Durant l’hiver 1933-1934, Julien Le Blant connaît à nouveau des problèmes de santé, et, l’été suivant, on le trouve en convalescence à hôtel de la Côte d’Or de Semur où il se plaît à dessiner les maisons du village. Il revient encore durant l’été 1935.
Un reportage sur Semur, avec des dessins du peintre voyageur local André Maire, est paru quelque temps auparavant dans l’Illustration. Est-ce à l’origine de sa motivation pour venir y dessiner aussi?
« Nous avons commencé par
aller voir Semur, que nous avons trouvé très amusant, il y a beaucoup à faire
pour Julien ; Aussi nous avons écourté notre séjour ici pour retourner à
Semur lundi matin, en passant par Avallon que je trouve très pittoresque. Je
pense qu’il y travaillera beaucoup, sa santé de tout l’hiver n’avait pas été
brillante. Je compte beaucoup sur ce long séjour au grand air pour qu’il refasse
une provision de santé. » (Lettre
de Marie à Guiguet – Hôtel de la Côte d’Or – Semur, juillet 1934)
L’hôtel, à l’époque de Le Blant …… et aujourd’hui.
« Nous sommes ici fort bien dans un hôtel très convenable, avec des gens aimables et un pays inimaginable : je dois dire plutôt une vielle d’un pittoresque inouï, où à chaque pas on voudrait s’arrêter et crayonner. Je ne m’en prive pas, je vous assure, j’en ai mal dans ma pauvre main droite et le bras qui suit. Le Hic est de grimper et […] je n’ai plus des jambes de 50 ans et des genoux tout neufs. Aussi ma femme, voyant mon enthousiasme, a cherché et trouvé dans le bas au milieu de motifs à faire la gloire d’un peintre, une petite maison pas reluisante du tout, mais où nous pourrons venir l’an prochain avec la bonne, ce sera reposant pour moi. » (Lettre de Julien à Guiguet – Hôtel de la Côte d’Or – Semur, juillet 1934)
Près de l’ancien couvent des Minimes en 1935 …
… et aujourd’hui
« Oui, nous sommes à Semur
depuis quelques jours et si, depuis ma rentrée à Paris en septembre de l’an
dernier, j’ai si souvent rêvé de ce patelin, ce n’était pas une erreur de ma
part. Je trouve Semur encore plus extraordinaire que dans mes souvenirs. On se
promène dans des motifs sans nombre. Les officiels aussi bien que les privés.
C’est un coin extraordinaire et si dans la nuit je me réveille, c’est pour
penser à ce que j’ai vu et à me demander comment je m’y prendrai pour rendre un
peu ce que j’ai vu, ou du moins essayer ; et alors adieu le sommeil, j’en
ai jusqu’au lever du jour à me tourner et me retourner dans mon lit. Aussi, je
suis fatigué. Il y a trop à faire. Et puis, je suis travaillé per l’idée
d’attaquer plus grandement le ton local et au besoin exagérer l’entier de la
couleur. Que ça donnera-t-il ? Dans mes vieux jours, je vois du vert et du
violet, tout simplement et plus je regarde plus je suis persuadé que j’ai
raison. » (Lettre à
Guiguet – Hôtel de la Côte d’Or – Semur 1935)
Il s’agit de son dernier voyage et de ses toutes dernières réalisations. L’artiste, pourtant toujours désireux d’expérimenter de nouvelles idées, a maintenant 84 ans. Fatigué et malade, il meurt à Paris quelques mois plus tard.
Peintre, aquarelliste, dessinateur, Julien Le Blant est aussi un excellent graveur et lithographe. Alors que dans les livres illustrés par Le Blant des burinistes reprenaient ses dessins, pour ses poilus, l’artiste a travaillé lui-même ses estampes : eaux-fortes, aquatintes ou lithographies.
Ces 3 lithographies réalisées en fin d’année 1915 et tirées à 300 exemplaires ont pour titres: le « Cinéma », les « Convalescents » et le « Retour au front ». Le journal Le Gaulois du 7 janvier 1916 en fait écho:
« Par ce temps de tir rapide et de vitesse à outrance, la mode en art est aux lithographies, où le crayon exprime en quelques traits, sur la pierre, les impressions les plus vécues et les plus fortes. C’est ainsi qu’un maître, M. Le Blant, autrefois le peintre des chouans, et depuis lors le peintre des villages d’Auvergne, s’est naturellement attaché, en ce temps de guerre, à l’étude de nos soldats, sous des traits décisifs et prompts. Trois lithographies, qui sont déposées chez Legoupy, boulevard de la Madeleine, et chez Hellen, boulevard Saint-Germain, traduisent avec une vigueur et une vérité surprenantes non seulement l’allure, mais l’état d’âme sérieux et résolu de nos vaillants soldats. Ces lithographies ont pour titre : le « Cinéma », les « Convalescents » et le « Retour au front », c’est-à-dire les adieux à la gare après les quatre jours de permission : des femmes résignées, des enfants enthousiastes, des hommes trop fiers de leur mission pour s’attarder aux émotions familiales. C’est une synthèse de la France actuelle. On recherchera plus lard ces lithographies comme œuvre et comme souvenir.
Et au début de
l’année 1914 Julien Le Blant revient donc aux Aquarellistes et crée
l’événement.« Le Président de la République et Mme
Raymond Poincaré, qu’accompagnait M. A. Jacquier, sous-secrétaire d’Etat aux
Beaux-Arts, ont inauguré, hier, à deux heures, l’exposition des aquarellistes
français, organisée chez Georges Petit, rue de Sèze. M. Raymond Poincaré a fort
admiré les envois de M. Georges Scott, retraçant la guerre gréco-bulgare, dans
ses plus tragiques épisodes ; les « Fleurs », de Mme Faux-Froidure,
et les « Aventures de Gulliver », de M. A. Dewambez, ainsi que les « Souvenirs
du Limousin et du Lot », de M. Julien Le Blant. » (Le
Petit Parisien du 22 janvier)
Ce salon est le 36ème et la critique se demande toutefois si, malgré le succès populaire, le genre ne commence pas à s’essouffler. Dans la revue mensuelle « Les Arts » du mois de mars, publiée par Goupil, on peut lire deux rubriques principales. L’une est consacrée à une exposition rétrospective des œuvres de Camille Pissaro et l’autre à Julien Le Blant intitulée « Un revenant ».
