LES RÉFRACTAIRES

Les Réfractaires 1894 – huile sur acajou de 76 x 117cm – Historial de la Vendée

D’après Julien Le Blant Les Réfractaires (1894) Photographie de l’atelier Goupil, 1894, 14,5 x 21,5 Bordeaux, musée Goupil, inv. 93.II.8.148

Sujet

Cette scène représente une des causes de la rébellion vendéenne. On y voit un groupe de réfractaires au tirage au sort qui longe la Loire. Un réfractaire, c’est un conscrit qui ne s’est pas présenté dans le délai d’un mois au capitaine de recrutement. Le service militaire est alors de cinq ans. Pour échapper à un service aussi long, il existe plusieurs possibilités : tirer un bon numéro, se faire remplacer, être exempté ou alors être réfractaire. Le jeune homme qui fait ce choix doit alors se cacher, ses parents peuvent subir une amende ou être passibles de poursuites judiciaires. Les hommes que l’on voit ici ont été faits prisonniers par la Garde nationale et la Gendarmerie.

Face à la menace des états européens coalisés, la France révolutionnaire a, pour la première fois de son histoire, recours à la conscription. Elle décide d’appeler sous les drapeaux tous les citoyens français depuis l’âge de dix-huit ans jusqu’à quarante-cinq ans accomplis, non mariés, veufs sans enfants par tirage au sort. La Vendée devait fournir 4200 hommes. Les membre des municipalités et institutions républicaines étaient dispensés de ce service militaire et la bourgeoisie se payait des remplaçants. Beaucoup de jeunes paysans refusèrent de se présenter au tirage au sort. Après toutes les vexations dont les populations de l’ouest s’estimaient avoir été l’objet de la part de la République, la coupe était pleine et cette loi la fit déborder. Des émeutes éclatèrent sur tout le territoire de ce qui va devenir la Vendée militaire. Dès le 11 mars 1793 tombaient les premières victimes. Deux jours plus tard, Cathelineau et sa troupe partirent en guerre contre la République. C’est le début de la guerre de Vendée. Sous l’Empire, Napoléon Ier a besoin de renforcer ses troupes. La conscription est censée répondre à cette demande. Dans le nord des Deux-Sèvres où le calme a encore du mal à revenir après les Guerres de Vendée, les réfractaires sont encore assez nombreux. À force de fuir les gendarmes et de vivre clandestinement, certains de ces jeunes gens finissent parfois par former des bandes et tomber dans la criminalité.

En 1882, Julien Le Blant expose pour la première fois avec les aquarellistes. Sur les quatre œuvres qu’il propose, une d’elles traite du thème des réfractaires.

Le même sujet aussi traité par Le Blant en 1889 dans Les Chouans de Balzac

Critiques de l’époque

« La surprise nous attend ailleurs. M. Julien Le Blant nous la réservait. C’est un nouveau. Il s’était déjà révélé au Palais de l’Industrie. Il se révèle, dès son début aux aquarellistes. Ce qu’il nous apporte, c’est la Bretagne, la Bretagne révoltée, la Bretagne des Chouans. Il nous montre « les Réfractaires », prisonniers, entraînés à travers les landes farouches par un détachement de grenadiers, et nous trouble. Le thème est simple et poignant ; les captifs sont vus de dos, s’enfonçant dans l’inconnu, pendant que deux jeunes femmes les suivent des yeux, comme un souvenir du passé. » (L’Intransigeant)

« … Et cette longue bande de Réfractaires vendéens que les soldats de la République poussent devant eux, comme les sbires du tzar chassent les convois de transportés en Sibérie ; comme c’est morne et beau ! » (L’Art populaire)

« Nous ne saurions trop louer la composition si curieuse, si nouvelle, vraiment trouvée, des Réfractaires. Ces hommes vus de dos, qu’escorte un détachement de fantassins, coiffés du feutre de grenadier ou du casque à chenille des chasseurs, et que regardent, avec une pitié touchante, deux pauvres femmes, forment un tableau d’une impression saisissante. Que dire du paysage, sinon qu’il est admirablement rendu, admirablement vrai, preuve, pour nous certaine, que M. Le Blant a rapporté de Bretagne ces études où il place ainsi les drames qu’il veut peindre ? En résumé, il y a, dans les aquarelles exposées par M. Le Blant, un tempérament personnel, un dessinateur de premier ordre et un coloriste d’une clarté séduisante. » (Le Panthéon de l’Industrie.)

En 1894, Julien Le Blant participe pour l’avant-dernière fois au Salon en reprenant sur toile ce même sujet.

Le tableau exposé à l’historial de la Vendée.

« M. Julien Le Blant, qui s’est voué depuis quelques années à l’illustration, art dans lequel il excelle, a toujours sur chevalet quelque épisode du genre historique qui rappelle les sujets auxquels il doit ses premiers succès. Les « Réfractaires » sont encore un souvenir des guerres de Vendée ; nous y retrouvons les qualités de l’artiste, sa façon à la fois large et précise et sa qualité maîtresse, le caractère, par le type, le geste, l’exactitude des horizons et la sobriété du rendu.» (Le Figaro Salon)

« Les «Réfractaires», un petit chef-d’œuvre de M. Le Blant, très coutumier du fait.» (Le Salon)

« Et combien plus poétiques, plus poignants sont encore les « Réfractaires », de M. Julien Le Blant. Fidèle à sa « spécialité », ce sont des Bretons que nous montre encore le peintre des guerres vendéennes. Mais combien son paysage est vrai et comme l’attitude de ses « réquisitionnaires » est exacte. Ce petit tableau vous produit le même effet que la lecture de ce merveilleux chapitre premier des Chouans, où Honoré de Balzac s’est montré le premier et le plus génial des paysagistes. » (Le Salon)

Avec ses soldats qui s’éloignent dans le lointain, Julien Le Blant se retire définitivement de la peinture d’histoire et des guerres de Vendée. Ce tableau a appartenu à l’écrivain Marc Elder, critique et historien d’art, Chevalier de le Légion d’Honneur, Prix Goncourt et conservateur du château des ducs de Bretagne à Nantes avant d’être aujourd’hui propriété du Conseil Général de Vendée. Il est exposé à l’historial de la Vendée aux Lucs-sur-Boulogne.

