LE BATAILLON CARRÉ, AFFAIRE DE FOUGÈRES 1793

Huile sur toile 150 x 227 cm  (1880)
Exposé au Salon de 1880 et à l’expo universelle de 1889 à Paris (médaille d’or)
Localisation actuelle : Bibliothèque de l’université de Provo/Utah – USA

Sujet

La deuxième bataille du Rocher de La Piochais (ou de La Plochais) a lieu pendant la Chouannerie. Le 21 décembre 1795, un convoi républicain venu de Fougères tente de ravitailler Saint-Georges-de-Reintembault, assiégé par les Chouans.

La bataille

Les troupes républicaines paraissent au matin, mais elles repèrent l’embuscade et ne tombent pas dans le piège. Les soldats se mettent en formation en lançant des railleries et des insultes à leurs ennemis, puis marchent baïonnette au canon. Les chouans les laissent s’approcher jusqu’à une distance de 20 pas puis ouvrent le feu. La décharge est meurtrière, le commandant ordonne la retraite et les républicains rétrogradent en bon ordre malgré le feu des chouans. Au même moment à l’autre bout de la colonne, Boisguy, à la tête de 400 hommes, enfonce l’arrière-garde et se saisit des voitures de vivres et de pains destinés à ravitailler Saint-Georges. Les républicains sont alors encerclés, les marais sur leurs flancs les empêchent de se replier.

À l’avant-garde, le général met sa troupe en formation au carré, Joré fait de même à l’arrière-garde après avoir rallié les fuyards. Mais les soldats républicains, à découvert, restent constamment sous le feu des chouans, protégés par les marais et embusqués derrière les fossés et les haies. Bonteville, Saint-Gilles et Dauguet lancent alors une charge sur le carré de l’avant-garde, les chouans en nette supériorité numérique, l’écrasent rapidement. Le carré de Joré et de ses carabiniers résiste plus longtemps, les chouans y pénètrent un instant, puis en sont délogés, avant qu’une deuxième attaque ne s’avère décisive. Les lignes républicaines sont disloquées et les soldats en déroute s’enfuient vers Fougères. Les républicains subissent ce jour là leur plus lourde défaite face aux chouans en Ille-et-Vilaine.

Gravure tirée des Chouans de Balzac, dessin de Le Blant d’après son tableau en 1889

Bilan

Il est certain que cette bataille se termina par une victoire écrasante des chouans. Dans un premier rapport les administrateurs républicains de Fougères admettent que l’escorte a perdu au moins la moitié des soldats qui la composaient. Les Chouans ont 39 tués et environ 40 blessés selon Pontbriand, qui porte également le nombre des tués républicains à plus de 1 200 et estime qu’il n’y eût pas 200 hommes à rentrer sans blessure à Fougères. Les corps des soldats républicains auraient été enterrés à la prairie de Chevaux-Morts. Cette défaite fut en tout cas vécue comme une véritable catastrophe par les républicains de la région.

« Sur une petite élévation, au centre, un bataillon de soldats républicains, formé en carré, tient tête à une furieuse attaque des chouans qu’on voit monter en désordre sur la gauche, débouchant impétueusement de tous les plis du terrain, armés au hasard de fusils, de sabres, de faux. Quelques-uns sont déjà, corps à corps, aux prises avec les Bleus. Entre les deux groupes, le sol est semé de cadavres et de blessés. Sur la droite on devine d’autres chouans rampant dans les herbes et des pétillements de fumée à l’horizon annoncent encore une attaque lointaine. La vivacité de l’action, grave et calme du côté des Bleus, enthousiaste et furieuse du côté des Blancs, a été rendue par M. Le Blant avec une chaleur et un entrain remarquables. Les types sont observés avec exactitude, la composition est bien groupée sans aucun sacrifice des vraisemblances, l’exécution est vive, précise, harmonieuse.  » Livre d’Or du Salon 1880