dav
« La liste est longue des bons artistes qui ont fait
de cette terre leur séjour d’élection et qui l’ont chantée, avec des couleurs
sur des toiles. On peut parler d’une école de Beaulieu comme il y a une école
de Crozant. Trouillebert, l’émule de Corot, Duval-Gozlan qui s’apparente à
Monet et aux impressionnistes, Pierre de Montholon, Julien Le Blant qui, après
avoir longtemps dessiné des marins et des grognards, vint exprimer tout le
pittoresque de la vie : foires, marchés, vieilles boutiques, vieilles rues. Or,
voilà que la nature le prend, que la vie paysanne lui révèle une activité
insoupçonnée, que le changement des saisons et la loi des heures suscitent des
effets autres que ceux qui lui avaient suffi pour acquérir notoriété et
prospérité. Et comme l’impression reçue est dominatrice, qu’elle abolit les imaginations du passé, les trouvailles
heureuses qui ravissaient les bibliophiles, Julien Le Blant, le peintre classé Julien
Le Blant, se laisse prendre, accepte l’augure de la révélation, devient un
artiste si dissemblable de l’ancien, que ceux qui étaient mis en présence des
«Marchés» exécutés loin de Paris, dans la dévotion de la vie paysanne, étaient
excusables de douter, un moment, que les deux Julien Le Blant fussent une
personne. (…) Mais il faut pourtant dire que de toutes les compositions de M.
Julien Le Blant, s’épand une fraîcheur reposante, que de hautes frondaisons
tamisent un chaud soleil qui éclaire les demeures, avive l’éclat que coupent de
vénérables châtaigniers aux troncs superbes paraissent si significatives qu’on
a scrupule à en surcharger la présentation d’un commentaire. De telles œuvres
ont une éloquence instantanément prenante. Très saines, très équilibrées, elles
sont, en effet, naturellement accessibles, parlent à l’esprit, au cœur de ceux
que met en joie la nature en fête : eaux murmurantes, chants d’insectes,
si doux à qui, des vieilles pierres, souligne la silhouette des figures placées
dans cette vivace nature : l’« Escalier ensoleillé », la
« Femme au sceau » – une œuvre délicieuse, – La « Maison
Goudeau », le « Village de la Rivière-d’Altillac », comptent
parmi les notations les plus harmonieuses. (…) C’est dans ce village de la
Rivière-d’Altillac où l’artiste a trouvé plus d’un motif excellent, la
« Maison natale du général Marbeau », un logis ancien au toit très
haut, dont le faîte s’infléchit à force d’avoir accueilli. Enfin des
compositions comme le « Batteur de Faux » où la pénombre de l’atelier
contraste avec le coin de nature ensoleillé que laisse voir une porte
entr’ouverte ; comme la « Misère » où l’ample silhouette d’un
béquillard, la besace attachée sur la poitrine, se détache dans un entourage de
masures dont la vétusté s’allie si bien au caractère du gueux montrent que M. Julien
Le Blant n’a pas, en changeant le motif de ses compositions, perdu en qualité
de dessin, ni en faculté de présentation. Bien au contraire, les personnages
sont, ici, accusés avec une sûreté d’œil et de crayon un sentiment de vérité
qui militent en faveur de l’observation directe substituée, chez notre artiste,
aux plus heureuses fantaisies de l’imagination. Ceci dit, il est peut-être
superflu d’ajouter que M. Julien Le Blant dessine beaucoup dans sa retraite
corrézienne, dessine continuellement, accumulant des carnets qui témoignent
d’une activité intelligente, d’un amour profond de la vie et de la nature. »
(Charles Saunier, Les Arts, mars 1914.)
« On s’écrasait, l’autre jour, à l’inauguration du petit Salon des Aquarellistes. Il fallait prendre la file pour avoir le droit de regarder, une seconde, les cavaliers de Georges Scott, la Psyché, de Guillaume Dubufe, ou bien, encore, l’énigmatique Salomé, de Maurice Ray. Cette cohue est de règle aux Aquarellistes Français. C’est une habitude prise dès leur apparition, il y a un quart de siècle. Vibert et Detaille venaient de grouper les maîtres de l’aquarelle, et leur première exposition (qui réunissait des œuvres de Gustave Doré, de Baron, de Français, d’Isabey, d’Alphonse de Neuville, d’Eugène Lami, et dont Alexandre Dumas fils avait voulu se faire le parrain,) fut toute une révélation. Jamais nos peintres ne s’étaient montrés aussi à l’aise que dans ce genre de peinture léger et familier. Du premier coup, ils rivalisaient avec les artistes anglais, en verve, en limpidité et en invention aussi. Ils avaient tout pour eux : l’imprévu, le relief, la couleur. Pendant quinze ans, les Aquarellistes semèrent des merveilles. Adrien Moreau, Emile Adan, Victor Gilbert, Julien Le Blant, leur apportèrent le renouveau d’un talent plein de sève ; Lhermitte et Duez (un maitre charmant, trop tôt parti) leur donnèrent le meilleur d’eux-mêmes. Ce fut, pour l’aquarelle, une époque héroïque. Puis, l’œuvre du début, alerte et primesautière, fit place à l’œuvre ficelée, travaillée comme une page de missel, chère aux bibliophiles et à ce genre d’amateur qui ne voit rien au-delà du fini ou ne comprend le talent que s’il est, comme lui, tiré à quatre épingles. Aujourd’hui, l’aquarelle est quelque peu déchue ; mais on continue à lui faire fête. » (Les Annales politiques et littéraires)
« On retrouve, à ce trente-sixième Salon, Maurice
Leloir, avec tous ses défauts, toutes ses qualités, et peut-être, dans « La
Promenade », « Les Régates », « Entre Artistes », la
grâce de la composition, l’esprit de reconstitution font-ils oublier les
papillotages du coloris. Et voici, à côté de ses « caillettes » aux yeux noirs,
aux provocantes « assassines », des scènes d’enfant, comme seul Géo sait les
peindre ; un « Vieux Lithographe » qu’Emile Adan a merveilleusement
croqué sur le vif; de Georges Jeanniot, une « Gardeuse de Cochons »
qui contenterait le plus farouche réaliste; et, comme antithèse, des fleurs de
Filliard, le nouveau légionnaire; de François Rivoire, de Mine Faux-Froidure,