PEINES CAPITALES

Si l’on accorde à Freud que la mort est irreprésentable, les artistes ont toujours cherché à lui donner corps. La mort est un objet privilégié de représentation artistique, elle est le thème qui parcourt l’histoire de l’art avec le plus de constance. Depuis un millénaire, la scène la plus emblématique représente une mise à mort des plus cruelles : la crucifixion. Le rôle de l’artiste est d’exprimer l’irreprésentable à travers l’œuvre d’art. Dans le scénario de la peine capitale, il a le choix entre trois moments bien distincts : la sentence avec les adieux, la mise à mort et le corps sans vie. Ce choix peut dépendre d’un message moral, idéologique ou politique. À une époque où le cinéma n’existait pas, il peut aussi représenter une action à fort pouvoir émotif.

Dans son célèbre tableau 3 de Mayo, réalisé en 1814, Goya a placé simultanément ces trois moments. Face au peloton d’exécution placé dans l’ombre, les suppliciés sont divisés en trois groupes : à gauche ceux qui sont morts et baignent dans leur sang, au centre ceux qui se font fusiller et à droite ceux qui attendent leur tour et font leurs prières.

L’instant même de l’exécution, celui ou la vie s’achève, est plus rarement représenté. Dans son tableau L’exécution de Maximilien, réalisé en 1868 et largement inspiré de celui de Goya, Edouard Manet essaye de nous montrer ce moment fatidique. Il n’est pas facile à saisir. D’ailleurs ce n’est pas Maximilien qui est touché par les balles, mais le général condamné avec lui.

En 1883, Jean-Paul Laurens nous raconte à sa manière les Derniers moments de Maximilien. On le voit consoler son confesseur lorsque le peloton d’exécution vient le chercher.

L’année suivante, Julien Le Blant, ami de Laurens, présente son Exécution du général Charette. Outre la facture et la composition plus audacieuses du peintre des chouans, il est intéressant de noter la similitude dans la dignité du condamné et le désespoir du prêtre qui l’accompagne.

Julien Le Blant nous montre aussi une scène qui suit une exécution, lorsque les bourreaux quittent le lieu du supplice après avoir accompli leur sinistre tâche. Dans la Mort du général d’Elbée, peinte en 1878, l’artiste place quatre cadavres au premier plan, dont la principale victime qui git dans son fauteuil alors que le peloton d’exécution s’éloigne à l’horizon.

Il s’est peut-être souvenu d’une toile peinte dix ans auparavant par Jean-Léon Gérôme, grand maître de la peinture académique, intitulée : la Mort du Maréchal Ney.

Mais ce sont généralement les instants qui précèdent la mise à mort qui sont le plus souvent représentés. De ces instants terribles se dégage une forte émotion romantique, comme dans ce tableau de Paul Delaroche, le Supplice de Jane Grey réalisé en 1833.

L’aspect psychologique du condamné qui prend conscience de vivre ses dernières minutes va inspirer de nombreux artistes comme Félix Vallotton, Emile Friant ou encore Maximilien Luce.

En 1951, Picasso, qui aime revisiter ses classiques, nous présente une nouvelle version inspirée de Goya et Manet, avec des soldats encore plus déshumanisés dans Massacre en Corée.

Quant à Julien Le Blant, il a encore traité du thème de la condamnation à mort dans ses illustrations d’ouvrages comme dans cette scène finale de La Mort du Duc d’Enghien, livre de Léon Hennique paru en 1895.

LES RACOLEURS

En 1876, Julien Le Blant présente au Salon annuel un de ses premiers tableaux intitulé: Les Racoleurs.

D’ après Julien Le Blant (né en 1851) Les Racoleurs Photogravure Goupil & cie, 1876 Impression sur chine appliqué 16 x 26,1 cm Bordeaux, musée Goupil, inv. 95.I.2.414

On y voit un groupe de soldats poussant de jeunes gens à boire jusqu’à l’ivresse, afin de leur faire signer un enrôlement dans l’armée. La revue Le Musée universel, en 1876, revient sur ces pratiques, qualifiées de « véritable traite humaine », dans un article illustré par une gravure tirée du tableau de Le Blant.

La grande organisation des armées s’effectua, en France, lorsque la monarchie atteignit en apogée ; au commencement du dix-septième siècle, les cadres comprenaient déjà 30,000 hommes. Le recrutement s’opérait alors très aisément. Un bel uniforme séduisait les jeunes gens qui priaient les capitaines de les recevoir dans leurs compagnies. L’officier recruteur ne voulait point d’homme marié, ni d’étranger, ni d’individu domicilié là où le régiment tenait garnison. En 1629, les capitaines avaient reçu l’ordre de faire les levées en personne, au lieu d’employer les racoleurs, hommes qui provoquaient les enrôlements volontaires dans les tavernes. « Tout enrôlé promettait de servir six mois, au moins, sous les drapeaux. Il ne put quitter le corps sans congé, sous peine de mort. Quelquefois, on employait l’enrôlement forcé, en faisant partir les vagabonds auxquels on donnait 12 livres par tête, dont 6 au départ et 6 à l’arrivée ; avec 8 sols de solde par chaque jour de route. Ces recrues-là commettaient bien des infractions à la discipline. La solde du fantassin était d’environ 120 livres (à peu près 300 francs) ; celle d’un cavalier était de 480 livres (à peu près 1000 francs). En 1620, les dépenses du département de la guerre s’élevaient à 12 millions de livres (près de 27 millions de francs) ; en 1636, elles atteignaient 44 millions de livres (plus de 90 millions d’aujourd’hui). Jusqu’à Louvois, c’était la noblesse, — 20,000 officiers environ, — qui donnait de la consistance et de la discipline au ramassis d’aventuriers qui composaient les armées ; c’est elle qui professait et propageait les idées d’honneur et de patrie. Dès lors, les gentilshommes d’épée firent un service régulier et permanent et beaucoup recherchèrent des emplois de guerre qui les ruinèrent. Les libéralités du Roi-Soleil payaient à peine leur dévouement. La vie militaire, pour les chefs et les soldats, différa de celle des temps féodaux et de la Fronde. Néanmoins, pour former les cadres, Louvois conserva le système des enrôlements volontaires, pratiqué depuis trois siècles, mais il l’améliora par des règlements sévères. Comme nous l’avons dit, les racoleurs, que les capitaines chargeaient de « faire des hommes » dans les grandes villes, engageaient le plus souvent des vagabonds. Une ordonnance militaire du 2 juillet 1715 constate qu’ils employaient « la violence ou des moyens repréhensibles odieux, la débauche, l’ivresse, la dépravation, » pour obtenir des recrues. Une véritable traite humaine, hideux, commerce, avait lieu surtout entre le Pont-au-Change et le Pont-Neuf, au quai de la Ferraille, ou quai de la Mégisserie, ainsi appelé à cause de ses échoppes et de ses cuirs. Dans la plupart des villes, on attirait les jeunes gens par toutes sortes de ruses dans des maisons appelées « fours », pour les vendre ensuite aux racoleurs qui les expédiaient au régiment. Des femmes perdues étaient de connivence avec les racoleurs ; les malheureuses dupes avaient à choisir entre un coup d’épée souvent mortel ou la signature de leur engagement. La débauche poussait ainsi beaucoup de désœuvrés sous le drapeau, que l’indiscipline faisait bientôt abandonner : on alla jusqu’à offrir aux paysans 50 écus par déserteur qu’ils ramèneraient. Mais peu à peu la main de fer de Louvois empêcha les soldats de quitter leur rang. Au dix-huitième siècle, les racoleurs se promenaient sur le Pont-Neuf, arborant un large drapeau où se lisait le vers de Mérope :

