici sous la forme d’un petit livre d’une édition ancienne. L’auteur nous fait découvrir l’âme cruelle des Tchetchenges, avides de batailles et de pillages, de rançons en échange des prisonniers. La volonté d’Yvan, sa fidélité à toute épreuve et sa loyauté sont une magnifique leçon de courage.

Critiques de l’époque

« On ne leur avait pas fait encore les honneurs d’une édition vraiment luxueuse. Est-ce par esprit de clocher que Ferroud a voulu contribuer à glorifier ainsi son compatriote ? je crois plus volontiers que c’est parce qu’en éditeur avisé et plein de goût il a senti quel beau livre pouvait naître de la collaboration d’un artiste tel que Julien Le Blant, et d’un écrivain comme Xavier de Maistre. Et il ne s’est pas trompé, car les Prisonniers du Caucase réunissent toutes les qualités que peut exiger un bibliophile délicat. Les neuf compositions de M. Le Blant sont bien ordonnées ; il y a beaucoup de naturel, de vie et de simplicité dans ces petits tableaux où se meuvent ces farouches Tchetchenges. Il serait injuste de ne pas ajouter que le talent du peintre a été aussi heureusement servi par celui du graveur, M. Louis Müller, qui a interprété habilement les compositions et en a très bien rendu la couleur. » (Le Bulletin du bibliophile)

Voici encore un superbe volume qui vient s’ajouter à la collection déjà si riche et si recherchée des livres édités par Ferroud. Les Prisonniers du Caucase nous sont présentés par M. Léo Claretie, dans une longue préface, très nourrie, où fourmillent les détails et les renseignements sur la vie si peu connue du célèbre écrivain. Xavier de Maistre est certainement l’un des auteurs les plus lus, ses œuvres ou du moins certaines de ses œuvres ont été souvent réimprimées, et l’on peut s’étonner, avec M. Léo Glaretie, que la vie de l’auteur du Voyage autour de ma chambre n’ait pas tenté davantage les biographes et les chercheurs de documents. On connaît, dans ses grandes lignes, certains épisodes de son existence, mais en est-il beaucoup, par exemple, qui sachent que les débuts de Xavier de Maistre dans la carrière des lettres furent le fameux prospectus qu’il rédigea à l’occasion de l’ascension du premier aérostat lancé par les frères Montgolfîer. Savait-on que lui-même monta dans la nacelle de ce ballon et qu’au moment solennel du Lâchez tout il tint fidèlement la promesse qu’il avait faite dans son propectus. « Le ballon, dit ce document, s’enlèvera au signal de « Honneur aux dames ». Les aéronautes, c’est convenu, recevront à leur retour l’accolade des spectatrices. » M. Claretie affirme que les dames tinrent aussi leur promesse. Le préfacier nous conte encore bien d’autres anecdotes sur Xavier de Maistre qui, s’il fut aérostier par occasion, cultiva la peinture, fit la guerre et écrivit d’excellents livres. Avec le « Voyage autour de ma chambre », les « Prisonniers du Caucase » sont le plus célèbre écrit de l’auteur. On a lu et relu ces scènes si pittoresques de la vie Caucasienne, mais jusqu’à présent on ne leur avait pas fait encore les honneurs d’une édition vraiment luxueuse. Est-ce par esprit de clocher que Ferroud a voulu contribuer à glorifier ainsi son compatriote ? je crois plus volontiers que c’est parce qu’en éditeur avisé et plein de goût il a senti quel beau livre pouvait naître de la collaboration d’un artiste tel que Julien Le Blant et d’un écrivain comme Xavier de Maistre. Et il ne s’est pas trompé, car les Prisonniers du Caucase réunissent toutes les qualités que peut exiger un bibliophile délicat. Les neuf compositions de M. Le Blant sont bien ordonnées ; il y a beaucoup de naturel, de vie et de simplicité dans ces petits tableaux où se meuvent ces farouches Tchetchenges. Il serait injuste de ne pas ajouter que le talent du peintre a été aussi heureusement servi par celui du graveur, M. Louis Muller, qui a interprété habilement les compositions et en a très bien rendu la couleur.

G. V. (Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire 1897)

GEORGE SAND – MAUPRAT

1886 Mauprat de George Sand. Edition A. Quantin, 1886 avec dix compositions par Le Blant, gravées à l’eau-forte par Henri Toussaint.

Les éditions Quantin commandent à Julien Le Blant dix dessins pour illustrer une édition de luxe de « Mauprat », écrit en 1837 par George Sand. Ces illustrations sont réalisées à l’eau-forte par Henri Toussaint. Le graveur Henri Toussaint est né à Paris le 10 avril 1849. Il s’est fait remarquer au Salon de Paris en 1874, puis a été récompensé par des médailles de bronze en 1884 ainsi qu’aux expositions universelles de 1899 et 1900. Il est surtout connu pour ses nombreuses estampes représentant l’architecture de Paris et de villes de province. On lui doit également de belles études sur Oxford, Cambridge et Liverpool, notamment. Henri Toussaint meurt à Paris le 25 septembre 1911.