des fleurs aussi chatoyantes et colorées que nature. Il y a, de Caroline
Bailly, une étourdissante figure de gros homme; Guillaurrie fait prime avec des
scènes humoristiques que l’on connaissait déjà, mais qui font toujours rire;
Victor Gilbert, le peintre des marchés parisiens, n’a rien perdu de sa
maîtrise, non plus que Vignal, toujours épris de soleil; non plus que Gorguet,
que Jourdain, que Vollon, que Doigneau, que Duhem, Henry Tenré, que Jules Worms,
que Lecomte, que Julien Le Blant, lequel se repose des scènes vendéennes en
peignant de simples pêcheurs, des batteurs de faux et de vieux châtaigniers. »
(Les Annales)
« Il serait difficile de trouver dans tous les
cartons des aquarellistes du siècle quelque chose de plus franc, de plus preste
et de plus éclatant que les aquarelles de M. Pierre Vignal, et ceux qui ont vu
les Foires et Marchés de M. Julien Le Blant, occupé jadis à des œuvres de
chouannerie, ont admiré comment un artiste, dans toute la force de l’âge et du
succès, pouvait renouveler non seulement ses sujets, mais son angle visuel,
mais sa couleur, mais sa facture et jusqu’à l’atmosphère où baignent ses
figures et ses horizons. » (La Revue des deux
mondes)
« Paris est resté fidèle au Salon annuel des
Aquarellistes, à la galerie Georges Petit. Il y avait foule, hier, pour
l’ouverture de cette exposition dont les artistes forment un cénacle, une
petite académie où les élections sont rares et difficiles. Elle a eu les
commencements les plus brillants, Il y a trente-six ans, et, à mesure que
disparaissaient les anciens, comme Louis Leloir et Jacquet, de nouveaux talents
se présentaient, Le danger de l’aquarelle réside dans la mièvrerie, la
miniature. Son rôle est de faire saisir les formes, la lumière et l’harmonie
des couleurs en tacites précisées. L’aquarelle doit être « lavée » et
non « pignochée », Plusieurs la soutiennent d’un coup de
crayon noir qui contourne les formes et en marque les saillies ; c’est une
méthode qui réussit parfaitement mais ne s’impose à personne. Chacun a sa
manière et y donne la mesure de son talent, quels que soient les moyens.
L’événement d’hier, c’est le retour, la réapparition de M. Le Blant, qui nous
revient des montagnes de la Creuse, paysagiste, avec un procédé très personnel.
Ses paysages sont délicieux ; ses vieilles maisons rustiques ont le
recueillement des paysans montagnards habitués aux rudes mois d’hiver. » (Le Gaulois du 22 janvier)
« C’est un revenant. Il y avait vingt ans qu’il
avait quitté Paris, émigré volontaire dans les montagnes de la Creuse, où il
jouissait en paix de la nature, ne se souciant mémo pas des grands succès qu’il
avait eus à Paris et qu’il pouvait avoir toujours plus grands. C’est aux
Aquarellistes qu’il est réapparu, et de ce long pèlerinage II est revenu paysagiste,
subissant le charme dit pays qu’il habitait et nous l’apportant dans toute sa
saveur. Le peintre des Chouans, de la « Mort de Charette », l’illustrateur
merveilleux des « Chouans » de Balzac et du « Chevalier des
Touches » de Barbey d’Aurevilly, n’a plus qu’un objectif: traduire ses
impressions parmi les villages misérables de son pays de prédilection, et c’est
un coin de France, voisin de l’Auvergne, qu’il nous découvre et nous fait
comprendre. Sa manière même est changée. Il ne veut plus se souvenir de l’Ecole
; il fait appel à l’inspiration et à tous les moyens qui lui tombent sous la
main: crayon, sépia, encre de Chine, et la couleur vient simplement teinter le
dessin, lui donner les couleurs de la nature. Impressionniste ? Non, si l’on
entend par là l’Ecole des Sisley et des Pissarro. Et cependant ce n’est que l’impression
qu’il veut recueillir avec la vérité des choses. Il est lui, et ne veut pas
être autre. « Misère », c’est le mendiant boiteux qui traverse un
village planté de guingois sur le chemin tortueux et presque aussi pauvre que
lui. Le « Puits Ghubert », c’est un puits pittoresque couvert à demi,
où grince le rouleau qu’entoure la corde, et au-delà duquel taperait un jardin
bourgeois avec le toit d’une maison plus coquette. Les « Glycines »
qui pendent su toit bas d’une maisonnette lui donnent un air de cottage pittoresque
et charmant, et c’est comment la nature embellit la pauvreté. La maison natale
du général Marbot nous attire par les souvenirs des « Mémoires » et
par son côté mystérieux sous les grands arbres. Il faudrait tout citer dans ces
vingt aquarelles, moisson d’art cueillie sans recherche. Et l’homme toujours
jeune, malgré sa moustache blanche, n’a pas cessé d’être parisien, affable,
cordial, heureux de retrouver ses amis qui lui ont fait fête et tâcheront de le
garder à Paris. » (Le Gaulois du 23 janvier)
L’artiste n’est
pas peu fier de tous articles élogieux et en fait part à son ami Guiguet.
« J’ai exposé toute une
série de mes affaires aux Aquarellistes – on a été gentil pour moi dans la
Presse et parmi les artistes – on m’a traité de « Revenant » et en ce
moment on m’applique ce sobriquet. » (Paris, 11 février 1914)
1888 Les cahiers du Capitaine Coignet (Loredan Larchey). Librairie Hachette & Cie Paris, illustré de 96 gravures d’après des dessins de Le Blant, par Rousseau et Devos, ainsi que par 18 grands dessins hors texte, d’après des aquarelles réalisées en héliogravure par Ducoutioux selon les procédés Dujardin.
Les 500 exemplaires du premier tirage des mémoires de Jean-Roch Coignet furent directement vendus par l’auteur. Ces « cahiers » étaient écrits dans un français approximatif, Coignet n’ayant appris à lire et à écrire selon ses dires qu’en «1808, entre Friedland et Wagram». En 1883, un érudit, Lorédan Larchey, en révisant le style de l’auteur, publia de larges extraits de « Aux vieux de la vieille » sous le titre « Les cahiers du capitaine Coignet ». Le succès fut immédiat. Ces souvenirs furent désormais constamment réédités, comme ici par Hachette en 1888, avec une centaine d’illustrations de Julien Le Blant.