Le premier qui fut roi fut un soldat heureux !

Ils étaient devenus des recruteurs et opéraient à Neuilly et aux Porcherons. A la Révolution, un souffle patriotique passa sur la France et l’enthousiasme militaire annula le racolage en le rendant inutile. La loi du 19 fructidor an VI lui donna le dernier coup, en établissant la conscription.

Gravure d’après le tableau.

LA PARTIE DE TONNEAU

Au salon de 1877, Julien Le Blant expose une toile qui met en scène des buveurs étudiés dans une guinguette près des Invalides. Cette toile, disparue à notre connaissance, est connue grâce à cette unique gravure. On y voit quelques soldats s’adonner à un jeu d’adresse appelé Jeu de Tonneau ou aussi Jeu de la Grenouille, qui fut de tout temps pratiqué par les guerriers. Il consiste à lancer huit palets dans les orifices d’un support placé à trois mètres après avoir estimé son résultat.

Pratiqué en Grèce antique sous le nom de “casse pot”, le jeu se jouait avec des amphores dans lesquelles on lançait des cailloux plats. Les Romains, après avoir envahi la Grèce, l’importèrent à Rome où il fit un véritable succès. Les Vikings, après leurs expéditions en Méditerranée, ramenèrent le principe du jeu en Neustrie, notre Normandie actuelle. De cette province, où le bon cidre était déjà stocké dans des tonneaux et non plus dans des amphores comme les vins méditerranéens, ils changèrent le nom pour s’appeler Le jeu de tonneau.

Remis à la mode sous Louis XIV sous le nom de Jeu de Grecque, il accompagna les troupes françaises dans leurs campagnes. Des gravures datant de la Révolution, de l’époque napoléonienne, de la Commune ainsi que des photos du débarquement au Jour-J de Normandie, nous le montrent trônant au milieu des troupes.

Le Jeu de la Grenouille ou Putpeck faisait surtout partie des amusements offerts par les estaminets du nord de la France et des guinguettes des environs de Paris, immortalisé en chanson sous La grenouille du jeu de tonneau par Léon-Paul Fargue sur une musique d’Alfred Erik Leslie Satie tirée des Trois Mélodies de 1916.

A la fin du XIXème siècle, ce jeu deviendra très populaire et la tirelire sera remplacée par une grenouille la gueule ouverte ou, parfois dans les fêtes foraines, une tête grotesque reproduisant les traits d’un homme politique peu aimé.

Le jeu existe également en Amérique du Sud sous le nom de Sapo.

LE RETOUR DU RÉGIMENT

Pour le salon de 1892, Julien Le Blant reprend un sujet qu’il avait déjà traité quelques années auparavant, en 1888, dans ses illustrations pour les Cahiers du Capitaine Coignet : Le Retour du Régiment. Les soldats de Coignet sont rangés devant la statue équestre de Louis XIV sur la place Bellecour à Lyon. A leur retour d’Italie, les vainqueurs de Marengo avec leurs costumes déchirés ou rapiécés sont la risée d’un groupe d’élégants.

Illustration pour les Cahiers du Capitaine Coignet en 1888

Dans le tableau le décor change. Le régiment est à Paris ! Quelques dames élégantes et des enfants moqueurs viennent compléter la scène. Ce tableau de 96 centimètres par 58 sera offert en 1896 au musée de Mulhouse par M. Henri Schwartz fils. Il va disparaitre lors du bombardement du musée le 3 août 1944.

D’ après Julien Le Blant (né en 1851) Le retour du régiment Photographie de l’atelier Goupil, 1892 Epreuve sur papier albuminé 13,7 x 20, 9 cm Bordeaux, musée Goupil, inv. 97.II.8.147 (1)

Ce tableau sera envoyé à Chicago en 1893 pour représenter la France lors de la Chicago World’s Fair, qui va durer du 1er mai au 3 octobre et accueillir plus de 17 millions de visiteurs. Le catalogue officiel est élogieux dans son chapitre consacré à l’art de la France:

« Grolleron et Le Blant sont du meilleur goût, bien qu’ils aient une approche différente de leur sujet. L’aîné restitue sérieusement et avec une composition bien sentie un incident dramatique. Il le fait sobrement et d’une facture meilleure que d’habitude. Le plus jeune apporte une touche de sarcasme et d’humour. Son Retour du Régiment de l’armée héroïque de Sambre-et-Meuse nous présente un féroce bataillon crasseux et loqueteux, prêt pour une inspection sur la place publique. Il est oisivement passé en revue par une foule dédaigneuse de dandys vêtus au dernier cri de la mode où chacun semble plus ridicule que son voisin. Les guerriers sont sombres et froncent les sourcils face à ces regards narquois. Des signes d’énervement se font sentir chez l’une ou l’autre des plus vieilles moustaches. » (Official Catalog of World’s Columbia Exhibition, Chicago 1893)

Gravure du journal l’Illustration.