« Suspendons un moment notre course, que rend trop hâtive le désir de passer en revue nos plus grandes richesses, et faisons une halte devant le Bataillon carré, de M. Julien Le Blant. L’œuvre est étonnante d’entrain et de mouvement. Une troupe de chouans, coiffés du chapeau aux larges bords, chaussés de sabots, armés de piques ou de faulx, s’élance pour se ruer sur le bataillon carré des soldats de la République qui, immobile comme une forteresse vivante, fait feu sur les assaillants. La fureur de la bataille est dans l’air; elle anime cette plaine tachetée par les flocons de fumée bleuâtre, qu’emplit l’odeur de la poudre, et dont il s’élève de grands cris. Comme ces gens-là se battent bien, corps et âme, sans merci ! Quand ils vont s’aborder, la lutte sera acharnée et terrible. Telle est l’idée qui vous vient devant cette toile. M. Julien Le Blant s’est vu désigné de bonne heure à l’attention de l’opinion publique; jamais, ce me semble, il n’a mieux mérité que cette année la faveur dont il jouit auprès d’elle. Pour ma part, je lui sais un gré infini de ne pas suivre l’exemple de certains de nos peintres militaires, dont les tableaux sont des vignettes agrandies, et qui ne craignent pas de se compromettre avec le métier du photographe. » La peinture au Salon de 1880 : les peintres émus, les peintres habiles / par Roger Ballu

LA MORT DU GÉNÉRAL D’ELBÉE

Huile sur toile 140 x 206 cm (1878)
exposé au Salon de 1878 et acheté par M. Georges Petit de la galerie du même nom.
Localisation actuelle : Salle 3 du musée de Noirmoutier

Ce tableau qui eut un grand succès, et contribua puissamment à classer le jeune artiste à un rang élevé dans l’art, a été acheté par le Musée de Nantes. Il est désigné sous le nom de « tableau de la lutte », parce qu’un jour de marché de l’année 1884, des paysans s’étant arrêtés devant cette toile, et commentant à haute voix le fait historique représenté, furent interpellés par des ouvriers de la ville ; des mots aigres, on en arriva aux injures et à la bataille, et dans la chaleur de la rixe, les combattants brisèrent une statue et crevèrent un autre tableau qui se trouvait en face.

L’artiste, écrivait un critique connu, M. Olivier Merson, a traduit son programme sans emphase vaine, ni amplification inutile. L’exécution vient d’avoir lieu : tout au fond se distinguent les troupes qui retournent à la ville. Au premier plan, les cadavres ; point d’amis ou d’ennemis qui les entourent ; de curieux nulle part ; et sur cette vaste solitude plane une teinte sombre, triste et grise, vraie couleur de scènes lugubres.

Sujet

Maurice Joseph Louis Gigost d’Elbée est né le 21 mars 1752, à Dresde, d’une famille française établie en Saxe.  Il vint en France en 1777, y fut naturalisé, entra dans un régiment de cavalerie, parvint au grade de lieutenant, donna sa démission en 1783.

En 1793, les paysans de Beaupréau le décidèrent à se mettre à leur tête. Sa troupe se grossit de celles de Bonchamps, Cathelineau et Stofflet. Il servit d’abord sous Cathelineau, fut reconnu pour généralissime après la mort de ce chef, battit les Républicains à Coron et à Beaulieu, mais n’éprouva plus ensuite que des revers. C’est en qualité de généralissime qu’il se trouva, le 30 juillet 1793, à la bataille de Luçon gagnée par les Républicains et dans laquelle il s’exposa aux plus grands dangers et contribua à sauver l’armée vendéenne d’une complète déroute. Une seconde défaite des Vendéens à Luçon, le 13 août suivant, fut encore plus meurtrière.

L’armée royale fut complètement défaite à la bataille de Cholet par le général Kléber. D’Elbée, blessé grièvement dans cette dernière bataille, fut d’abord transporté à Beaupréau, puis à Noirmoutier; trois mois après, les Bleus s’étant emparés de cette île, il fut traduit devant une commission militaire, condamné à mort et fusillé sur la place publique du bourg de Noirmoutier, où on l’avait amené dans un fauteuil parce que ses quatorze blessures ne lui permettaient pas de se tenir debout (le siège a été repris par la famille d’Elbée qui le garda dans leur résidence jusque dans les années 1975, chez le marquis Charles Maurice d’Elbée. Lorsque celui-ci apprit qu’un musée vendéen était en construction à Noirmoutier, il fit don de ce fauteuil, désormais conservé au château de Noirmoutier). Sa femme fut fusillée vingt jours après, en janvier 1794.