Résumé
Jean-Roch Coignet, plus connu sous le nom de capitaine Coignet, est né à Druyes-les-Belles-Fontaines le 6 août 1776. Enfant pauvre, presque abandonné à lui-même, Coignet est conscrit en 1799. Jusqu’en 1815 (il sera à Waterloo), il participe à toutes les campagnes du Consulat et de l’Empire, et termine sa vie militaire comme capitaine de la garde impériale et officier de la Légion d’honneur, après avoir participé à seize campagnes et quarante-huit batailles sans avoir jamais été blessé. Il meurt à Auxerre en 1865.
« LES CAHIERS DU CAPITAINE COIGNET, publiés par M. Lorédan Larchey, et illustrés de 18 planches hors texte en couleurs et de 66 gravures, d’après les aquarelles et les dessins du peintre Julien Le Blant, ne sont pas, on le sait, une œuvre de fantaisie. Ce sont les mémoires bien authentiques, et imprimés d’après le manuscrit original, d’un honnête soldat du premier Empire, qui naquit dans l’Yonne, en 1776. Après avoir été tour à tour berger, valet d’écurie, aide-jardinier, Coignet est pris par la conscription et part pour l’armée d’Italie. Plus tard, il est décoré et admis dans la garde. A trente-trois ans seulement, il devient caporal, et c’est alors qu’il apprend à lire et à écrire. Finalement, il parvient au grade de capitaine, après avoir fait toutes les campagnes de l’Empire. Mis en demi-solde par la Restauration, à l’âge de soixante-douze ans, l’idée lui vient de rédiger ses souvenirs. De là ces pages où se reflète, en des scènes réellement vécues, l’humeur sincère et naïve du « vieux de la vieille » qui raconte les choses telles qu’il les a vues. » (Le Figaro 22 décembre 1895)
Critiques de l’époque
« Avec Coignet, on n’a certes pas le détail des opérations d’une armée, mais on a la physionomie du combattant, les incidents de la marche, la couleur du champ de bataille, l’imprévu de l’action, le chaud de la mêlée. Ah le vrai livre de soldat, et comme M. Lorédan Larchey a bien fait de le sauver de l’oubli. M. Le Blant a trouvé, pour illustrer ces pages où bat un cœur de troupier, des compositions singulièrement pittoresques. Ce n’est pas la guerre idéalisée, c’est la guerre vue de près. » (Paul Ginisty dans L’Année littéraire)
« Faut-il encore parler de ces charmants et si curieux Cahiers du
Capitaine Coignet, publiés par Lorédan Larchey chez Hachette, avec des
illustrations de Le Blant? Le succès qu’ils ont déjà obtenu sous une forme plus
modeste peut nous dispenser d’insister. Je passe sur les éditions non
illustrées du début pour arriver à cette belle édition illustrée de 1888, dont
les exemplaires sur Japon et sur Chine firent bientôt prime et ne se trouvent
plus. Les photogravures de Guillaume pour les dessins dans le texte et les
héliogravures de Dujardin pour les compositions hors texte étaient remarquables
de netteté et de franchise, mais l’édition de cette année-ci devait encore
dépasser la précédente et, de plus, innover dans l’ordre de l’illustration en
couleurs.
En effet les belles héliogravures de l’édition de 1888 étaient d’un
seul ton, et faisaient excellente figure dans le livre. Mais comment pouvait-on
réaliser plus flatteur encore tout en demeurant aussi harmonieux. Les éditeurs
résolurent le problème, mais à force de duels soins, et avec quelle patiente et
dévouée collaboration de l’illustrateur! Les planches hors texte devaient être
en couleurs, mais dès le principe, on avait décidé, avec beaucoup de sens et de
goût, de proscrire cette mise en couleurs si surchargée, si criarde, qui arrive
à faire de certaines publications, chères pourtant, l’équivalent artistique des
boîtes d’allumettes-bougies. Or c’était justement la difficulté d’obtenir des
procédés, et des ouvriers, cette couleur variée et brillante tout en restant
d’une sobriété et d’une distinction parfaites.
Les soldats de Napoléon s’activent pour préparer le chemin du col du Grand-St-Bernard.
Pour les exemplaires de grand luxe, dont cinquante seulement furent mis
en vente, on fit des planches hors texte en taille-douce et on les tira en
couleurs « à la poupée » C’est-à-dire que l’imprimeur, à l’aide d’une petite
estompe en chiffons, colorie jusqu’au moindre détail de la planche en cuivre,
et que chaque épreuve tirée devient, pour ainsi dire, une véritable peinture
originale exécutée sous la direction attentive du peintre, qui en arrêta le modèle
avec mille précautions raisonnées.
Pour les exemplaires de vente plus courante, que l’on pourrait presque
appeler de luxe, mis à la portée de toutes les bourses, les tirages furent
différents, mais non moins complexes, il s’en faut. Il y eut des tirages de «
fonds » très subtils, sur lesquels vinrent s’appliquer les dessins arrêtés et
fermes, puis des délicatesses de coloriages à la main. C’est au prix de ces
efforts qui nécessitent on ne saurait dire combien d’essais, de
recommencements, de découragements même que l’on est arrivé à donner aux
illustrations d’une édition courante, comme à celles d’une édition
aristocratique, l’aspect et la séduction des véritables aquarelles et non les
grâces canailles, si l’on veut nous passer le mot, de chromos plus ou moins
prétentieuses et chères. » (Arsène Alexandre)
« Le succès de l’ouvrage si bien français et si attachant des « Cahiers
du Capitaine Coignet » s’explique de lui-même : c’est, à proprement
parler, une œuvre d’histoire nationale, qui intéresse tout le monde et dont la
sincérité ne peut être suspectée. Dans la magnifique édition de la librairie
Hachette, il y a un attrait de plus : les illustrations de M. Le Blant dont
notre format ne nous permet malheureusement de publier qu’une simple vignette.
