LA DIVISION MAROCAINE

Dans une lettre à son ami le peintre Guiguet, Julien Le Blant lui fait part du succès public rencontré lors de l’exposition de sa « Nation armée », mais également d’une certaine frustration :

« Un incident qui aurait pu faire beaucoup de tapage vient terminer mon exposition. J’ai reçu des Beaux-Arts, m’informant que la Commission d’Achats avait visité mon Exposition et n’y avait rien trouvé à retenir. J’ai affiché au milieu de mes Poilus cette lettre encadrée. Vous dire le tapage que cela a amené est difficile. D’autant que la Commission n’est pas venue, n’ayant pas été convoquée. L’affaire suit son cours et j’espère qu’elle va parvenir au ministre. Avant-hier, ouverture des Aquarellistes, un bon millier de personnes ont lu la lettre, les gens s’appelaient on me serrait la main et les épithètes les plus flatteurs volaient en l’air : crétins, cochons etc … Le général Pershing est venu et m’a dit que c’était bien malheureux que je n’aie pas fait cela pour les Américains. Je vais peut-être y aller. Hier un général qui commande la Division Marocaine après avoir lu la lettre, m’a demandé de lui faire l’honneur de venir à son Etat-Major. J’irai sûrement. Légion étrangère, 8e zouave. Marocain. Tous des agneaux avec la fourragère Rouge. Il y a de quoi rigoler, car les Membres de la Commission n’ont pas l’air contents. » (Lettre à Guiguet – Paris, 6 février 1919.)

La décision est prise. Un mois après, Julien Le Blant se rend en compagnie de sa femme dans la Sarre en Allemagne pour réaliser ses derniers dessins militaires avec les fameux Soldats de la division marocaine. Le traité de Versailles signé en 1919 prévoit une occupation de la Rhénanie par les troupes des Alliés. Sur l’ensemble des régiments français présents dès mars 1919, un quart sont des régiments coloniaux. Certains régiments prestigieux qui comptent parmi les plus décorés de la guerre y sont présents : le R.I.C.M (régiment d’infanterie coloniale du Maroc), le 8ème régiment de zouaves, le 7ème régiment de tirailleurs, la Légion étrangère.
Au delà des uniformes colorés et exotiques, Julien Le Blant dessine des portraits d’hommes engagés qui ont, pour la plupart, connus les durs combats au cours des années précédentes.

On pense souvent qu’à la suite de l’armistice du 11 novembre 1918, avec la guerre terminée, tous les soldats sont rentrés chez eux. Ce n’est pas tout à fait la réalité.

Le 23 novembre 1918, suivant les directives du maréchal Foch, les troupes françaises de la 10e armée occupent Sarrebrück et la majeure partie de la Sarre. Ils mettent en place une administration militaire conforme aux volontés du général commandant en chef les armées alliées. Le 29 janvier 1919, une instruction particulière précise l’organisation du « district » de la Sarre. Les troupes françaises, si elles tentaient parfois de séduire la population, agissent aussi avec maladresse et brutalité. Il faut dire que l’image de l’ennemi « boche » est alors encore bien ancrée dans les esprits. En mai 1919, le général Andlauer, commandant les troupes d’occupation, se sent obligé de publier une ordonnance selon laquelle le terme de « Boches », volontiers emprunté par Julien Le Blant dans sa correspondance, ne doit pas être utilisé pour désigner les Sarrois mais « uniquement les Prussiens et les Allemands demeurant en dehors de la Sarre ». La propagande allemande s’empare aussitôt de ce texte prouvant, selon elle, l’attitude haineuse des Français. De même, elle considère l’emploi de troupes coloniales – tonkinoises et marocaines en Sarre – comme une humiliation délibérée. La tension entre occupants et occupés culmine en octobre 1919 lorsque l’armée, dépassée par des manifestations, dues au mauvais ravitaillement, qui tournent à l’émeute, tire dans la foule, tuant au moins huit civils. Finalement, ce sont moins les actes de violences, les agressions qui vexent la population que les menus symboles qui rappellent la domination étrangère. Le récit, en Allemagne, d’«atrocités» commises par les troupes africaines s’amplifie lors de l’occupation de la Rhénanie en 1919. L’Allemagne, humiliée par le traité de Versailles, voit dans la présence de ces soldats une mesure dégradante supplémentaire. Une propagande malsaine se déploie, die schwarze Schande, animalisant le tirailleur, insistant sur la cruauté et l’anthropophagie des Noirs, stigmatisant des viols prétendument commis par les troupes indigènes. Des enquêtes seront ordonnées et démontreront le caractère totalement infondé de ces diverses accusations. (L’épopée des tirailleurs sénégalais. Eugène-Jean Duval. Editions L’Harmattan)