« Ce qui plaît d’ailleurs chez Julien Le Blant, ce qui est le charme de sa peinture, la force de son talent, la grâce de son tempérament actif, primesautier, intelligent de tout, profond aussi et pensif, vibrant de toutes les émotions modernes et singulièrement compréhensif des choses d’autrefois, ce qui est la santé même de cette personnalité solide et élégante à la fois, c’est la facilité dans l’exécution, le brio et l’entrain bien portant. Rien de pénible ici. On sent que le peintre a cette vertu qui prime toutes les autres, Ie don. Il est né peintre, disais-je, et n’a jamais eu à peiner pour être peintre. L’inspiration lui jaillit en même temps des doigts et du cerveau. II ne halète point devant sa toile. II enlève son tableau avec l’alacrité joyeuse de ses soldats courant à la baïonnette. Saluez tout ce qui, en art, est facile et semble enfanté dans le plaisir. Les œuvres faciles ont le sourire et le charme comme les femmes jolies. » (Salon des Aquarellistes 1893)

LE COURRIER DES BLEUS

Huile sur toile 147,3 x 221 cm (1882) – Vente Sotheby’s New-York 13 oct. 1993 sous le titre : Highway Robbery – Localisation actuelle inconnue

Sujet :

Pour le Salon de 1882, Julien Le Blant, qui a déjà été trois fois médaillé, doit exposer hors-concours. Il choisit un sujet que Goya avait déjà traité à son époque : une attaque de diligence. Le Courrier des Bleus, est une scène dramatique, et sans doute imaginaire, qui a une fois encore pour cadre les guerres de Vendée. Ce sujet prouve que l’artiste, que l’on considère parfois comme l’apôtre de la contre-révolution, ne présente pas systématiquement les chouans et Vendéens comme d’innocentes victimes de la répression gouvernementale. Dans ce tableau, ce sont eux qui agressent violemment un véhicule républicain et ses passagers. La presse signale aussi que ce sujet sensible, amené par lui au Salon, est en train de faire des émules.

« Les chouans de M. Julien Le Blant commencent à former un bataillon. M. Le Blant a ses pasticheurs. C’est par aventure, ou plutôt par goût, en voyageant à travers les landes, sur les grèves, que ce jeune homme, un des nouveaux-venus les plus talentueux a évoqué les silhouettes de ces gars aux longs cheveux et aux larges braies, pittoresques et singuliers… […] Aussi, les blancs et les bleus pullulent depuis que M. Le Blant les a remis à la mode ! Je compterais jusqu’à dix scènes vendéennes au Salon.» (Le Temps)

Le vrai peintre des chouans, c’est M. Le Blant. Celui-là ne mêle pas la sentimentalité à la tragédie. Son Courrier des bleus atteint au dernier effet de l’horreur. Sur une route poudreuse qui traverse la lande, une embuscade a été dressée ; les chouans ont arrêté la voiture. Au bord du fossé, un gendarme, qui s’est bravement défendu, gît étendu, sur le ventre, le crâne troué ; près du cadavre, les blancs fouillent hâtivement la valise contenant les dépêches. Plus en avant, trois bandits assomment à coups de crosses de pistolets, le malheureux conducteur, qui se débat en leur demandant grâce et qui soulève la poussière par ses convulsions désespérées. Et dans cette solitude, pas un être qui ne soit victime ou bourreau, sauf le cheval du cabriolet, qui regarde avec indifférence cette effroyable scène de meurtre. (Revue des Deux Mondes tome 51-1882)

Le Courrier des Bleus, assassiné, assommé par des chouans, déguisés en jacobins, avec le bonnet phrygien, pour donner confiance à l’officier républicain, traîné hors de sa carriole, est une toile étonnante de mouvement et de vérité. (Le Temps du 19 mai)

Si certaines critiques trouvent l’œuvre d’une facture supérieure à ses dernières réalisations d’autres sont plus réservées, comme le Courrier de l’Art qui le trouve trois fois trop grand et d’une exécution veule. L’Illustration trouve le décor à son goût : Enfin, avec le Courrier des bleus de M. Le Blant, nous entrons en plein drame : il y a quelque chose de poignant rien que dans l’aspect du paysage où se passe la scène, et c’est toute l’histoire de la guerre que cette arrestation d’un courrier, et ce massacre impitoyable au milieu du silence lugubre de la lande désolée.

Le dictionnaire Veron est conquis : « Le Courrier des bleus » est attaqué par quelques chouans qui fouillent dans les malles et caisses éparses à terre. Au premier plan, le courrier lutte et cherche à se défendre au moyen d’un fouet. Un officier républicain est étendu mort auprès de la voiture arrêtée. Cet épisode de la terrible guerre de Vendée est rendu avec talent par ce peintre, qui a déjà trouvé là le motif de plusieurs œuvres des plus remarquables. On n’a pas oublié son « La Rochejaquelein ».

Le Paris Moderne n’est pas convaincu par l’effet « profondeur de champ » tenté par l’artiste : On préfère « Le Duel » de M. Le Blant. L’effet dramatique est sobrement rendu, mais il l’est avec justesse ; il est regrettable que les premiers plans du terrain ne soient pas assez fermes.

Gravure parue dans l’Illustration.