Au jugement de plusieurs biographes, d’Elbée fut un homme pieux, d’un courage constant. Ses soldats l’avaient surnommé le général la Providence. De par son côté assez effacé, ce général n’aimait pas se mettre sur le devant de la scène, de sorte que les historiens oublièrent assez longtemps de reconnaître le rôle important qu’il joua dans les guerres de Vendée. Fin stratège, il était très aimé de ses soldats : Turreau dans ses mémoires, dira qu’il avait vu des soldats pleurer en entendant le seul nom de d’Elbée.

Une petite pièce voûtée fut aménagée au XIXème siècle dans le château de Noirmoutier pour abriter les réserves de poudre du château devenu fort militaire.

Aujourd’hui on y présente quelques objets, ainsi que le tableau de Julien Le Blant prêté par le musée des Beaux-Arts de Nantes, qui retracent les événements survenus à Noirmoutier lors de la première guerre de Vendée en 1793.

Copie du tableau – coll. privée

Il retranscrit ici la mort du général d’Elbée, d’après les récits qu’on lui en a fait. Il n’est jamais venu à Noirmoutier, ce qui explique que sa représentation du château et de la place d’Armes ne soit pas fidèle à la réalité. Pourtant, il dépeint un des événements historiques les plus importants qu’ait connu l’île.

Le fauteuil exposé dans la salle serait celui sur lequel Maurice d’Elbée, général des armées vendéennes, a été fusillé en janvier 1794. Il est avéré qu’après avoir été grièvement blessé à la bataille de Cholet, il est venu trouver refuge sur l’île, reprise aux républicains par Charette en octobre 1793. Lorsque les « Bleus » du général Haxo s’emparent de nouveau de Noirmoutier, d’Elbée est rapidement retrouvé puis jugé par un tribunal révolutionnaire, avec plusieurs autres personnalités royalistes ou soupçonnées de l’être.

Condamné à mort, ses blessures l’empêchent de se tenir debout face au peloton d’exécution. Quelqu’un aurait alors décidé d’aller chercher un siège dans une maison proche pour l’y installer malgré tout.

Ce fauteuil, perforé par les impacts de balles, aurait alors été récupéré, et serait celui qui est exposé aujourd’hui.

Critiques de l’époque

Cherchons le drame plus près de nous. Il est très simple et très écrit dans la Mort du général d’Elbée, par M. Julien Le Blant. Il s’agit du général vendéen qui avait succédé à Cathelineau et qui connut si peu la victoire. Saisi au lendemain d’une défaite, il fut fusillé à Noirmoutiers avec deux de ses amis. La scène est au bord de la mer, sur un triste rivage d’un gris blond. D’Elbée, qu’on avait assis dans un fauteuil, vient d’expirer ; à ses pieds, deux cadavres étendus sur le sol avec cette attitude sinistrement gauche que prennent parfois en tombant ceux qui meurent de mort violente. Dans le fond, au bord de la mer, le peloton d’exécution qui s’éloigne. Les théoriciens pourront, lorsqu’ils auront un peu de loisir, disserter à propos du remarquable tableau de M. Le Blant. C’est un excellent exemple de ce système de composition exceptionnelle qui consiste à séparer les groupes au lieu de les unir. Entre les suppliciés et les soldats, un grand espace; un vide énorme entre la mort et la vie. Hiatus tragique. Certains détails, qui pourraient sembler vulgaires, ajoutent à l’impression douloureuse. Le petit fauteuil qu’on est allé chercher dans une maison voisine, dont on a meublé un rivage désert, et sur le bras duquel s’appuie un cadavre, est bourgeois par le style, shakespearien par le sentiment. Le tableau de M. Le Blant, peint avec simplicité, dans une gamme mélancolique, éveille, chez le spectateur une véritable impression de deuil. (Le Temps)

Il y a un sentiment dramatique très bien exprimé dans le tableau de M. J. Le Blant : La Mort du général d’Elbée. « On mit d’Elbée dans un fauteuil et on le fusilla avec Duhoux, d’Hauterive et de Boissy ; son parent Wieland, qui avait rendu Noirmoutier à Charrette, eut le même sort. » C’est par un tempslugubre et noir, aux lueurs indécises du matin, que le peloton d’exécution a fait son œuvre fatale. Les cinq cadavres sont étendus dans la position où les a jetés la mort foudroyante. Puis le silence et la solitude se sont faits autour d’eux. Dans le fond les soldats s’éloignent ; l’effet est saisissant. Il faudra désormais suivre avec intérêt M. Le Blant. (Le Salon)