D’avril à juillet 1919, Julien Le Blant rend visite à ces fameuses troupes de la division marocaine stationnée dans la Sarre. Ses dessins sont localisés à Ludwigshafen, Frankenthal, Mayence ou Kaiserslautern. À son retour à Paris il ramène un grand nombre de dessins et aquarelles qui sont édités sous forme de cartes postales ainsi qu’un portfolio tiré à 400 exemplaires intitulé La Nation en Armes – Vingt Soldats de la Division Marocaine. Julien offre à sa femme Marie le n° 30, orné d’un lavis original sépia, signé et dédicacé ainsi : « A ma chère femme, en souvenir de tant de scènes vues ensemble pendant la Guerre ». Sur la même page on trouve les signatures des plus grands maréchaux et généraux de l’armée française : Pétain, Joffre, Foch, Fayolle, Gouraud, Féraud, Daugan, Brissaud, Weygand….

Troupes visitées par Julien Le Blant en mars-avril 1919

RICM (régiment d’infanterie de chars de marine) à Frankenthal 

RICM (régiment d’infanterie de chars de marine) à Ludwigshafen

7e régiment de tirailleurs à Ludwigshafen

1er régiment de tirailleurs malgaches à Friesenheim

8e régiment de Zouaves à Mundenheim

276e régiment d’artillerie division marocaine à Mayence

1er régiment de spahis à la Cantine de la Malmaison de Mayence

Portfolio des 20 soldats de la division marocaine édité à 400 ex.

  1. AICH Vincent, agriculteur Vinaras (Espagne), engagé volontaire dans la légion étrangère, Frankenthal mars 1919
  2. TAIEB Ben Brahim – fellah Souk Harras – 1er Rgt spahis, Cantine de la Malmaison, Mayence 1919
  3. RAVELO à Ankerakely Tananarive, 1er Tirailleurs Malgaches, E.V. 3 déc. 1919, avril 1919 Friesenheim
  4. BEN BEL KACEM Ali, Zambie, 7e Tirailleurs, mars 1919
  5. MEDJAHED OULED YAYA, fellah des Ouled Behaia, Zemmorah (Oran), Ludwigshafen mars 1919
  6. MOHAMED BEL HADJ, Modakra Casablanca, caporal 7e tirailleurs, Ludwigshafen avril 1919
  7. SAHARI Miloud Ben hadj Mohamad, fellah, Oulad Bouriah (Oran), 7e Tirailleurs, Ludwigshafen avril 1919
  8. PAGNY Henri, classe 1911, camionneur à Arras, sergent-clairon 8e Zouaves, Mundenheim avril 1919
  9. GUISSANT Edouard, maçon à Dreux (Eure et Loire), adjudant 8e Rgt Zouaves, Mundenheim avril 1919
  10. NACEUR Ben Mohamed, Nemours, sergent au 7e tirailleur, Ludwigshafen avril 1919
  11. ABBAS BEN MOHAMED, Rahamna (Maroc), 7e Tirailleurs, Ludwigshafen, avril 1919
  12. TRITZ Edmond, cl. 1911, chauffeur Maubeuge, 8e Zouaves, Mundenheim avril 1919
  13. BABA Mohamed, maréchal des logis 1er Spahis, cantine de la Malmaison, Mayence 1919
  14. SARTIRANO Barthélémy, cl. 1908, camionneur Marseilles, Légion étrangère, Frankenthal mars 1919
  15. LEVEUGLE Julien, lithographe Roubaix, Maître Pointeur 276è RA-DM, Mayence 1919
  16. GIRAUD Paul, cl. 1915, Asnières près St Jean d’Angely (Ch. Inf) aspirant RICM, Frankenthal avril 1919
  17. BADIER Gaston, cl 1906, boucher à Sens, caporal clairon RICM, Ludwigshafen avril 1919
  18. DASSIÉ Jean, cl. 1911, tailleur à Lit et Mixe (Landes), maître pointeur 276e Rgt. Art. D.M. Mayence 1919
  19. BRIOUDE Louis, classe 17, cultivateur à Bellegarde (Gard), clairon R.I.C.M, Frankenthal avril 1919