Depuis Raffet, nous ne croyons pas qu’aucun artiste ait aussi bien compris la
physionomie vraie du soldat de l’Empire. Les dessins de M. Le Blant compteront
au premier rang de ses œuvres; ils sont d’une vérité d’observation qui frappera
les yeux les moins clairvoyants, et d’un esprit rare, surtout à notre époque,
puisqu’ils sont en corrélation étroite avec l’esprit du sujet. Les Cahiers du
capitaine Coignet ont leur place marquée dans ce coin de la bibliothèque où
l’on met les œuvres qu’il est agréable de feuilleter de temps à autre, coin peu
garni, en somme, malgré l’avalanche de livres luxueux sous laquelle la
librairie française engloutit les bibliophiles depuis tantôt quinze ans. »
(La Gazette des Beaux-Arts)
« La maison Hachette a réédité les Cahiers du capitaine Coignet avec des illustrations où M. Le Blant a rendu toute la saveur pittoresque de l’original. Les Cahiers de Coignet sont un des plus précieux documents psychologiques que nous possédions sur l’époque impériale. L’âme même de la Grande Armée y respire et ce récit des campagnes de Napoléon, fait par un des plus obscurs héros qui y ont pris part, mérite d’être placé à côté des Mémoires de Ph. de Ségur. Ce paysan qui n’a appris à écrire qu’à l’armée pour pouvoir devenir sous-officier et qui ignorait l’orthographe au point de ne pas savoir toujours séparer ses mots, ce paysan est un écrivain de talent, tant il est vrai que le style nait de la netteté des pensées et de la force des sentiments. M. Lorédan-Larchey, l’heureux possesseur de ces incomparables cahiers, les a allégés de quelques longueurs et de quelques passages un peu trop libres pour que, sous leur forme luxueuse et artistique, ils pussent être mis dans toutes les mains. Cette épopée familière, rendue encore plus vivante par les dessins de M. Le Blant, aura auprès du grand public le succès qu’elle a déjà eu, sous une forme plus modeste, auprès de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire. » (La Revue historique)
« C’est du patriotisme français encore que nous retrouvons dans les admirables Cahiers du capitaine Coignet, sous une forme un peu trop militaire, il est vrai, se confondant presque avec le culte d’un homme, mais pleins de cet héroïsme gaulois qui ne calcule point avant de se lancer dans un péril mortel. M. Lorédan Larchey, qui a rendu tant de services à notre littérature en explorant des coins ignorés ou négligés, n’eut jamais la main plus heureuse que lorsqu’il découvrit ce manuscrit, l’acheta et le publia. Il a fait graver le fac-similé d’une page de ces cahiers ou plutôt de ces caillets, comme écrivait le capitaine dont l’orthographe est pleine d’imprévu. A peine s’y trouve-t-il une rature. C’est que, comme les gens du peuple bien doués, Coignet trouve tout de suite une expression pour sa pensée et que, d’autre part, il n’hésite pas, comme nous autres gens de plume, entre deux ou trois expressions dont nous taisons peut-être tour à tour l’essai avant de choisir la meilleure. Il en a une et il n’en a qu’une; j’ajoute qu’elle est excellente : elle peint juste ce qu’il veut peindre; elle dit exactement ce qu’il a senti. N’oublions pas d’ailleurs que, pareils aux poèmes d’Homère, les Cahiers ont été débités de vive voix pendant bien des années avant d’être « couchés sur le papier ». Quel plaisir pour les voyageurs de commerce quand, au prix de quelques consommations, ils pouvaient faire causer ce vieux grognard en qui il y avait un narrateur de premier ordre! Dès la première fois que j’ouvris la première édition, je fus émerveillé de la bataille de Marengo: je ne sache rien de plus vivant chez aucun historien et, à mon avis, la première bataille de Waterloo, dans la Chartreuse de Parme, reste bien au-dessous. Vous souvenez-vous de l’attitude du premier consul au moment où les Autrichiens nous écrasent. S’ils restent victorieux jusqu’au soir, le premier consul ne rentrera pas plus à Paris que Napoléon III après Sedan : il retombera dans le néant. Si Coignet fort ignorant en politique, n’y songe guère, il n’observe pas moins: « Nous battions en retraite en bon ordre, mais les bataillons se dégarnissaient à vue d’œil, tout prêts à lâcher pied, si ce n’avait été la bonne contenance des chefs. Nous arrivâmes à midi sans être ébranlés. Regardant derrière nous, nous vîmes le consul assis sur la levée du fossé de la route d’Alexandrie, tenant son cheval par la bride, faisant voltiger de petites pierres avec sa cravache. Les boulets qui roulaient sur la route, il ne les voyait pas… » Quel tableau ! Cette splendide édition est supérieurement il lustrée par M. Julien Le Blant, dont on remarqua aux derniers Salons quelques toiles militaires, le Bataillon carré et surtout l’Exécution de Charette. » (La République française 23 décembre 1887)
« La librairie Hachette réédite, en format un peu réduit, avec tes illustrations de M. Julien Le Blant mises en couleur, les Cahiers du capitaine Coignet. Le livre publié par M. Lorédan Larchey est définitivement classé, non seulement parmi les mémoires militaires, mais parmi |as documents d’humanité. Jean-Roch Coignet ne nous renseigne pas seulement sur Marengo, Tilsitt, la Russie, la campagne de France, les Cent jours. Il nous révèle, ce qui est si rare en histoire, la vérité d’impressions d’un être venu de la foule, d’un résigné qui traverse les événements avec tranquillité et bonne humeur. Quel roman donnera une vérité comparable A celle du récit de l’enfance, conclura par des pages, étonnantes d’innocence, de non-inventé, telles que celles-là écrites par l’ancien soldat en retraite, ayant pris ses quartiers d’hiver dans la petite ville de l’Yonne. Singulier livre, naïf et fin, qui mérite sa fortune et sera conservé par l’avenir parmi les livres des historiens et des écrivains. Ce Coignet, avec très peu de mots à sa disposition, ne devient-il pas un écrivain à tout instant par l’expression juste, le tour de phrase ? La ressemblance est grande avec la littérature sincère d’Erckmann-Chatrian, mais ici nulle espèce d’arrangement, d’ornement : la phrase qui file tout droit, le mot le plus simple placé sans recherche et sans peine et donnant une sensation de résumé, le récit le plus bref et le plus évocateur. Au total, une forte leçon de style fréquemment donnée par un brave homme qui ne s’est jamais douté de ce que c’était que le style. Telle est la signification littéraire de ces cahiers d’un illettré doué d’observation et de sensibilité. » (Gustave Geffroy – La Justice 1 janvier 1896)
Vente des dessins originaux de Julien Le Blant pour les Cahiers du Capitaine Coignet.
Le lundi 23 mars 1896, a lieu chez Drouot la vente aux enchères très attendue de ses dessins qui ont servi à illustrer les Cahiers du capitaine Coignet.
