LA MORT DU GÉNÉRAL D’ELBÉE

Huile sur toile 140 x 206 cm (1878)
exposé au Salon de 1878 et acheté par M. Georges Petit de la galerie du même nom.
Localisation actuelle : Salle 3 du musée de Noirmoutier

Ce tableau qui eut un grand succès, et contribua puissamment à classer le jeune artiste à un rang élevé dans l’art, a été acheté par le Musée de Nantes. Il est désigné sous le nom de « tableau de la lutte », parce qu’un jour de marché de l’année 1884, des paysans s’étant arrêtés devant cette toile, et commentant à haute voix le fait historique représenté, furent interpellés par des ouvriers de la ville ; des mots aigres, on en arriva aux injures et à la bataille, et dans la chaleur de la rixe, les combattants brisèrent une statue et crevèrent un autre tableau qui se trouvait en face.

L’artiste, écrivait un critique connu, M. Olivier Merson, a traduit son programme sans emphase vaine, ni amplification inutile. L’exécution vient d’avoir lieu : tout au fond se distinguent les troupes qui retournent à la ville. Au premier plan, les cadavres ; point d’amis ou d’ennemis qui les entourent ; de curieux nulle part ; et sur cette vaste solitude plane une teinte sombre, triste et grise, vraie couleur de scènes lugubres.

Sujet

Maurice Joseph Louis Gigost d’Elbée est né le 21 mars 1752, à Dresde, d’une famille française établie en Saxe.  Il vint en France en 1777, y fut naturalisé, entra dans un régiment de cavalerie, parvint au grade de lieutenant, donna sa démission en 1783.

En 1793, les paysans de Beaupréau le décidèrent à se mettre à leur tête. Sa troupe se grossit de celles de Bonchamps, Cathelineau et Stofflet. Il servit d’abord sous Cathelineau, fut reconnu pour généralissime après la mort de ce chef, battit les Républicains à Coron et à Beaulieu, mais n’éprouva plus ensuite que des revers. C’est en qualité de généralissime qu’il se trouva, le 30 juillet 1793, à la bataille de Luçon gagnée par les Républicains et dans laquelle il s’exposa aux plus grands dangers et contribua à sauver l’armée vendéenne d’une complète déroute. Une seconde défaite des Vendéens à Luçon, le 13 août suivant, fut encore plus meurtrière.

L’armée royale fut complètement défaite à la bataille de Cholet par le général Kléber. D’Elbée, blessé grièvement dans cette dernière bataille, fut d’abord transporté à Beaupréau, puis à Noirmoutier; trois mois après, les Bleus s’étant emparés de cette île, il fut traduit devant une commission militaire, condamné à mort et fusillé sur la place publique du bourg de Noirmoutier, où on l’avait amené dans un fauteuil parce que ses quatorze blessures ne lui permettaient pas de se tenir debout (le siège a été repris par la famille d’Elbée qui le garda dans leur résidence jusque dans les années 1975, chez le marquis Charles Maurice d’Elbée. Lorsque celui-ci apprit qu’un musée vendéen était en construction à Noirmoutier, il fit don de ce fauteuil, désormais conservé au château de Noirmoutier). Sa femme fut fusillée vingt jours après, en janvier 1794.

Au jugement de plusieurs biographes, d’Elbée fut un homme pieux, d’un courage constant. Ses soldats l’avaient surnommé le général la Providence. De par son côté assez effacé, ce général n’aimait pas se mettre sur le devant de la scène, de sorte que les historiens oublièrent assez longtemps de reconnaître le rôle important qu’il joua dans les guerres de Vendée. Fin stratège, il était très aimé de ses soldats : Turreau dans ses mémoires, dira qu’il avait vu des soldats pleurer en entendant le seul nom de d’Elbée.

Une petite pièce voûtée fut aménagée au XIXème siècle dans le château de Noirmoutier pour abriter les réserves de poudre du château devenu fort militaire.

Aujourd’hui on y présente quelques objets, ainsi que le tableau de Julien Le Blant prêté par le musée des Beaux-Arts de Nantes, qui retracent les événements survenus à Noirmoutier lors de la première guerre de Vendée en 1793.

Copie du tableau – coll. privée

Il retranscrit ici la mort du général d’Elbée, d’après les récits qu’on lui en a fait. Il n’est jamais venu à Noirmoutier, ce qui explique que sa représentation du château et de la place d’Armes ne soit pas fidèle à la réalité. Pourtant, il dépeint un des événements historiques les plus importants qu’ait connu l’île.