Le poète Adrien Dézamy, a écrit à propos de ce tableau :

C’était un froid matin de janvier. Sur la place
de Noirmoutier, nul bruit, que le bruit de la mer
Et des pas mesurés faisant craquer la glace …
On sentait comme un vent de mort passer dans l’air.
C’est qu’en effet, dans l’île, un arrêt militaire
Vient d’être exécuté ce matin-là. Comptez :
Trois Vendéens couchés la face vers la terre
Près d’un mur, sur le sol, gisent ensanglantés.
Un quatrième, ceint de son écharpe blanche,
Front meurtri, bras pendants, est assis au milieu
Sur un large fauteuil. Sa tête qui se penche
Semble à ses compagnons dire un dernier adieu.
Sur lui plus d’un regard tombe à la dérobée ;
Les soldats qui s’en vont, pâles, presque tremblants,
Se le montrent des yeux et disent : C’est d’Elbée,
« Le blessé de Cholet, le général des Blancs ! »
Eh bien ! oui ! C’est d’Elbée ! un généralissime !
Mais pour qui la connaît la mort est sans effroi,
Et l’on peut de sa vie, alors, payer ce crime
D’avoir été fidèle à Dieu, comme à son Roi !
Maudits soient les combats et les guerres civiles
Qui font par les vaillants fusiller les héros,
Et qui, pour apaiser les hameaux et les villes,
Transforment, sans merci, des soldats en bourreaux !

HENRI DE LA ROCHEJACQUELIN

Huile sur toile   (1879) – Vente Leroux 1888

Localisation actuelle inconnue.

Gravure tirée du tableau.

Sujet

À sa sortie du collège militaire de Sorèze, où il a été élevé, Henri de La Rochejaquelein entre au régiment de Royal-Pologne cavalerie, dont son père, le marquis de La Rochejaquelein, est colonel propriétaire, puis il passe aux chasseurs de Flandre qu’il abandonne pour faire partie de la garde constitutionnelle du roi. C’est à ce titre qu’il reçoit le baptême du feu en participant, le 10 août 1792, à la défense des Tuileries.

Guerres de Vendée

Rentré dans ses terres, en Vendée, il refuse de se soumettre à la conscription décrétée par la République et, au printemps de 1793, il rallie quelques dizaines de paysans auxquels il aurait dit alors, dans la cour de son château de La Durbellière, les paroles fameuses : « Si j’avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi ! »

Il commence par avancer, s’empare de Bressuire le 2 mai, puis de Fontenay, et le 8 juin fait son entrée dans Saumur, ayant donné, en montant le premier à l’assaut, l’exemple d’une fougue et d’une valeur auxquelles Kléber sera le premier à rendre hommage. Ses succès ne le grisent pas et, toujours maître de lui, il modère l’ardeur vengeresse de ses hommes qui veulent faire subir aux républicains la loi du talion : « Si vous agissez comme ceux qui font le mal, leur dit-il, où est la bonne cause ? »

Partisan d’une marche rapide sur Paris, pour s’emparer de la capitale et délivrer Louis XVII, il y serait peut-être parvenu si les avis des autres chefs royalistes, entre autres ceux de Donnissan et du prince de Talmont, n’avaient prévalu. On décide de se porter en Bretagne pour y rejoindre un corps expéditionnaire anglais attendu à Saint-Malo. La « grande armée catholique et royale », à la tête de laquelle il a succédé à d’Elbée comme généralissime, s’égare en Bretagne, suivie d’une masse de femmes, d’enfants et de bétail qui gênent ses opérations. La Rochejaquelein s’empare de Laval, de Fougères, d’Avranches, mais il échoue devant Granville et doit rebrousser chemin, harcelé par Marceau, Kléber et Westermann. Battu au Mans le 12 décembre 1793, il éprouve un nouveau désastre au passage de la Loire où ce qui reste de son armée est taillé en pièces.

Vaincu, calomnié par ses rivaux, abandonné par beaucoup, Henri de La Rochejaquelein s’enfonce dans le bocage vendéen pour y continuer, avec quelques fidèles, une lutte sans espoir. Il est tué dans un engagement, le 28 janvier 1794. Il n’avait que vingt et un ans.