LE BILLET DE LOGEMENT

Huile sur panneau 1890 (57 x 38 cm)    

Figaro-Salon 1890 p.47 – vente New-York 1911 – Vendu par Silla Fine Antiques en 2014

L’année 1890 est celle de la scission entre la Société des artistes français et la Société nationale des beaux-arts. A Paris trois salons ouvrent leurs portes à un public quelque peu désorienté : Les Indépendants exposent du 20 mars au 27 avril au Pavillon de la Ville de Paris, la Société des Artistes français du 1er mai au 30 juin au Palais des Champs-Elysées et la Société nationale des beaux-arts, du 15 mai au 30 juin au Palais des beaux-arts du Champ-de-Mars. C’est aux Champs-Elysées que Le Blant accroche Le Billet de Logement.

Le billet de logement est un acte administratif, délivré par le maire d’une commune, qui enjoint à un habitant de cette commune de loger des militaires de passage, et parfois leurs chevaux. Il peut aussi les obliger à les nourrir et les entretenir.

Il permet ainsi à des militaires d’être logés temporairement si la ville ne dispose pas de caserne pour les accueillir. Cette pratique vaut aussi en temps de paix, lors des manœuvres, etc. Il est très utilisé pour réquisitionner les logements pour les nombreux mercenaires étrangers de l’armée napoléonienne qui avaient « un nom à coucher dehors », d’où l’expression « à coucher dehors avec un billet de logement ». Cette pratique n’est pas spécifiquement française : elle s’observe dans d’autres pays.

Il s’agit d’un travail exceptionnel en huile sur panneau dépeignant avec des couleurs vives et des détails parfaits une paire de soldats livrant un billet à un compatriote.  Les deux soldats semblent épuisés, sales et transpirant, alors qu’un vieil homme prend connaissance du document.  L’arrière-plan s’estompe, laissant place aux maisonnettes du village et au sentier sinueux sur lequel des poulets se promènent librement. Au premier plan les trois figures sont absolument nettes, vivantes et expressives.  Tous les détails sont saisis avec justesse, des boucles d’oreilles aux traits marqués du vieux civil aux jambes boueuses des soldats.

« M. Julien Le Blant n’a plus consacré son pinceau aux hauts faits des chouans ; il a bien fait, car son Billet de logement est un tableautin où un petit incident des guerres héroïques de la Révolution est reproduit avec une finesse et un esprit de bon aloi. » (La République française 12 mai 1890)

LE COMBAT DE FÈRE-CHAMPENOISE

Huile sur toile 260 x 380 cm

Présenté au salon 1886, hors concours et acheté par l’Etat. Ce tableau a pris place pendant quelques années dans le salon précédant le cabinet du président de la République avant d’être transféré en 1908 au musée de Troyes.

Localisation actuelle : Musée des Beaux-Arts de Troyes

Sujet

La bataille de Fère-Champenoise qui s’est déroulée le 25 mars 1814 a opposé l’armée française de Napoléon Ier et les armées de la Sixième Coalition durant la campagne de France. La bataille se solde par la défaite de l’armée française et ouvre aux troupes alliées la route de Paris.

Les Français se réorganisent

L’épisode raconté dans le tableau se déroule le 25 mars vers 14h30. L’armée française poursuit sa retraite. La cavalerie ennemie est à son tour stoppée par le ravin, ce qui fait gagner un peu de temps aux Français et leur permet de se réorganiser. Mais déjà la cavalerie de Pahlen débouche sur la gauche par Normée sur Fère-Champenoise et celle du Grand-duc déborde sur la droite par Vaurefroy. Une nouvelle charge sur le centre de la ligne désorganise l’armée française, qui ne forme plus qu’une immense colonne de carrés le long de la route autour de laquelle tournoient les cavaliers autrichiens et russes. La cavalerie française, totalement désorganisée est en partie au milieu des carrés français, en partie débandée en arrière de Fère-Champenoise où elle tente de se reformer. À ce moment, le 9e régiment de marche du colonel Leclerc (division Noizet) débouche de Fère-Champenoise, et par une charge vigoureuse parvient à dégager la colonne française. Les cavaliers ennemis se replient pour reformer leurs lignes.

Le 25, à six heures du matin, le maréchal Mortier, remonta la rive gauche de la Somme-Soude avec son avant-garde tandis que trois divisions de la garde se portaient sur Soudé-Notre-Dame. Le même jour, eut lieu le combat de la Fère-Champenoise, combat des plus malheureux, et qui fit craindre un instant la destruction entière de l’armée.

La charge de la cavalerie russe

L’engagement durait depuis sept heures du matin, et les maréchaux Mortier et Marmont se flattaient de gagner les hauteurs de la Fère-Champenoise en combattant, lorsqu’une affreuse giboulée vint augmenter l’embarras du mouvement rétrograde sur Connantray. La cavalerie russe, favorisée par cette averse qui fouettait le front de la ligne française, chargea les cuirassiers à peine reformés, les culbuta sur l’infanterie, et leur enleva deux pièces d’artillerie. Les divisions de la jeune garde n’eurent que le temps de se former en carrés; deux de la brigade Jamin furent sabrés et le général pris; ceux de la brigade Le Capitaine perdirent leur artillerie, et souffrirent beaucoup sans avoir été entamés. Pour surcroit de malheur, l’orage grossissait; il grêlait avec violence, aucune amorce ne prenait, et l’on ne pouvait faire usage que de la baïonnette. Dans cet horrible désordre, l’on ne se distinguait plus à trois pas, et deux fois les maréchaux se refugièrent dans les carrés pour ne pas être entraînés par les fuyards. Heureusement le temps peu à peu s’éclaircit; la bonne contenance des divisions Ricard et Christiani, de la garde, aux extrémités de la ligne, donna le temps à la cavalerie de passer le ravin de Connantray, et de se reformer de l’autre côté. A peine l’armée française fut-elle ralliée derrière Connantray, qu’où aperçut déboucher du ravin quelques coureurs, par l’effet du désordre qui existait depuis le commencement de l’action. Loin de chercher à les arrêter, artillerie, cavalerie, infanterie, tout s’enfuit pêle-mêle dans la direction de la Fère – Champenoise. La déroute était sur le point d’être complète, lorsqu’un renfort inespéré sauva l’armée.

