Cette pièce en trois tableaux a été écrite par Léon Hennique et illustrée par Julien Le Blant. Elle a été tirée à 300 exemplaires numérotés. Julien Le Blant a réalisé 9 eaux-fortes hors-texte, gravées par Louis Müller, et 35 croquis dans le texte. L’ouvrage (in-8) est édité par Émile Testard Éditeur pour la Librairie de l’Édition Nationale dans la Collection Des Dix en 1895.
Résumé
Elle raconte l’histoire tragique de Louis-Antoine de Bourbon-Condé, duc d’Enghien. Ce personnage historique fut arrêté et exécuté car soupçonné de fomenter un complot contre Napoléon. En 1804, la police de Napoléon Bonaparte, Premier consul de la République, découvre une conspiration ourdie en Angleterre pour remettre les Bourbons sur le trône de France. Napoléon décide de faire enlever le duc d’Enghien, accusé à tort d’être le chef de la conspiration. Le duc est presque immédiatement traduit devant un conseil de guerre. Après un simulacre de jugement, il est condamné à mort et fusillé dans les fossés du château de Vincennes le 21 mars 1804. Son corps est jeté dans une tombe creusée à l’avance au pied du pavillon de la Reine. Dans ses Mémoires d’outre-tombe (1848), Chateaubriand écrit des pages sur l’exécution du duc d’Enghien, qui l’a profondément marqué. À l’image des généraux vendéens, son souvenir reste aujourd’hui vivace dans les milieux royalistes.
Léon Hennique est né en 1850 en Guadeloupe. Il fut l’exécuteur testamentaire des Frères Goncourt et c’est lui qui fondera l’Académie Goncourt qui s’appellera l’Académie des Dix, plus connu aujourd’hui sous le nom de Prix Goncourt. Léon Hennique est membre du groupe de Médan avec Guy de Maupassant, Joris-Karl Huysmans et dont Émile Zola est le chef de file. Ce petit groupe d’écrivains cherche à poursuivre, à travers leurs œuvres, l’élan naturaliste insufflé par Zola. Ils souhaitent transcrire les réalités de la société dans laquelle ils vivent et n’hésitent pas dénoncer les dérives, les inégalités. C’est ainsi que Léon Hennique s’attachera à rendre le personnage du Duc d’Enghien attachant, en mettant en valeur sa droiture et la noblesse de ses idées.
Critiques de l’époque
« Maison de l’Edition nationale – Les collections de M. Emile Testard vont encore s’enrichir d’une série appelée, croyons-nous, à un succès mérité ; la création de l’Edition nationale des œuvres de Victor Hugo n’en est pas, on le sait, à son coup d’essai. C’est la collection des Dix, dont le premier volume vient de paraître ; elle se composera do dix œuvres littéraires de genre divers : poésie, roman, théâtre, histoire, mémoires, etc. Les illustrateurs, au nombre de dix également — un par ouvrage — seront choisis parmi les artistes dont le talent, absolument original, accuse une réelle personnalité, parmi ceux qui sont destinés, croyons-nous, à occuper une place caractéristique dans l’histoire de l’illustration et du livre modernes. On ne peut nier que MM. Julien Le Blant, Georges Janniot, Félicien Rops, Luc Olivier-Merson et Maurice Leloir, pour ne citer que les premiers, ne soient de artistes de premier ordre, en pleine maturité de leur talent, inimitables dans le genre que chacun d’eux s’est choisi. Le but de l’éditeur est d’exprimer, s’il est possible, dans la réunion de dix volumes du format in-8 raisin, si élégant et si propre à l’arrangement d’une artistique mise en pages, la note d’art que peut produire aujourd’hui le talent de nos meilleurs illustrateurs et graveurs, uni aux progrès de l’industrie du livre. Cette collection est limitée au nombre strict de trois cents exemplaires numérotés ; la passe d’usage étant supprimée, les amateurs ne seront jamais exposés à trouver au rabais des exemplaires non numérotés. Le premier ouvrage qui vient de paraître est le beau drame de Léon Hennique : La Mort du duc d’Enghien. C’est une page historique d’un intérêt poignant, évoquée par, un écrivain de race, d’une plume noble et ardente. Cette œuvre, concise, vibrante, sincère, était bien faite pour tenter le crayon du maître peintre Julien Le Blant, qui en a tiré son chef-d’œuvre d’illustration. Par, les eaux-fortes qu’on y rencontre, on reconnaîtra que Louis Muller est, lui aussi, passé maître en son art. » (Paris 29 décembre 1894)