Vitrail de l’église Saint Pavin – Le-Pin-en-Mauges, d’après le tableau de Le Blant.

La gravure de Julien Le Blant « Henri de la Rochejacquelin » a été colorisée et animée, dans le film de Hugues Nancy « Révolution ! » diffusé en 2 parties sur France 2, le mardi 13 juillet 2021.

LE 9e DE LIGNE DE LA MOSKOVA

Huile sur toile  (1888)

Localisation actuelle : En attente d’un nouveau musée de l’infanterie (normalement Draguignan). Anciennement au musée de l’infanterie de Montpellier.

« M. le ministre de la guerre se propose de faire exécuter, pour chacun de nos régiments, un tableau signé de l’un de nos peintres en renom et représentant le haut fait particulier à chacun de ces régiments. M. Turquet, désireux de s’associer à l’entreprise, a demandé de prendre les dix premiers de ces tableaux au compte du ministère des beaux-arts. Ces dix tableaux ont été distribués à MM. Protais, Berne-Bellecourt, Dupray, Le Blant, Lewis-Brown, Delahaye, Renard, Artus, Aimé Morot et Sergent. Plusieurs de ces tableaux figureront, assure-t-on, au prochain Salon. » (Chronique des Arts et de la Curiosité)

Le Blant se voit offrir 5000 francs (environ 16’500 euros actuels) pour réaliser une œuvre sur le thème du 9e de ligne de la bataille de la Moskova.

« L’heure des revers a sonné. On est en 1812, en Russie. C’est cette terrible bataille de la Moskowa qui nous fit perdre tant de monde. Tandis que le général Caulaincourt est mortellement blessé à la tête du 5e cuirassiers, le prince Eugène a pris le commandement du 9 de ligne et le conduit à l’attaque de la redoute de Borodino, qu’il enlève. C’est Julien Le Blant qui va servir, avec son habileté ordinaire, leur part de gloire à nos bons petits fantassins. » (Le Gaulois du 4 octobre 1886)

Tous les critiques ne s’accordent pas sur la réussite de l’œuvre et la stratégie utilisée par son auteur pour décrire les combats :

« L’enlèvement de la redoute de Borodino, par le « 9e de ligne de la Moskova », sous la conduite du prince Eugène, dû au pinceau de M. Julien Le Blant, nous donne la sensation de la mêlée. Seulement, cette sensation est gâtée par la vue des soldats du premier plan qui, trop penchés, trop tendus, semblent près de tomber. » (Le Radical)

« Le peintre a choisi le moment où, conduit par le prince Eugène, le Troisième enlève à la baïonnette la grande redoute de Borodino. Il y a dans cette page assurément beaucoup d’entrain et de vigueur. Les petits lignards, un peu étranges avec leurs pantalons blancs et leurs énormes schakos, s’élancent vaillamment contre l’ennemi déjà culbuté. Au centre, la figure élégante et sévère du prince Eugène dessine son mâle profil sur la fumée blanche. Au loin on aperçoit les cuirassiers abordant la redoute par un autre côté et commençant à sabrer les Russes pris de flanc. Tout cela est puissamment rendu. Il semble qu’on entende le canon gronder et pétiller la fusillade. Néanmoins ce tableau, quoique fait sur commande, ou peut-être à cause de cela, est loin d’offrir l’originalité et le curieux intérêt des œuvres précédemment exposées par l’artiste. » (Le Salon)

« Parmi les peintres militaires, je ne m’arrête pas à M. Le Blant, qui a été souvent plus heureux que cette année et dont j’attends une revanche. » (Lettres et Arts)

Gravure d’après le tableau

Sujet

La bataille de la Moskova, ou bataille de Borodino, opposa la Grande Armée commandée par Napoléon Ier à l’armée impériale russe menée par le feld-maréchal Mikhaïl Koutouzov. Elle a lieu le 7 septembre 1812 à proximité du village de Borodino, à 125 kilomètres de Moscou. Le nom de Moskova, plus évocateur que celui de Borodino, est choisi par Napoléon pour désigner cette bataille, et fait référence à la rivière qui coule à plusieurs kilomètres du champ de bataille et non au lieu où se déroulèrent les combats. Qualifié de « bataille des géants », elle est la plus importante et la plus sanglante bataille de la campagne de Russie, impliquant plus de 250 000 hommes pour des pertes estimées à 70 000 hommes.