Le 9e régiment de grosse cavalerie, commandé par le colonel Leclerc, déboucha de la Fère-Champenoise, au même moment où les troupes le traversaient. Sans hésiter, il marcha à la rencontre des escadrons légers des alliés, leur en imposa par sa fermeté, et facilita aux maréchaux le moyen de rallier leurs troupes sur les hauteurs de Lirthes.

Le sacrifice de Pacthod

Pendant que se déroulait cette scène pénible et désastreuse, à quelque distance avait aussi lieu une autre action, bien différente et digne de faire date dans l’histoire. Le général Pacthod se trouvait placé, à la tête d’un corps de 4,000 gardes nationaux de Sens et Montereau et de jeunes soldats à peine exercés au maniement des armes. Il soutint pendant six heures un combat sanglant à la Fère-Champenoise ce 25 mars. Ses six carrés de soldats en sabots et chapeaux furent accablés par les charges répétées de 20’000 cavaliers et les tirs d’artillerie de 100 canons des armées russe et prussienne. Ces nouveaux « Spartiates » assaillis de toutes parts, ces braves, désespérant de vaincre, voulurent du moins mourir avec honneur. Les deux souverains alliés, témoins de cette défense héroïque, convainquirent Pacthod, blessé au bras, et les 1400 soldats survivants de se rendre. Pacthod fut libéré en avril, après la chute de l’Empire.

Le tableau lors de sa présentation au salon de 1886

« Le « Combat de Fère-Champenoise », de M. Le Blant, est un épisode seulement de la grande bataille livrée par les généraux Mortier et Marmont aux armées coalisées. Quelques milliers de gardes nationaux commandés par le brave Pacthod, rompus par l’artillerie prussienne, sabrés par la cavalerie russe, poussés dans les marais de Saint-Gond, opposent à toutes les sommations un refus obstiné. Ce n’est pas un sauve-qui-peut terrible à comme Waterloo, mais un duel tenace et sans merci où les vieilles moustaches de Fleurus, de Quiberon, d’Héliopolis et d’Arcole se sentent le coude une dernière fois. De leurs carrés sans cesse disloqués sans cesse reformés monte comme une clameur héroïque, faite de mille cris stoïques de ces vaincus, de leurs jurons scandant les parades ou les ripostes et du cliquetis des baïonnettes gue les lances cosaques. Il se dégage de tout le tableau une impression pénible, mais vraiment forte. » (Annales politiques et littéraires du 30 mai) 

« M. Le Blant, qui a toutes les qualités de l’historien, l’exactitude, l’impartialité, un sentiment juste des temps et enfin je ne sais quoi, dans son style, de simple, de sobre, d’austère et de fort, M. Le Blant nous ramène en 1814, après Brienne, après Champaubert, après Montmirail, après Château-Thierry, quand l’Empereur, pour employer un mot sublime de Lacordaire, n’appelait plus à son aide « que des Victoires blessées à mort ». Une colonne de paysans bretons non encore équipés, que la gendarmerie lance sur les Cosaques, tel est le sujet de la savante composition de M. Le Blant. » (Lettres et Arts)

« La désolante réplique du Sphinx, M. Julien Le Blant nous en donne quelque chose ; au-delà les victoires de l’Empire, en voici déjà le revers : Combat de Fère-Champenoise- 25 mars 1814. Des gardes nationaux, bourgeois et paysans, équipés à la diable et d’une façon disparate, pressés en cohue, guidés et poussés par quelques officiers, — obstinés débris de vingt ans de guerre, — tournent comme ils peuvent sous le feu de l’artillerie prussienne et la menace de la cavalerie russe. Ce n’est point ici une composition faite pour le plaisir, mais la figure apparemment exacte d’un héroïque et lamentable fait de guerre. La vérité des types, des costumes, des gestes, dans ce ramassis de combattants qui grouille sans confusion, est évidente ; l’ordonnance des deux armées — si la nôtre est encore une armée — est telle que l’exigent la forme du terrain et les hasards de la lutte. Tandis que les Français, dans le coin gauche de la toile, exécutent leur mouvement tournant, le premier plan, à droite, est presque vide ; de ce côté, en arrière, arrivent à fond de train les Cosaques ; avant de rencontrer la tête de notre colonne, ils se croisent avec des escadrons de leur parti, évoluant sur un autre plan, de sorte que les lances des uns et des autres rayent la fumée du ca non et de la fusillade comme des averses chassées par des vents contraires; au-dessus, d’ailleurs, le ciel éclate et des trombes de pluie font rage. Voilà, si je ne me trompe, en même temps qu’un bon tableau, un sincère et curieux document d’histoire militaire. » (La République française 7 juin 1886)

« Le Combat de Fère-Champenoise, par M. Julien Le Blant, est un récit à la façon panoramique, un retour à la peinture d’annales, que conçut largement le baron Gros, et qu’exécuta plus étroitement le compassé et appliqué Van der Meulen.  M. Julien Le Blant est plutôt dans la tradition de Van der Meulen ; l’exécution de sa consciencieuse narration est écrite d’une brosse lente, en traits pénibles, en couleurs ternes. » (La Justice 20 juin 1886)

LE DÎNER DE L’ÉQUIPAGE

1884
Huile sur toile
121 x 224 cm
N° inventaire MnM 11 OA 1
Exposé Paris, musée de la marine, palais de Chaillot

En 1884, le peintre a l’occasion de se rendre à l’arsenal de Cherbourg pour son unique incursion dans le thème de la marine militaire. Les portes lui sont ouvertes par le commandant Augustin Emmanuel Félix Marie D’Hombres que Le Blant remercie en réalisant et lui offrant son portrait.

Il va aussi faire la connaissance du comte Léon De Champfeu, qui occupe le poste de Capitaine d’habillement, d’armement et de casernement au 1er Dépôt des Équipages de la Flotte, et avec qui il nouera une longue relation d’amitié.