« Samedi prochain, 21 mars, ouvre à l’Hôtel Drouot,
l’exposition des aquarelles et dessins originaux de J. Le Blant, ayant servi à
illustrer un livre qui a eu le plus grand succès : Les « Cahiers du
capitaine Coignet ». La vente aux enchères des dix-sept grandes
compositions rehaussées de couleur, gouaches et aquarelles de prix, toutes
œuvres de haut mérite, et des quatre-vingt-quatre spirituels dessins à la plume
de Le Blant aura lieu lundi 23 mars, à trois heures, sous la direction de M
Tual, commissaire-priseur, 56, rue de la Victoire. » (Le Gaulois du 18 mars)
Le résultat final de cette vente exceptionnelle se montera à 22’820 francs, soit environ 75’000 euros actuels.
Le livre pour lequel ont été exécutés les dessins qui pour la dernière fois vont se trouver groupés et exposés en un important ensemble, avant la bataille des enchères, est un des plus somptueux que l’on ait publiés en ces dernières années.
L’artiste qui a mis dans ces dessins toute son imagination, son savoir et son esprit, s’est placé au premier rang des illustrateurs contemporains, et, parmi les ouvrages qu’il a illustrés avec grand succès, celui-ci constitue certainement son œuvre la plus réussie et la plus remarquée.
A ce double titre, l’exposition et la vente que ce catalogue annonce et explique, intéressent à la fois les bibliophiles et les amateurs d’art. Les premiers se disputeront sans doute ces dessins et tiendront à accrocher à leur mur un des originaux du luxueux livre qui est en place d’honneur dans leur cabinet. Quant aux amateurs qui seront séduits simplement par la vivacité de ces petites et grandes illustrations, et qui voudront en acquérir parce qu’elles forment par elles-mêmes une composition complète et attrayante, la vue de ces dessins leur donnera aussi le désir de se procurer l’ouvrage en bel état. Malheureusement je crains pour eux qu’ils n’arrivent trop tard, car il n’est pas un seul de ces exemplaires enviables qui n’ait trouvé un maître.
De toute façon, les dessins de Le Blant, formant pour la dernière fois le bataillon carré, se défendront vaillamment. Mais, fusillés par des arguments sonnants auxquels on ne saurait résister, au rebours de la vieille Garde qu’ils évoquent, ils se rendront – et ne mourront pas. Ils se rendront d’ailleurs tout en étant les véritables héros de la journée.
Comment ne nous viendrait-il pas à l’idée des images guerrières pour parler de ces Cahiers du Capitaine Coignet? A ma grande honte, je l’avoue, avant qu’on me fît l’honneur de me demander ces quelques mots de préface, je ne connaissais des Cahiers que les dessins de Le Blant. J’en avais fort goûté la verve et la vérité; j’avais aussi apprécié les soins tout à fait exceptionnels avec lesquels les éditeurs avaient secondé son talent, et revêtu d’une typographie magistrale les sublimes bavardages du vieux grognard. Mais quand je me suis mis à suivre, comme si j’avais été un simple habitué du « Café Milon », à Auxerre, les récits rustiques et guerriers de cet ancien, je me suis surpris – malgré mon peu de penchant pour les conquérants en général et pour les superbes massacres légitimés sous le nom de guerre – à tourner les pages avec un ardent intérêt, et, pour ainsi dire, à marquer le pas, à chanter avec Coignet et ses compagnons d’armes le goguenard et intrépide refrain :
Ran-tan
plan, tire lire,
On
va lui percer le flanc,
Ran-tan
plan, tire lire, v’lan !
Surtout, je me suis expliqué à la fois le succès considérable de l’ouvrage et le plaisir entraîné avec lequel Le Blant avait fait surgir sur son papier les escarmouches et les canonnades, les folies héroïques et les retraités navrantes mais glorieuses.
M. Lorédan Larchey, qui eut la bonne fortune de découvrir les Cahiers de Coignet, a raconté dans les préfaces des diverses éditions la curieuse histoire de cette épopée en prose.
Mais je ne saurais plus longtemps vous parler du brave capitaine quand il reste beaucoup à dire des dessins de Le Blant, puis de la belle toilette que devaient revêtir ces fameux cahiers.
Parlons d’abord de l’illustrateur. Cet artiste allie la conscience au talent; il est vraiment doué sous le rapport de l’imagination comme de l’exécution. Depuis que je connais Julien Le Blant et que je l’ai suivi comme illustrateur et comme peintre, j’ai pu constater que ses ouvrages si spirituels et pour nous si amusants ne sont pas du tout faits « en s’amusant » . Il est peu d’illustrateurs qui cherchent avec plus de scrupule l’agencement d’une composition, le costume et l’allure d’un personnage. Il n’est pas rare qu’il fasse une ou plusieurs études peintes de paysage pour obtenir juste les quelques traits de plume qui forment le fond d’un de ces dessins paraissant si aisés et si naturels. Ceci n’est qu’un détail, mais il est typique : Le Blant s’est donné un mal énorme pour savoir exactement quel costume portait l’Empereur, ainsi que le représente un des dessins des Cahiers, lorsqu’il mettait à mal quelques lapins, pendant les rares loisirs où il se reposait de faire massacrer des armées.
Le public ne se doute pas des efforts que l’on accumule pour lui plaire. Parfois pourtant il les reconnaît instinctivement; aussi a-t-il fait à ce peintre des chouans et des grognards une place brillante et enviée. Du moins le succès va, en cette occasion, à un homme aussi modeste et aussi distingué que l’artiste est ingénieux et captivant.
Faut-il rappeler ses succès au Salon, et citer au moins deux de ses plus saisissantes toiles: La mort de d’Elbée, si dramatique, si poignante, et La rentrée de l’armée d’Italie, si finement humoristique, avec l’impertinent ébahissement des incroyables devant les grognards bronzés, imperturbables, l’arme au pied.
Cette vive et heureuse composition se trouve avoir fait le thème d’un des dessins du Capitaine Coignet, pour la description détaillée desquels je vous renvoie au catalogue. Chacun est à même de faire son choix et de décider, sans crainte d’erreur, les pièces qui conviennent le mieux à son goût et à son tour d’esprit. Tel aimera les pages rustiques évoquant les aunées d’enfance si rudes d’abord et puis si heureuses du bon et malin Jean Roch. Tel autre préférera les canonnades et les fusillades, les assauts furieux, les élancées à la baïonnette, les montagnes franchies, les marais traversés en pestant et en riant aux éclats, de ce rire enfantin et viril des braves. D’autres enfin se laisseront plutôt conquérir par les fines et élégantes évocations de la vie des cours : les bals avec tant d’épaules nues et de fracs constellés, la promenade du roi de Rome sur les bras du grenadier radieux et gauche; ou encore les derniers dessins ramenant le lecteur vers une petite vie de province désœuvrée et recroquevillée.