Préparatifs

Depuis son entrée sur le territoire russe, Napoléon souhaite engager une bataille décisive face à un ennemi qui ne cesse de se dérober. Cette campagne qu’il entreprend comme une guerre purement politique, nécessite une victoire éclatante afin d’obliger le tsar Alexandre Ier à demander la paix et à conclure un nouveau traité d’alliance favorable à la France et à sa stratégie de blocus continental. Côté russe, le tsar, faisant face à des dissensions entre ses généraux quant à la stratégie à adopter, nomme Koutouzov commandant en chef de ses armées le 18 août. Ce dernier, après avoir laissé la Grande Armée s’approcher de Moscou sous les harcèlements incessants des cosaques, se décide enfin, aux portes de celle-ci, à fortifier ses positions et à livrer bataille.

La bataille

Au cours de cette confrontation, les Français réussissent à s’emparer des principales fortifications russes, dont la redoute Raïevski et les « flèches » défendues par le général Piotr Bagration, qui est tué lors de l’assaut. La victoire est française dans la mesure où Napoléon contraint les forces russes à battre en retraite et s’ouvre la voie vers Moscou. Cependant, cette victoire est une victoire à la Pyrrhus : les pertes de chaque côtés sont immenses (environ 30 000 soldats français tués ou blessés pour 45 000 côté russe) et bien que fortement réduite, l’armée russe qui dispose de réserves peut encore représenter une menace. Ainsi, Koutouzov, sans raison aucune (il n’a pas réussi à bloquer la route de Moscou et a perdu plus d’hommes que Napoléon), affirme qu’il à triomphé de l’ennemi à Borodino, le nom russe de la bataille.

Etude pour le tableau

La redoute Raïevski

Les cuirassiers saxons de La Tour-Maubourg attaquent les cuirassiers russes. La redoute Raïevski se trouve à droite, dans la fumée. À l’arrière-plan, on distingue l’église de Borodino. Détail du Panorama de Borodino.

Pendant ce temps, Eugène de Beauharnais pénètre dans Borodino après de durs combats contre la Garde russe, et progresse vers la redoute principale. Cependant ses troupes perdent leur cohésion, et Eugène doit reculer sous les contre-attaques russes. Le général Delzons se place alors devant Borodino pour protéger le village. Au même moment, la division Morand progresse au nord de Semionovskoïe, tandis que les forces d’Eugène franchissent la Kalatcha en direction du Sud. Eugène déploie alors une partie de son artillerie et commence à faire refluer les Russes derrière la redoute. Appuyés par l’artillerie d’Eugène, les divisions Morand et Broussier progressent et prennent le contrôle de la redoute. Barclay lui-même doit rallier le régiment Paskevitch en déroute. Koutouzov ordonne alors au général Iermolov de reprendre la redoute ; disposant de trois batteries d’artillerie, ce dernier ouvre le feu contre la redoute tandis que deux régiments de la Garde russe chargent la position. La redoute repasse alors aux mains des Russes.

L’artillerie d’Eugène continue à pilonner les Russes alors qu’au même moment, Ney et Davout canonnent les hauteurs de Semionovskoïe. Barclay envoie des renforts à Miloradovitch, qui défend la redoute tandis qu’au plus fort de la bataille, les subordonnés de Koutouzov prennent toutes les décisions pour lui : selon les écrits du colonel Clausewitz, le général russe semble être « en transe ». Avec la mort du général Koutaïsov, qui commandait l’artillerie russe, une partie des canons, situées à l’arrière des lignes russes, sont inutilisés, tandis que l’artillerie française fait des ravages dans les rangs russes.

Nouvel assaut

À 14 heures, Napoléon ordonne un nouvel assaut contre la redoute. Les divisions Broussier, Morand et Gérard doivent charger la redoute, appuyés par la cavalerie légère de Chastel à droite et par le second corps de cavalerie de réserve à gauche. Le général Auguste de Caulaincourt ordonne aux cuirassiers de Wathier de mener l’attaque contre la redoute. Observant les préparatifs français, Barclay déplace alors ses troupes pour renforcer la position, mais elles sont canonnées par l’artillerie française. Caulaincourt mène personnellement la charge et parvient à enlever la redoute, mais il est tué par un boulet. La charge de Caulaincourt fait refluer la cavalerie russe qui tente de s’opposer à elle, tandis que la gauche, où Bagration a été mortellement blessé, et le centre russe, sévèrement mis à mal, donnent des signes de faiblesse. À ce moment, Murat, Davout et Ney pressent l’Empereur, qui dispose de la Garde impériale en réserve, de l’engager pour porter l’estocade finale à l’armée russe, mais celui-ci refuse.

