Il en rêvait depuis 3 ans de cette possibilité de se rendre dans la zone des combats, mais ses demandes avaient, jusqu’ici, été refusées. Le 25 août 1917, Julien Le Blant quitte son manoir de Rholan pour rentrer à Paris. Il vient enfin de recevoir une permission du ministère pour réaliser durant le mois de septembre des dessins dans le cadre de la 8e mission des artistes aux armées. Font aussi partie de cette mission : Léon Couturier, Clovis Didier, Emile Friant, Jules Alfred Hervé-Mathé, Léon Lacault, Henri Ottmann, Marius Robert, Henri-Ernest Rioux et Maurice Taquoy.
Les
missions d’artistes aux armées sont instituées à l’automne 1916 par le Grand
Quartier Général. Elles se succèdent de février 1917 jusqu’en janvier 1918. Les participants sont pour l’essentiel des artistes membres de
la Société des peintres militaires. Les peintres mobilisés ne peuvent pas en
faire partie, sauf autorisation spéciale, ce qui implique que les personnes
accréditées sont relativement âgées. Ces artistes peintres doivent être
volontaires et réaliser la mission à leurs risques et périls, et de plus à leurs
frais. On évite toutefois de les mettre en danger sur le front et leurs
missions se déroulent généralement à l’arrière. Les productions sont diverses,
allant du très conventionnel à quelques œuvres avant-gardistes. Enfin l’État se
réserve la possibilité d’acheter des œuvres à un prix modique. Vallotton
parlera même d’un prix de famine. À leur retour de mission, les peintres ont l’obligation
d’exposer l’ensemble de leurs travaux dans les salles du musée du Luxembourg, et l’État montre une volonté de constituer une
collection avec de nombreux achats. Julien Le Blant sait
que sa forme physique n’est pas optimale, mais il ne veut pas manquer cette
occasion exceptionnelle de s’approcher du front et sa motivation est intacte.
Je ne puis rien présager car je
n’ai pas l’intention de faire le zouave et si je sens que je me fatigue je
rentrerai à Paris et de là à Rholan. Mais j’espère que je ne me fatiguerai pas
et que l’intérêt de ce que je vais voir me fera rester au moins un mois parmi
nos compatriotes qui nous défendent si bien. (Lettre à Guiguet – Rholan, 24 août 1917)
Entre septembre et octobre 1917, sous la protection du général de
Maud’Huy, Julien le Blant vit en direct les derniers épisodes de la célèbre bataille
du Chemin des Dames qui a commencé le 16 avril et va se prolonger jusqu’au 24
octobre de la même année. Comme à son habitude, ses dessins sont accompagnés de
notes biographiques sur les soldats croqués ainsi que de leur localisation :
Couvrelles, Braisnes, Soupir …
Exposition de 1917
Il ramène de son périple de nombreuses esquisses ainsi que des lavis et des aquarelles. Le 27 décembre, le Musée du Luxembourg expose, en retard (l’expo aurait dû ouvrir le 1er décembre) 17 dessins qui seront bientôt retirés pour faire place à quelques cubistes et autres farceurs selon les propres termes de l’artiste.
Une nouvelle exposition des peintres aux armées a été
ouverte, hier, au musée du Luxembourg. M Le Blant, dont nous avons signalé déjà
l’abondante et belle moisson rapportée du front, n’a pas pu tout exposer : on
réservait une bonne place aux envois les plus invraisemblables. Néanmoins, ce que
le public verra là de ce bel artiste suffira à l’édifier. Ce sont des types de
la grande guerre : le général de Maud’huy fumant sa pipe, le Père Bailly,
aumônier militaire ; un alpin sac au dos avec le pic montagnard, tant d’autres
encore d’un faire très savant et d’un naturel absolu. M. Le Blant, qui fut
autrefois le peintre des Chouans et dont le talent a été tant de fois célébré,
se montre ici, comme autrefois, le peintre de la vie et de l’expression. (Le Gaulois du 29 décembre 1917)
11 novembre 1918. Les clochers
de France sonnent l’armistice. La guerre est terminée et la mission de Julien
Le Blant aussi. Du 17 janvier au 10 février 1919 La galerie Georges Petit
lui met à disposition ses cimaises pour une exposition rétrospective sur son
impressionnant travail durant la grande guerre.
Elle est intitulée : La Nation
Armée – La Gare de l’Est et ses alentours pendant la guerre. Le catalogue
de 20 pages fait mention de 330 titres d’œuvres exposées.
La galerie Georges Petit était
un important lieu d’exposition parisien à la fin du 19e siècle.