Les grandes compositions rehaussées de couleur, gouaches et aquarelles de prix, car ce sont à la fois des œuvres d’art et des chapitres d’histoire, seraient à citer toutes, car toutes se valent par l’agrément de la couleur et l’intérêt du détail. Toutefois j’avouerai une préférence pour le gamin labourant dans les champs de son frère, le paysage du Saint-Bernard avec ses soldats improvisés, terrassiers si affairés, le sapeur à la barbe effrayante présenté au maréchal Berthier, les « Vingt-cinq mille bonnets à poil » dans les rangs desquels passe certes un souffle de Raffet, le comique repas offert à la Garde russe, le sergent Coignet étudiant sa théorie, la promenade du roi de Rome déjà nommée, la lugubre retraite de Russie, et enfin la duchesse d’Angoulême promenée triomphalement dans Auxerre.
Parmi les dessins à la plume, non moins significatifs et non moins raffinés, ceux qui ont trait à la bataille de Marengo, à la campagne de Russie, aux campagnes de 1813-1814, par exemple Napoléon acclamé par sa Garde et l’engagement avec des Cosaques près d’un moulin à vent, me semblent les plus épiques et les plus électrisés.
Je disais tout à l’heure que les bibliophiles ne seraient pas moins empressés que les amateurs d’art à cette vente. Il faut expliquer brièvement au public les soins exceptionnels dont furent l’objet, de la part des éditeurs, les Cahiers du Capitaine Coignet. Je passe sur les éditions non illustrées du début pour arriver à cette belle édition illustrée de 1888, dont les exemplaires sur Japon et sur Chine firent bientôt prime et ne se trouvent plus. Les photogravures de Guillaume pour les dessins dans le texte et les héliogravures de Dujardin pour les compositions hors texte étaient remarquables de netteté et de franchise, mais l’édition de cette année-ci devait encore dépasser la précédente et, de plus, innover dans l’ordre de l’illustration en couleurs.
En effet les belles héliogravures de l’édition de 1888 étaient d’un seul ton, et faisaient excellente figure dans le livre. Mais comment pouvait-on réaliser plus flatteur encore tout en demeurant aussi harmonieux. Les éditeurs résolurent le problème, mais à force de duels soins, et avec quelle patiente et dévouée collaboration de l’illustrateur! Les planches hors texte devaient être en couleurs, mais dès le principe, on avait décidé, avec beaucoup de sens et de goût, de proscrire cette mise en couleurs si surchargée, si criarde, qui arrive à faire de certaines publications, chères pourtant, l’équivalent artistique des boîtes d’allumettes-bougies. Or c’était justement la difficulté d’obtenir des procédés, et des ouvriers, cette couleur variée et brillante tout en restant d’une sobriété et d’une distinction parfaites.
Pour les exemplaires de grand luxe, dont cinquante seulement furent mis en vente, on fit des planches hors texte en taille-douce et on les tira en couleurs « à la poupée » C’est-à-dire que l’imprimeur, à l’aide d’une petite estompe en chiffons, colorie jusqu’au moindre détail de la planche en cuivre, et que chaque épreuve tirée devient, pour ainsi dire, une véritable peinture originale exécutée sous la direction attentive du peintre, qui en arrêta le modèle avec mille précautions raisonnées.
Pour les exemplaires de vente plus courante, que l’on pourrait presque appeler de luxe, mis à la portée de toutes les bourses, les tirages furent différents, mais non moins complexes, il s’en faut. Il y eut des tirages de « fonds » très subtils, sur lesquels vinrent s’appliquer les dessins arrêtés et fermes, puis des délicatesses de coloriages à la main. C’est au prix de ces efforts qui nécessitent on ne saurait dire combien d’essais, de recommencements, de découragements même que l’on est arrivé à donner aux illustrations d’une édition courante, comme à celles d’une édition aristocratique, l’aspect et la séduction des véritables aquarelles et non les grâces canailles, si l’on veut nous passer le mot, de chromos plus ou moins prétentieuses et chères.
Voilà donc, à très grandes lignes, esquissées les étapes d’un livre qui a fait beaucoup de bruit dans la librairie française. On comprend dès lors que l’attention du public soit très éveillée sur les dessins originaux qui vont s’éparpiller.
Dans ces dessins, chacun va faire son choix personnel; mais l’important pour nous, dans cette brève étude d’un livre et de son illustrateur, était de signaler les raisons d’un grand succès et d’expliquer la valeur des moyens et des souvenirs de ce succès, qui vont affronter une dernière bataille dont l’issue n’est pas douteuse.
Le 15 août 1885,
Julien Le Blant est récompensé par une médaille de 1ère classe, à nouveau pour
le Bataillon Carré, présenté lors de l’exposition universelle d’Anvers.
À la suite de
cette distinction, le 29 décembre, sous la IIIe République de Jules Grévy, il
est fait Chevalier de la Légion d’honneur à Paris 8e. Il a été
recommandé par le peintre Ferdinand Heilbuth, lui-même Officier de la Légion d’Honneur.
Chevaliers
de la Légion d’honneur dans a famille de JLB :
Edmond-Frédéric Le Blant (son père)
Louis Julien Lemaire (grand-père maternel)
Hippolyte Emmanuel dit Adhémar Esmein (beau-frère)
Le 19 décembre
1883 Julien Le Blant réalise un décor représentant le Canal St-Martin pour l’Opéra
Polymorphe Louis IX joué, comme il se
doit, à l’hôpital Saint-Louis.
Sur scène, le décor du canal St-Martin réalisé par J. Le Blant.
Le pot-pourri que le programme désignait comme un accès de folie en trois actes et beaucoup de tableaux, avait pris naissance à la salle de garde de Saint Louis … Quelques mois auparavant, il y avait eu, à cet hôpital, une jeune malade, dont deux internes se disputaient le cœur. Leurs camarades et amis, se divertirent à mettre leurs amours en chanson. Des couplets s’ajoutèrent aux couplets, des vers à la prose, et, finalement, de la musique.