Barclay demande alors à Koutouzov de nouvelles instructions, mais ce dernier se trouve sur la route de Moscou, entouré de jeunes nobles et leur promettant de chasser Napoléon. Toutefois, le général russe se doute bien que son armée est trop diminuée pour combattre les Français. Les Russes se retirent alors sur la ligne de crête située plus à l’est. Napoléon estime que la bataille reprendra le lendemain matin, mais Koutouzov, après avoir entendu l’avis de ses généraux, ordonne la retraite vers Moscou. La route de la « Ville sainte » est ouverte à la Grande Armée.

Esquisse préparatoire pour le tableau

Bilan

Les pertes sont très élevées dans les deux camps. La Grande Armée perd environ 30 000 hommes : selon P. Denniee, inspecteur aux revues de la Grande Armée, il y aurait eu 6 562 morts, dont 269 officiers, et 21 450 blessés1. En revanche, selon l’historien Aristide Martinien, les Français perdent au total 1 928 officiers morts ou blessés, incluant 49 généraux4. Les Russes perdent environ 44 000 hommes, morts ou blessés, dont 211 officiers morts et 1 180 blessés. 24 généraux russes furent blessés ou tués, dont Bagration qui meurt de ses blessures le 24 septembre et Toutchkov5. Du côté français, le manque de ravitaillement, causé par l’allongement des lignes d’approvisionnement, pour les soldats valides fait que certains blessés meurent de faim ou de négligences dans les jours qui suivent la bataille.

Conséquences

Les Français prirent Moscou (à 125 km) le 14 septembre. Le soir même, d’immenses incendies ravagent la ville. Les derniers feux seront éteints le 20 septembre au soir. Moscou, essentiellement construite en bois, est presque entièrement détruite. Privés de quartiers d’hiver et sans avoir reçu la capitulation russe, les Français sont obligés de quitter la ville le 18 octobre pour entamer une retraite catastrophique.

La bataille de la Moskova est considérée comme une victoire tactique française. Elle ouvre la voie de Moscou à Napoléon. Les pertes françaises, quoique très importantes, restent inférieures au nombre de morts et blessés russes.

Bien que la bataille ait été vue comme une victoire pour Napoléon, des historiens contemporains considèrent Borodino comme une victoire à la Pyrrhus6. Murat et le vice-roi Eugène de Beauharnais, cités par Philippe de Ségur dans son Histoire de la Grande-Armée pendant l’année 1812, font état de l’inertie et de l’indécision de Napoléon pendant cette bataille, comme si son génie en avait été absent. En fait, l’Empereur avait souffert d’une fièvre et de douleurs qui, en affectant sa santé, l’avaient privé de ses facultés habituelles de stratège extraordinaire.

L’Empire russe a aussi revendiqué la victoire, les troupes s’étant repliées en bon ordre. La Russie affirma sa revendication sur la victoire en nommant une classe de cuirassé classe Borodino à la fin du XIXe siècle. En 1949, l’URSS fonda la ville de Borodino dans le kraï de Krasnoïarsk.

Notes préparatoires de Julien Le Blant

L’Enlèvement de la redoute est également une courte nouvelle de Prosper Mérimée, publiée en septembre 1829 dans La Revue française. Il s’agit de l’évocation d’une surprenante densité de la prise de la redoute de Chevardino ou Schewardino (dans sa nouvelle, Mérimée écrit Cheverino), qui eut lieu le 5 septembre 1812, deux jours avant la bataille de Borodino. La source de cette nouvelle aurait été inspirée à Prosper Mérimée par le témoignage oral d’un lieutenant. La nouvelle donne une image peu reluisante de la guerre.

La Librairie des Bibliophiles réédite La Mosaïque en 1887 avec un dessin de Le Blant pour illustrer L’Enlèvement de la redoute.

Gravure « L’Enlèvement de la redoute »