Autres soldats dessinés par Le Blant en 1919 

  1. BISCARAT Jean, classe 14, boulanger à Valréas (Vaucluse), 172e Régiment infanterie, Kaiserslautern 1919
  2. AVOUANE ZAHLAB Fellah, de Chellala Bughari, Mayence 1919
  3. ABDELLI MIMOUM, journalier, Souk Arras, 10 Rgt. Tirailleurs, Algérie, Mayence 1919
  4. SAÄD ALI, province d’Alger, Caporal clairon 7e tirailleur algérien, Frankenthal 1919
  5. GOURAUD Henri Joseph Eugène, général, Strasbourg 1919
  6. BEL HADJ Mohamed, Mdakra Casablanca, caporal 7e Tirailleurs, Ludwigshafen avril 1919
  7. BESSEYRE Louis, classe 18, cultivateur Esteil (Puy-de-Dôme) fusillé mitrailleur 170e Régiment Infanterie – Mayence
  8. BRUNDEL François, Cl 19, cultivateur à Meymac (Corrèze) 172è Regt Inf, Kaiserslautern 1919
  9. EL KÉBIR Employé ch de fer, Sgt. 10e Rgt TA ould Ahined, Mayence 1919
  10. KOUIDER Matala, cl. 1916, cultivateur à Montagnac (Hérault) 7e Tirailleurs
  11. NACIM B. Mohamed, sergent …, Ludwigshafen avril 1919
  12. PLANCHE Ernest, Cl 1914, Mauriac Cantal, Boucher à Paris 160 Rgt Inf, Sarrebruck
  13. SAKO TOUCOULEUR Hamed, Ségou, 10e Régiment tirailleurs sénégalais, Mayence 1919
  14. SCHOELLER André, cl. 1899, marchand de tableaux Paris, 502e Rgt art. d’assaut, 315e C7, fév. 1919

Edités en cartes postales

  1. BRIOUDE Louis, classe 17, cultivateur à Bellegarde (Gard), clairon R.I.C.M, Frankenthal avril 1919
  2. BADIER Gaston, cl 1906, boucher à Sens, caporal clairon RICM, Ludwigshafen avril 1919
  3. SAHARI Miloud Ben hadj Mohamad, fellah, Oulad Bouriah (Oran), 7e Tirailleurs, Ludwigshafen avril 1919
  4. MOHAMED BEL HADJ, Modakra Casablanca, caporal 7e tirailleurs, Ludwigshafen avril 1919
  5. GIRAUD Paul, cl. 1915, Asnières près St Jean d’Angely (Ch. Inf) aspirant RICM, Frankenthal avril 1919
  6. KOUIDER Matala, cl. 1916, cultivateur à Montagnac (Hérault) 7e Tirailleurs
  7. Général de MAUD’HUY