Le roman raconte une histoire qui se déroule pour la majeure partie dans le Berry à l’aube de la Révolution française au XVIIIe siècle. Un jeune garçon issu d’une famille de seigneurs cruels, les Mauprat, échappe peu à peu à son lourd héritage familial grâce à l’amour qu’il éprouve pour sa cousine, nettement plus civilisée que lui. Si Mauprat est avant tout un roman d’amour et une histoire de famille, c’est aussi un roman d’éducation, une fable philosophique et un manifeste féminin.

Résumé

Bernard de Mauprat a perdu ses parents à l’âge de sept ans. Il est alors tombé sous la dépendance de son oncle Tristan de Mauprat et de ses deux fils qui se sont appliqués à le pervertir. Ces trois hommes, derniers rejetons d’une noblesse féodale sauvage et cruelle, vivent de rapines et terrorisent leur voisinage. Edmée de Mauprat, cousine de Bernard, s’étant malheureusement égarée du côté de la demeure des Mauprat, est capturée par ces derniers. Ces monstres poussent Bernard à violer sa cousine. Abruti par l’alcool, Bernard tente de s’exécuter, mais la jeune fille parvient à le contenir et l’amène à fuir le château avec elle. A ce moment, le repaire des Mauprat est attaqué par la Maréchaussée. La bâtisse brûle et les oncles de Bernard passent pour morts. Le jeune homme est recueilli par le Chevalier Hubert, père d’Edmée. Bernard consent à se civiliser et à faire des études pour plaire à Edmée et qu’elle accepte de l’épouser. Mais comme, malgré tous ces efforts, elle refuse toujours, il part pour l’Amérique avec l’armée de Lafayette. Il y demeure six ans. Lorsqu’il revient en France, et qu’il retrouve Edmée solitaire, il la demande une nouvelle fois en mariage mais elle refuse encore. Ils se disputent violemment. Peu après, Edmée est abattue d’un coup de fusil au cours d’une chasse. Bernard est tout de suite soupçonné d’avoir commis le crime et il est jeté en prison. Edmée, remise, intercède pour lui. On découvre ensuite le vrai coupable : il s’agit d’Antoine de Mauprat qui n’était pas mort dans l’incendie de son château. Après cette ultime épreuve, Edmée décide que Bernard est enfin digne d’elle. Ils se marient et vivent heureux malgré les tremblements de la Révolution.

Critiques de l’époque

« Mauprat est le quatrième volume paru dans cette collection des chefs-d’œuvre et, à notre avis, c’est le plus parfait en tous points sous le rapport de la forme artistique. La typographie est remarquable, le caractère de neuf Didot, spécialement gravé pour la maison Quantin, est net, saillant et par conséquent délicieux à l’œil. Le papier du Marais a été très légèrement teinté et n’a plus les tons crayeux des premiers volumes ; l’amélioration est indéniable et l’éditeur a bien fait de céder sur ce point à l’opinion des amateurs qui n’aiment pas, avec raison, trouver au papier de leurs livres de choix le ton brutal d’un plastron de chemise blanche. Il est nécessaire à l’harmonie d’un livre que la teinte du papier soit sobre, douce avec quelque chose de cette patine de l’ivoire que donne le temps. Mauprat réalise cet idéal.

Il serait superflu de revenir sur le mérite littéraire de cette grande œuvre Mauprat, deux fois célèbre par le roman et par le drame. Le côté épique de cette fiction magistrale est resté dans l’esprit de tous et il ne nous reste qu’à envier le plaisir de ceux qui auront la virginité de cette lecture dans le bel ouvrage publié par la maison Quantin. Ce que nous tenons à louer avant toute chose dans ce livre, c’est l’interprétation de M. J. Le Blant qui a réalisé en véritable artiste les principales scènes du chef-d’œuvre de George Sand.

Le peintre des Chouans était bien l’illustrateur désigné pour Mauprat; son tempérament, non moins que les études où il s’est spécialisé, le préparaient à la compréhension intime de cet ouvrage; aussi vient-il de s’y montrer supérieur, soit qu’il ait eu à traiter des pages sentimentales, soit que son crayon se soit mis en mouvement pour peindre les actions mouvementées et tragiques du drame. Il a procédé en tout et pour tout avec une rare simplicité et il a tiré de sa manière des effets surprenants, tour à tour émus ou poignants. Il n’est point, par exemple, de composition plus touchante que celle qui représente Edmée au chevet de Bernard Mauprat, ni de plus largement dramatique que ce joli tableau digne d’un maitre où l’on voit l’escalade de la Roche-Mauprat. Le dessin de M. Le Blant est large, très aéré et toujours consciencieux et précis. Il ne fignole pas ses personnages jusqu’à préciser les moindres détails de costume, mais il se réserve pour l’ensemble qui reste séduisant et impeccable.