Le fauteuil exposé dans la salle serait celui sur lequel Maurice d’Elbée, général des armées vendéennes, a été fusillé en janvier 1794. Il est avéré qu’après avoir été grièvement blessé à la bataille de Cholet, il est venu trouver refuge sur l’île, reprise aux républicains par Charette en octobre 1793. Lorsque les « Bleus » du général Haxo s’emparent de nouveau de Noirmoutier, d’Elbée est rapidement retrouvé puis jugé par un tribunal révolutionnaire, avec plusieurs autres personnalités royalistes ou soupçonnées de l’être.

Condamné à mort, ses blessures l’empêchent de se tenir debout face au peloton d’exécution. Quelqu’un aurait alors décidé d’aller chercher un siège dans une maison proche pour l’y installer malgré tout.

Ce fauteuil, perforé par les impacts de balles, aurait alors été récupéré, et serait celui qui est exposé aujourd’hui.

Critiques de l’époque

Cherchons le drame plus près de nous. Il est très simple et très écrit dans la Mort du général d’Elbée, par M. Julien Le Blant. Il s’agit du général vendéen qui avait succédé à Cathelineau et qui connut si peu la victoire. Saisi au lendemain d’une défaite, il fut fusillé à Noirmoutiers avec deux de ses amis. La scène est au bord de la mer, sur un triste rivage d’un gris blond. D’Elbée, qu’on avait assis dans un fauteuil, vient d’expirer ; à ses pieds, deux cadavres étendus sur le sol avec cette attitude sinistrement gauche que prennent parfois en tombant ceux qui meurent de mort violente. Dans le fond, au bord de la mer, le peloton d’exécution qui s’éloigne. Les théoriciens pourront, lorsqu’ils auront un peu de loisir, disserter à propos du remarquable tableau de M. Le Blant. C’est un excellent exemple de ce système de composition exceptionnelle qui consiste à séparer les groupes au lieu de les unir. Entre les suppliciés et les soldats, un grand espace; un vide énorme entre la mort et la vie. Hiatus tragique. Certains détails, qui pourraient sembler vulgaires, ajoutent à l’impression douloureuse. Le petit fauteuil qu’on est allé chercher dans une maison voisine, dont on a meublé un rivage désert, et sur le bras duquel s’appuie un cadavre, est bourgeois par le style, shakespearien par le sentiment. Le tableau de M. Le Blant, peint avec simplicité, dans une gamme mélancolique, éveille, chez le spectateur une véritable impression de deuil. (Le Temps)

Il y a un sentiment dramatique très bien exprimé dans le tableau de M. J. Le Blant : La Mort du général d’Elbée. « On mit d’Elbée dans un fauteuil et on le fusilla avec Duhoux, d’Hauterive et de Boissy ; son parent Wieland, qui avait rendu Noirmoutier à Charrette, eut le même sort. » C’est par un tempslugubre et noir, aux lueurs indécises du matin, que le peloton d’exécution a fait son œuvre fatale. Les cinq cadavres sont étendus dans la position où les a jetés la mort foudroyante. Puis le silence et la solitude se sont faits autour d’eux. Dans le fond les soldats s’éloignent ; l’effet est saisissant. Il faudra désormais suivre avec intérêt M. Le Blant. (Le Salon)

Le poète Adrien Dézamy, a écrit à propos de ce tableau :

C’était un froid matin de janvier. Sur la place
de Noirmoutier, nul bruit, que le bruit de la mer
Et des pas mesurés faisant craquer la glace …
On sentait comme un vent de mort passer dans l’air.
C’est qu’en effet, dans l’île, un arrêt militaire
Vient d’être exécuté ce matin-là. Comptez :
Trois Vendéens couchés la face vers la terre
Près d’un mur, sur le sol, gisent ensanglantés.
Un quatrième, ceint de son écharpe blanche,
Front meurtri, bras pendants, est assis au milieu
Sur un large fauteuil. Sa tête qui se penche
Semble à ses compagnons dire un dernier adieu.
Sur lui plus d’un regard tombe à la dérobée ;
Les soldats qui s’en vont, pâles, presque tremblants,
Se le montrent des yeux et disent : C’est d’Elbée,
« Le blessé de Cholet, le général des Blancs ! »
Eh bien ! oui ! C’est d’Elbée ! un généralissime !
Mais pour qui la connaît la mort est sans effroi,
Et l’on peut de sa vie, alors, payer ce crime
D’avoir été fidèle à Dieu, comme à son Roi !
Maudits soient les combats et les guerres civiles
Qui font par les vaillants fusiller les héros,
Et qui, pour apaiser les hameaux et les villes,
Transforment, sans merci, des soldats en bourreaux !