1884
Huile sur toile
121 x 224 cm
N° inventaire MnM 11 OA 1
Exposé Paris, musée de la marine, palais de Chaillot
En 1884, le peintre a l’occasion de se rendre à l’arsenal de Cherbourg pour son unique incursion dans le thème de la marine militaire. Les portes lui sont ouvertes par le commandant Augustin Emmanuel Félix Marie D’Hombres que Le Blant remercie en réalisant et lui offrant son portrait.
Il va aussi faire la connaissance du comte Léon De Champfeu, qui occupe le poste de Capitaine d’habillement, d’armement et de casernement au 1er Dépôt des Équipages de la Flotte, et avec qui il nouera une longue relation d’amitié.
M. Tessier, dans sa description du port militaire et de l’arsenal vingt ans plus tôt, nous relate l’impression que l’artiste a dû avoir en arrivant :
« En entrant dans le port militaire, on est frappé de la sévérité que présente l’ensemble des différents établissements de la marine. Malgré l’activité des ouvriers et des matelots, tout y est froid et imposant. A droite s’étendent parallèlement deux immenses hangars. L’un sert à mettre à l’abri les matériaux destinés aux constructions navales, tandis que l’autre contient la voilerie, la poulierie, l’atelier des embarcations, la salle des gabarits et celle des modèles. A l’extrémité de ces hangars se trouve la cale Chantereine, où l’on construit de légers bateaux à vapeur, et où les canots des navires viennent chercher les vivres journaliers que leur distribuent les agents des subsistances. Le long des fortifications qui protègent l’arsenal du côté de la rade, nous rencontrons un vaste bâtiment, renfermant l’atelier des forges, des martinets et une fonderie considérable. En le suivant dans toute sa longueur, nous arrivons au musoir Sud de l’avant-port que ferme pendant la nuit une énorme chaîne tirée à fleur d’eau. » (Le port militaire et l’arsenal en 1864 – Émile Tessier)
De ce décor et de ses acteurs, Julien ramènera de nombreux dessins, aquarelles et pour le salon l’un de ses tableaux les plus réputés : Le Dîner de l’Equipage. Sur cette grande toile Julien Le Blant présente une scène originale, celle de la vie d’un équipage à bord d’un cuirassé vers 1890.
Les hommes prennent leur repas entre les canons de la batterie. Ce sujet, très rarement traité, permet d’observer le quotidien du marin, et donne une information intéressante sur les vêtements et le mobilier de l’époque. Une douce lumière entre par les sabords, à gauche, on aperçoit la chaîne qui retient l’ancre, la scène se passe l’avant du navire. Au premier plan au sol, figure l’axe sur lequel le canon effectue sa rotation lors du pointage, avant le tir. Pour l’heure il sert de support à du pain, et à deux bidons à vin. Au fond à gauche, un matelot, pieds nus comme certains de ces compagnons, transporte deux autres de ces bidons. Les ustensiles destinés au repas sont tous en métal (assiettes, couverts, quart de vin), tandis que les gamelles qui servent à apporter les plats sont en bois. On en distingue deux sur la table à proximité du canon.
Ce tableau fût acquis par l’état lors du Salon de 1884 et déposé au musée de la Marine en 1944 par le Fonds National d’Art Contemporain.
« Il existe peu de choses au monde qui soient plus capable de nous donner une haute idée du génie de l’homme que l’étude détaillée d’un navire de guerre. Un navire c’est tout un monde, obligé de se suffire à lui-même, pendant les longues traversées où il devra vivre loin de la mère-patrie, entre le Ciel et l’Océan – ces deux abîmes. Aussi faut-il voir avec quelle intelligence pratique tous les besoins si multiples de la vie morale et matérielle de l’équipage ont été prévus – et satisfaits. Il y a là un outillage qui est le dernier mot de la faculté organisatrice. Et quelle admirable propreté jusque dans les parties les plus intimes et les plus reculées de cette demeure gigantesque et flottante.
Et quel ordre admirable, quelle stricte discipline, quelle régularité, – jamais en défaut – président à tous les actes de la vie de l’équipage depuis le branle-bas de combat des grands jours terribles, jusqu’au simple mais confortable Repas de l’Equipage. Le repas de l’équipage ! C’est précisément le sujet très joli et très pittoresque du tableau de M. Le Blant. Rien de mieux peint que sa salle à manger dans l’entrepont d’un cuirassé – avec un canon gigantesque, remplaçant la grosse pièce d’argenterie du surtout. » (Paris-Salon 1884)
« Le Déjeuner de l’équipage, de M. Le Blant, tableau
fait pour donner aux plus casaniers la nostalgie des lointains voyages, tant
les détails en sont exacts et tant la qualité de lumière entrant par les
sabords d’un navire en pleine mer s’y trouve curieusement observée et rendue.»
(La Nouvelle Revue)
Certains critiques s’étonnent toutefois de voir le « peintre des Chouans » s’aventurer dans une nouvelle thématique et ne semblent pas convaincus de ce choix:
M. Julien Le Blant, jadis peintre ordinaire de Larochejaquelein et de Charette, et qui déserte cette année les taillis du bocage pour l’entrepont d’un cuirassé. Malheureusement le Dîner de l’équipage est loin de valoir le Bataillon carré. Avec M. Le Blant, au reste, nous rentrons en plein dans les préoccupations de la génération nouvelle; nous revenons à la doctrine de la chose vue, éprouvée, ressentie. Nous sommes en plein dans le domaine de la sincérité. Toutefois je doute que, sur ce terrain délicat, M. Le Blant approche de M. Dantan. À celui-ci revient de droit la première place, car il pousse cette sincérité si louable jusqu’à douter de lui-même. Le dessin, comme toute chose humaine lui paraît sujet à erreur. (Le Siècle 20 mai 1884)
M. Le Blant, fatigué de ses chouans, que tout le monde a copiés, représente un dîner de matelots dans la batterie d’un bâtiment de guerre. Il réussit à maintenir sa réputation, mais sans exciter l’intérêt : voilà tout justement un sujet auquel la photographie aurait convenablement pourvu. (La République française 31 mai 1884)
Julien Le Blant répond à ces critiques par ce curieux dessin où l’on voit un Vendéen croiser des marins qui font mine de ne pas le voir.
Sur quel cuirassé Julien Le Blant a-t-il immortalisé cette scène ? Les marins avoisinent de gros canons de 240 mm ou 270 mm. La Flandre, La Savoie, La Gauloise et La Surveillante étaient à Cherbourg dans les années 1880, les autres cuirassés étaient à Toulon ou à Brest. La Savoie et La Gauloise étaient armées de 8 canons de 240 mm et de 4 de 190 au gaillard. La Flandre possédait 8 canons de 240 et 6 de 190 mm. Quant à La Surveillante, elle avait à son bord des canons de 270 mm. Celle-ci était en réserve à Cherbourg en 1882 avant d’être désarmée fin 1884.
Avec l’adoption de la vapeur et l’apparition d’une artillerie de plus en plus sophistiquée, le marin, mécanicien ou timonier, doit se spécialiser. Différentes écoles sont alors ouvertes pour les former.