M. Le Blant a d’ailleurs trouvé dans M. Henri Toussaint, l’aquafortiste, un interprète habile et très ingénieux qui a eu le rare mérite de graver dans la manière même du peintre ses grandes pages au fusain. Ses dix eaux-fortes sont délicieuses, fines et vigoureuses en même temps, d’une facture indépendante sans trop de burin ou de pointe. Il a droit à toutes les félicitations des connaisseurs. »

(Revue du monde littéraire)

« La maison Quantin, qui vient d’être réorganisée, continue « la Bibliothèque de luxe des chefs-d’œuvre du roman contemporain ». Après Madame Bovary, Monsieur de Camors et le Père Goriot, voici Mauprat avec dix compositions de Julien Le Blant, gravées à l’eau-forte par H. Toussaint. Le jeune peintre des chouans était tout désigné pour l’illustration de l’admirable roman de George Sand, « le chef-d’œuvre, disait Ernest Bersot, du plus grand écrivain du dix-neuvième siècle » ; il a apporté dans ces compositions toutes les rares qualités ; dessin alerte et sûr, verve spirituelle, interprétation charmante du paysage, intelligence des caractères, que la critique d’art a souvent appréciées en lui. On remarquera surtout parmi ces dix quadro que M. Toussaint a gravés avec une habileté peu commune, celui qui figure Edmée de Mauprat repoussant Bernard de sa cravache — cette scène est traitée comme un petit tableau d’histoire — et celui qui représente Bernard portant Edmée à l’autre bord du ruisseau, — Watteau, plus rustique et moins champêtre, eût signé cette page exquise. Cette composition délicieuse révèle même un côté nouveau du talent de M. Julien Le Blant; on savait son pinceau habile à traiter les scènes de la vie violente et dramatique ; on découvre que son crayon a toutes les délicatesses que réclament les églogues et les idylles. L’exécution typographique, comme celle des précédents volumes, mérite les suffrages des bibliophiles les plus sévères. » (La République française 4 avril 1886)

Pourtant, à en croire le journaliste de l’Intransigeant, tout n’a pas été facile entre l’illustrateur et l’éditeur.

« Quelques détails empruntés au bulletin de la librairie Quantin donneront à nos lecteurs une idée exacte des soins consciencieux apportés par cette maison à l’exécution matérielle et artistique de ses publications : M. Julien Le Blant, le peintre que ses nombreux succès aux Salons et surtout l’Exécution de Charette à Nantes venaient de rendre populaire, nous avait manifesté le désir d’illustrer les Chouans. Nous n’avions pas pensé devoir faire entrer cet ouvrage dans notre collection et pour trouver, dans un ordre d’idées à peu près semblables, un sujet qui convînt également au talent de M. Le Blant, nous lui avions proposé d’illustrer Mauprat. Les choses acceptées et convenues, quand M. Le Blant nous apporta ses compositions, nous crûmes devoir lui demander des retouches assez importantes sur deux d’entre elles. De bonne foi et en galant homme, l’artiste prétendit qu’il avait étudié longuement chaque composition, qu’il n’avait pas craint de recommencer plusieurs dessins, que tous étaient maintenant, après, le soin et le temps qu’il y avait mis, l’expression convaincue de son sentiment artistique et qu’il ne pouvait rien y changer. Rien de plus juste ! Juste aussi nous semblait notre façon, de voir. Le cas devenant litigieux, il n’y avait qu’à prendre un arbitre. Un des maîtres de la peinture moderne, M. Chaplin, consentit à jouer ce rôle et il s’en acquitta avec sa bonne grâce et son tact accoutumés. En réalité, il donna gain de cause à M. Le Blant, qui ne fit aux dessins en question que des retouches insignifiantes. Cette petite histoire n’a d’autre intérêt que de prouver aux amateurs, l’occasion s’en présentant, avec quel souci du mieux nous établissons nos ouvrages. Nous pouvons nous tromper, mais nous sommes en droit d’affirmer que nous avons le respect du public et que nous ne livrons pas en échange de son argent une marchandise quelconque. »  (L’Intransigeant 14 avril 1886)

Mauprat a été réédité en 2008 par Nicole Mozet, avec les Illustrations de Julien Le Blant, aux éditions Simarre dans la collection « Le Voyage immobile ».

Mauprat a aussi connu une version cinématographique réalisée par Jean Epstein en 1926, ainsi qu’une version en téléfilm de deux épisodes réalisé par Jacques Trébouta et diffusé sur la Première chaîne les 7 et 8 janvier 1972.