M. Tessier, dans sa description du port militaire et de l’arsenal vingt ans plus tôt, nous relate l’impression que l’artiste a dû avoir en arrivant :

« En entrant dans le port militaire, on est frappé de la sévérité que présente l’ensemble des différents établissements de la marine. Malgré l’activité des ouvriers et des matelots, tout y est froid et imposant. A droite s’étendent parallèlement deux immenses hangars. L’un sert à mettre à l’abri les matériaux destinés aux constructions navales, tandis que l’autre contient la voilerie, la poulierie, l’atelier des embarcations, la salle des gabarits et celle des modèles. A l’extrémité de ces hangars se trouve la cale Chantereine, où l’on construit de légers bateaux à vapeur, et où les canots des navires viennent chercher les vivres journaliers que leur distribuent les agents des subsistances. Le long des fortifications qui protègent l’arsenal du côté de la rade, nous rencontrons un vaste bâtiment, renfermant l’atelier des forges, des martinets et une fonderie considérable. En le suivant dans toute sa longueur, nous arrivons au musoir Sud de l’avant-port que ferme pendant la nuit une énorme chaîne tirée à fleur d’eau. » (Le port militaire et l’arsenal en 1864 – Émile Tessier)

Base de Cherbourg à l’époque

De ce décor et de ses acteurs, Julien ramènera de nombreux dessins, aquarelles et pour le salon l’un de ses tableaux les plus réputés : Le Dîner de l’Equipage. Sur cette grande toile Julien Le Blant présente une scène originale, celle de la vie d’un équipage à bord d’un cuirassé vers 1890.

Les hommes prennent leur repas entre les canons de la batterie. Ce sujet, très rarement traité, permet d’observer le quotidien du marin, et donne une information intéressante sur les vêtements et le mobilier de l’époque. Une douce lumière entre par les sabords, à gauche, on aperçoit la chaîne qui retient l’ancre, la scène se passe l’avant du navire. Au premier plan au sol, figure l’axe sur lequel le canon effectue sa rotation lors du pointage, avant le tir. Pour l’heure il sert de support à du pain, et à deux bidons à vin. Au fond à gauche, un matelot, pieds nus comme certains de ces compagnons, transporte deux autres de ces bidons. Les ustensiles destinés au repas sont tous en métal (assiettes, couverts, quart de vin), tandis que les gamelles qui servent à apporter les plats sont en bois. On en distingue deux sur la table à proximité du canon.

Ce tableau fût acquis par l’état lors du Salon de 1884 et déposé au musée de la Marine en 1944 par le Fonds National d’Art Contemporain.

Le tableau lors de sa présentation au salon de 1884

« Il existe peu de choses au monde qui soient plus capable de nous donner une haute idée du génie de l’homme que l’étude détaillée d’un navire de guerre. Un navire c’est tout un monde, obligé de se suffire à lui-même, pendant les longues traversées où il devra vivre loin de la mère-patrie, entre le Ciel et l’Océan – ces deux abîmes. Aussi faut-il voir avec quelle intelligence pratique tous les besoins si multiples de la vie morale et matérielle de l’équipage ont été prévus – et satisfaits. Il y a là un outillage qui est le dernier mot de la faculté organisatrice. Et quelle admirable propreté jusque dans les parties les plus intimes et les plus reculées de cette demeure gigantesque et flottante.

Et quel ordre admirable, quelle stricte discipline, quelle régularité, – jamais en défaut – président à tous les actes de la vie de l’équipage depuis le branle-bas de combat des grands jours terribles, jusqu’au simple mais confortable Repas de l’Equipage. Le repas de l’équipage ! C’est précisément le sujet très joli et très pittoresque du tableau de M. Le Blant. Rien de mieux peint que sa salle à manger dans l’entrepont d’un cuirassé – avec un canon gigantesque, remplaçant la grosse pièce d’argenterie du surtout. » (Paris-Salon 1884)

« Le Déjeuner de l’équipage, de M. Le Blant, tableau fait pour donner aux plus casaniers la nostalgie des lointains voyages, tant les détails en sont exacts et tant la qualité de lumière entrant par les sabords d’un navire en pleine mer s’y trouve curieusement observée et rendue.» (La Nouvelle Revue)

La Lettre de France. Cette aquarelle des marins de Cherbourg est publiée dans le supplément de Noël du Figaro – 1884/85 – Tirée en chromotypographie par les éditions Quantin, elle a connu un vif succès.

Dans quel cuirassé Julien Le Blant a-t-il immortalisé cette scène ? Les marins avoisinent de gros canons de 240 mm ou 270 mm. La Flandre, La Savoie, La Gauloise et La Surveillante étaient à Cherbourg dans les années 1880, les autres cuirassés étaient à Toulon ou à Brest. La Savoie et La Gauloise étaient armées de 8 canons de 240 mm et de 4 de 190 au gaillard. La Flandre possédait 8 canons de 240 et 6 de 190 mm. Quant à La Surveillante, elle avait à son bord des canons de 270 mm. Celle-ci était en réserve à Cherbourg en 1882 avant d’être désarmée fin 1884.

Le tableau exposé au musée de la marine à Paris.

Avec l’adoption de la vapeur et l’apparition d’une artillerie de plus en plus sophistiquée, le marin, mécanicien ou timonier, doit se spécialiser. Différentes écoles sont alors ouvertes pour les former.

Esquisses et aquarelles réalisées par Julien Le Blant lors de sa visite de l’arsenal de Cherbourg en 1884
L’article consacré Au Dîner de l’Equipage dans le catalogue du Musée de la Marine à Paris

EXÉCUTION DU GÉNÉRAL CHARETTE

huile sur toile  285 cm x 170 cm (1883)

Localisation actuelle : collection privée

Sujet

François-Athanase de Charette de la Contrie, né le 21 avril 1763 à Couffé, près d’Ancenis. Il entre à l’école des Gardes de la Marine en 1779, sert ensuite sous le comte de de La Motte-Picquet et l’amiral de Guichen, obtient le grade de lieutenant de vaisseau en 1787 et compte en 1790, onze campagnes à son actif, dont quelques-unes en Amérique. Le 25 mai 1790, il épouse Marie-Angélique Josnet de la Doussetière et s’établit au manoir de Fonteclose, à La Garnache près de Challans (Vendée). Très vite, il s’ennuie, s’éprend de maîtresses, s’adonne à la chasse et ne manque aucun bal des châteaux environnants. Bien qu’il désapprouve le principe de l’émigration, il part pour Coblence, mais ne tarde pas à revenir en France pour défendre la famille royale aux Tuileries, le 10 août 1792. Il échappe au massacre, mais sur le chemin du retour, il est arrêté à Angers et relâché grâce à l’intervention de Dumouriez. Le 27 mars 1793 (24 Ventôse an I), dans la région de Machecoul où a lieu le massacre, il accepte de se mettre à la tête de paysans du Marais breton venus chercher son commandement au manoir de Fonteclose. Ceux-ci ne sont armés que de piques et de fusils de chasse et sont peu disciplinés. Il parvient ensuite à commander de meilleurs éléments dont des déserteurs républicains, et une cavalerie d’élite composée de nobles et de bourgeois équipés à leurs frais. Le 30 avril 1793 (11 Floréal an I), il parvient à empêcher les Républicains de prendre Legé.