Le produit de la représentation fut employé à fonder une rente de 400 francs destinée à donner des secours aux femmes nécessiteuses sortant de l’hôpital avec le diagnostic de syphilis.
L’Illustration du 19 janvier 1884 relatant l’événement.
«Ce sont les internes de Saint-Louis qui en ont eu l’idée et
qui l’ont organisée, avec l’assentiment de M. Quentin, le très habile directeur
de l’Assistance publique. Il y avait, l’an dernier, une jeune malade dont deux
internes se disputaient le cœur. Leurs amis et camarades s’amusèrent à mettre
leurs amours en chansons. Puis, aux chansons on ajouta de la prose, à la prose
des vers tragiques, aux vers tragiques de la danse, et il en résulta une
composition bizarre, tenant à la fois de la revue, du drame, de l’opérette, du
grand-opéra et du ballet, tout ce qu’il y a de plus polymorphe enfin, une pièce
sans queue ni tête qu’on projeta de représenter au profit des malades. »
(L’Illustration janvier 1884.)
Huile sur toile 147,3 x 221 cm (1882) – Vente Sotheby’s New-York 13 oct. 1993 sous le titre : Highway Robbery – Localisation actuelle inconnue
Sujet :
Pour le Salon de 1882, Julien Le Blant, qui a déjà été trois fois médaillé, doit exposer hors-concours. Il choisit un sujet que Goya avait déjà traité à son époque : une attaque de diligence. Le Courrier des Bleus, est une scène dramatique, et sans doute imaginaire, qui a une fois encore pour cadre les guerres de Vendée. Ce sujet prouve que l’artiste, que l’on considère parfois comme l’apôtre de la contre-révolution, ne présente pas systématiquement les chouans et Vendéens comme d’innocentes victimes de la répression gouvernementale. Dans ce tableau, ce sont eux qui agressent violemment un véhicule républicain et ses passagers. La presse signale aussi que ce sujet sensible, amené par lui au Salon, est en train de faire des émules.
« Les chouans de M. Julien Le Blant commencent à former un bataillon. M. Le Blant a ses pasticheurs. C’est par aventure, ou plutôt par goût, en voyageant à travers les landes, sur les grèves, que ce jeune homme, un des nouveaux-venus les plus talentueux a évoqué les silhouettes de ces gars aux longs cheveux et aux larges braies, pittoresques et singuliers… […] Aussi, les blancs et les bleus pullulent depuis que M. Le Blant les a remis à la mode ! Je compterais jusqu’à dix scènes vendéennes au Salon.» (Le Temps)
Le vrai peintre des chouans, c’est M. Le Blant. Celui-là ne mêle pas la sentimentalité à la tragédie. Son Courrier des bleus atteint au dernier effet de l’horreur. Sur une route poudreuse qui traverse la lande, une embuscade a été dressée ; les chouans ont arrêté la voiture. Au bord du fossé, un gendarme, qui s’est bravement défendu, gît étendu, sur le ventre, le crâne troué ; près du cadavre, les blancs fouillent hâtivement la valise contenant les dépêches. Plus en avant, trois bandits assomment à coups de crosses de pistolets, le malheureux conducteur, qui se débat en leur demandant grâce et qui soulève la poussière par ses convulsions désespérées. Et dans cette solitude, pas un être qui ne soit victime ou bourreau, sauf le cheval du cabriolet, qui regarde avec indifférence cette effroyable scène de meurtre. (Revue des Deux Mondes tome 51-1882)
Le Courrier des Bleus, assassiné, assommé par des chouans, déguisés en jacobins, avec le bonnet phrygien, pour donner confiance à l’officier républicain, traîné hors de sa carriole, est une toile étonnante de mouvement et de vérité. (Le Temps du 19 mai)
Si certaines critiques trouvent l’œuvre d’une facture supérieure à ses dernières réalisations d’autres sont plus réservées, comme le Courrier de l’Art qui le trouve trois fois trop grand et d’une exécution veule. L’Illustration trouve le décor à son goût : Enfin, avec le Courrier des bleus de M. Le Blant, nous entrons en plein drame : il y a quelque chose de poignant rien que dans l’aspect du paysage où se passe la scène, et c’est toute l’histoire de la guerre que cette arrestation d’un courrier, et ce massacre impitoyable au milieu du silence lugubre de la lande désolée.
Le
dictionnaire Veron est conquis : « Le Courrier des
bleus » est attaqué par quelques chouans qui fouillent dans les malles et caisses
éparses à terre. Au premier plan, le courrier lutte et cherche à se défendre au
moyen d’un fouet. Un officier républicain est étendu mort auprès de la voiture
arrêtée. Cet épisode de la terrible guerre de Vendée est rendu avec talent par
ce peintre, qui a déjà trouvé là le motif de plusieurs œuvres des plus remarquables.
On n’a pas oublié son « La Rochejaquelein ».
Le Paris Moderne n’est pas convaincu par l’effet
« profondeur de champ » tenté par l’artiste : On préfère « Le Duel » de M. Le Blant.
L’effet dramatique est sobrement rendu, mais il l’est avec justesse ; il est
regrettable que les premiers plans du terrain ne soient pas assez fermes.
Avec la mise en ligne des 1,3 million de fiches des « Morts pour la France » de la Première Guerre mondiale, le site Mémoire des hommesest une extraordinaire base de données qui nous permet de recouper les annotations de Julien Le Blant avec les documents officiels, comme dans cet exemple du soldat Léon Legemble.
Léon Legemble cultivateur à St-Cornier-des-Landes (Orne) 230 Territorial d’Infanterie, classe 1890
Ce soldat, perdu dans ses pensées, est représentatif des poilus rencontrés par Le Blant à la Gare de l’Est. Un agriculteur qui aurait sans doute préféré s’occuper de ses labours plutôt que risquer sa vie dans la boue des tranchées.
Acte de décès de Léon Legemble le 5 décembre 1918 à son domicile dit « Les Béziers », certainement à la suite de ses blessures de guerre.Léon Legemble (dernier nom) sur le monument aux morts de St-Cornier-des-Landes.
Si vous avez des informations sur Léon Legemble (ou d’autres soldats dessinés par Le Blant – voir la liste), n’hésitez pas à nous contacter.
Si Julien Le Blant est un portraitiste confirmé, il est aussi adroit dans ses dessins et peintures animalières comme vous pouvez le constater dans cette galerie.