« C’est cette œuvre de grande valeur que l’infatigable éditeur Émile Testard a choisie pour inaugurer une nouvelle collection qui comprendra dix volumes et s’appellera en conséquence : « Collection des Dix. » M. J. Le Blant, le grand artiste pour lequel les époques de la Révolution et de l’Empire n’ont plus de secrets, a été chargé de l’illustration. Il s’en est acquitté avec sa maîtrise habituelle. Les neuf compositions hors texte qu’il a dessinées sont très belles ; elles ont été, ainsi que les vignettes placées en en tête de chacun des tableaux, joliment gravées à l’eau-forte par Louis Müller. En outre, Le Blant a jeté dans le texte ou dans les marges une quarantaine de croquis qui n’ont peut-être pas moins de mérites, mais dont la reproduction, due à des procédés plus sommaires, souffre un peu du rapprochement avec les eaux-fortes. Le volume a été irréprochablement imprimé par Chamerot; les papiers sont de choix; le tirage a été limité à trois cents exemplaires. » (Eylac, La Bibliophilie en 1893, Rouquette, Paris).
« M. Léon Hennique vient de faire paraître son drame de la Mort du duc d’Enghien en un volume de toute beauté, qu’accompagnent de fort belles compositions de M. Julien Le Blant, gravées à l’eau-forte par M. Louis Muller. Dans ces dessins revivent les scènes qui avaient si vivement impressionné les spectateurs du Théâtre-Libre. Ce volume, d’une beauté magistrale, est le premier d’une collection que M. Testard, l’éditeur, appelle la collection des Dix. Je ne sais pas le texte des neuf ouvrages qui viendront s’ajouter à celui-là. Le premier, au moins, a été heureusement choisi. Je ne crois pas, pour ma part, que la Mort du duc d’Enghien soit de bon théâtre ; mais c’est une étude très curieusement fouillée, où se marque un talent incontestable, et qui, dans l’histoire de notre art dramatiques, restera comme date. » (Francisque Sarcey, Le Temps)
Au cinéma
La Mort du duc d’Enghien est aussi un film français réalisé par Albert Capellani, sorti en 1909. Ce film muet en noir et blanc est l’adaptation cinématographique de la pièce de Léon Hennique. Il est interprété par Daniel Mendaille, Charles Lorrain, Germaine Dermoz, Paul Capellani, René Leprince, Henri Étiévant, Georges Grand, Henry Houry.
Ce film permet surtout à Capellani d’atteindre un des sommets de son œuvre avec le dernier plan du film, longue séquence de plus de deux minutes qui commence sur l’exécution d’Enghien, sans gesticulation, les yeux ouverts (il refuse le bandeau), après s’être mis à genoux pour prier. Il tombe sous le feu des gardes, et alors que l’on croit la séquence achevée, Capellani la pousse à son paroxysme : il continue de filmer les deux gardes mettant Enghien en terre, tête la première, commençant ensuite à le recouvrir de terre jusqu’à ce que le chien du duc rentre de nouveau dans le champ et se jette dans la fosse du Château de Vincennes, rejoignant son maître pour l’éternité.
La fulgurance de cette scène est la démonstration du savoir-faire total de Capellani en 1909. La Mort du Duc d’Enghien en 1804 est un des films les plus importants de la période. (Philippe Azoury)