Attaque de Nantes

Après la prise de Saumur en juin 1793, il se joint à l’Armée catholique et royale et Lescure lui demande de participer à la prise de Nantes. Le 29 juin 1793, il arrive le premier avec ses troupes dans les faubourgs de la ville. Il lance l’assaut seul aux aurores sans attendre les renforts de Charles de Bonchamps. Il est le dernier à quitter Nantes; le lendemain, après la retraite de l’Armée catholique et royale et voyant que tout était perdu, il aurait fait un pas de danse par dérision. Deux semaines plus tard, il est de nouveau présent sans les autres groupes, alors que l’attaque devait être combinée. Ses pertes sont élevées et après la perte de quatre canons, les Bleus contre-attaquent.

Le 19 septembre 1793, il participe à la victoire de Tiffauges, mais désobéit avec Lescure et se lance dans la poursuite de Kléber.

Le 30 septembre 1793 (9 Vendémiaire an II), le canon dans l’île de Noirmoutier fait reculer ses troupes. Mais douze jours plus tard, il les fait entrer par la chaussée du Gois à la marée montante pour les forcer à avancer. Les 800 hommes de la garnison sont rapidement capturés et, malgré ses ordres, un sous-chef en fait fusiller 200.

Se sentant dédaigné, il se sépare du gros de l’armée vendéenne qui va subir un désastre au cours de la Virée de Galerne, notamment à Savenay en décembre 1793. Il poursuit la lutte par une guérilla autonome. En mai 1794 Charette réorganise son armée et confirme Pierre Rezeau comme commandant de la division de Montaigu. En 1794, il s’empare du camp républicain de Saint-Christophe, près de Challans, mais moins d’un mois plus tard, le général Nicolas Haxo avec six mille hommes le force à s’enfuir. Il prend sa revanche peu de temps après en encerclant Haxo, qui est capturé et se voit apparemment contraint au suicide.

Traité de paix

A bout de munitions, le 17 février 1795, Charette, ainsi que plusieurs autres chefs vendéens, signe avec les représentants de la Convention le traité de La Jaunaye. Ce traité, signé au manoir de La Jaunaye, à Saint-Sébastien, près de Nantes, établit la liberté religieuse et exempte les insurgés du service armé. Quelques jours plus tard, Charette peut défiler à Nantes aux côtés du général Canclaux et du représentant en mission Albert Ruelle.

Mais la paix ne dure que cinq mois. En juin 1795, Charette reprend les armes au moment du débarquement de Quiberon, reçoit de la poudre, des armes et des fonds des Britanniques à Saint-Jean-de-Monts les 10,11 et 12 août 1795, mais est défait par Hoche.

En juillet, le futur roi Louis XVIII lui écrit qu’il lui confère le grade de général de l’Armée catholique et royale. Ses faits d’armes dépassent de loin le cadre de la guerre de Vendée : il reçoit les félicitations d’Alexandre Souvorov et Dumouriez tente de le débaucher pour rallier la cause de Louis-Philippe d’Orléans.

Tentatives désespérées

En octobre 1795 il tente d’organiser la venue du comte d’Artois, second frère de Louis XVI en Vendée et se porte sur la côte avec 15 000 hommes lorsque le prince se trouve à l’Île d’Yeu. Le futur Charles X ne rejoint pas le continent et Charette est peu à peu abandonné par ses troupes.

Charette fait alors le projet de faire jonction avec les bandes de Stofflet qui se battent encore en Anjou. Mais les colonnes républicaines viennent quadriller la région et il finit par être capturé par le général Travot le 23 mars 1796 dans les bois de la Chabotterie (commune de Saint-Sulpice-le-Verdon) alors qu’il n’est plus suivi que par 32 derniers fidèles.

Exécution à Nantes

Il est condamné à mort le 29 mars 1796 sur la place Viarme à Nantes. Avant d’y arriver, il étonne une fois encore la foule silencieuse qui s’était massée sur la place des Agriculteurs pour assister à l’exécution. S’arrêtant devant son cercueil, il le détaille avec un sourire ironique avant de hocher la tête d’un air approbateur : oui, la caisse est bien à sa taille.

Gravure d’après le tableau

 » Monsieur l’abbé, j’ai bravé cent fois la mort. J’y vais pour la dernière fois, sans la braver, sans la craindre ». Charette tient parole : après avoir répondu de la sorte au prêtre qui avait cru devoir l’exhorter au courage. Il s’avance, la tête haute, devant le peloton d’exécution formé de soldats choisis dans le bataillon de chasseurs qui avait réussi à le capturer le 23 mars dans le bois de la Chabotterie. Il refuse de se faire bander les yeux et ordonne lui-même de faire feu par sa célèbre réplique : « Lorsque je fermerai les yeux, tirez droit au cœur ». Dans un dernier effort au moment où les soldats ouvrent le feu, il se jette en avant.

Sa devise était « Combattu souvent, battu parfois, abattu jamais ». Son souvenir est encore très vivace en Vendée. Une croix, à l’angle de la Place Viarme et de la rue Félibien, commémore cette exécution.

FR3 région consacre un reportage à Charette avec le tableau de Le Blant
Scénographie Charette au logis de la Chabotterie
Vignette du chocolat Planteur d’après le tableau de Le Blant