« On accédait par un
escalier monumental a une somptueuse salle de 5 mètres sur quinze, décorée de
marbre et d’étoffe rouge. L’éclairage était sophistiqué, les lampes se levaient
et s’abaissaient à volonté. Le président de la République en personne l’a
inaugurée en 1882. » (La Vie d’artiste au XIXe siècle – Anne
Martin-Fugier)
Georges Petit, grand
concurrent du marchand Durand-Ruel, exposa les impressionnistes Renoir, Monet,
Pissaro, Sisley, Berthe Morisod, mais aussi Rodin et des peintres moins connus
et intimistes qu’il appréciait. Il s’est intéressé au travail de Julien Le
Blant qu’il avait souvent présenté avec les Aquarellistes. Une année avant de
mourir, Georges Petit, touché par l’exceptionnel travail de l’artiste durant la
guerre lui a mis ses cimaises à disposition pour ce qui sera sa dernière
exposition.
Les dessins aquarellés et gouachés de M. Julien Le Blant sont d’abord
d’une vérité parfaite ; ils sont la vie même ; on les a rencontrés cent fois
durant ces quatre années et comme on a plaisir à les reconnaître ! Leur
portraitiste les a observés avec scrupule, d’un regard attentif, affectueux,
parfois amusé, parfois attendri. Jamais il n’a forcé le trait, grossi la voix,
donné le coup de pouce, usé de toutes ces recettes par lesquelles l’artiste
attire sur lui-même l’intérêt que nous portons à ses modèles …
M. Le Blant aurait pu tenter de reconstituer des combats ; il connaît
mieux que personne la physionomie des combattants et des sites de la bataille.
Il a naguère jeté les uns sur les autres des chouans et des républicains, en
des compositions fort animées et d’un joli pittoresque. Mais cette guerre a
bien montré que des reconstitutions de ce genre, même ingénieuses, ne peuvent
atteindre la réalité de la bataille…
M. Le Blant a eu raison de ne pas tenter de nous montrer nos soldats
dans la tranchée ou marchant à l’assaut. Il s’est contenté de les surprendre
dans les cantonnements de repos, dans les gares d’attente, dans les hôpitaux ; il
n’en avait que plus de loisir pour bien retrouver dans les regards, sur les
traits durcis, dans l’attitude lasse ou volontaire, les traces de la bataille
et sa plus émouvante image. Qu’il est émouvant le défilé des poilus de M. Le
Blant ! La littérature, la légende, l’histoire même tendent à uniformiser les
hommes d’un même temps ; un jour viendra où l’on ne reconnaîtra plus qu’un type
de poilu, comme il n’y a qu’un type de grognard. Devant les soldats de M. Le
Blant nous sommes encore dans la réalité. L’uniforme ne les a pas égalisés ;
chacun reste, sous la capote et sous le casque, ce qu’il était le jour où il a
quitté la blouse, le bourgeron ou le veston, un jeune homme ou un
quadragénaire, un paysan ou un ouvrier, un homme du nord ou du midi. Comme les
fortes silhouettes expriment bien l’âge, la province, le métier, l’individu !
Il est étonnant combien, en s’adaptant aux mêmes conditions, ces hommes ont pu
rester aussi individuels. A les voir ainsi, avec leur type si franchement
accentué, on dirait qu’ils portent avec eux la terre et la flore de leur
province. A mesure qu’ils passent sous nos yeux, on croit voir la France
entière se lever, se rassembler, s’avancer vers la frontière pour faire devant
la ruée boche la barrière des poitrines. Ils viennent, par longues files, des
populeuses régions du Nord, résolus, un peu tristes et lents comme l’eau de
leurs rivières; ils arrivent des landes bretonnes, petits, le regard bleu et le
front de granit; du Centre, de l’Ouest s’avancent de solides cohortes silencieuses,
entêtées; les cadets de Gascogne, au parler sonore et l’œil ardent, marchent
d’un pas vif; du haut de leurs Cévennes descendent des montagnards brûlés et
secs comme leurs garrigues; des profondes vallées de Savoie et du Dauphiné on
voir sortir les Alpins aux jarrets infatigables. Ils vont d’un même élan
spontané et leur regard exprime la même résolution…
M. Le Blant ne s’est pas contenté d’exprimer fortement cette conscience
nationale qui luit dans le regard de la plupart de ces hommes. Pour les peindre,
il ne fallait pas seulement être dans leur atmosphère morale, il fallait aussi
être un vrai peintre. M. Le Blant est un de ceux qui savent montrer la masse et
animer les éléments de cette chose puissante, pesante qu’est le poilu en tenue
de campagne…
J’ai entendu regretter parfois, par ceux qui comparent sur nos
trottoirs, que nos poilus n’aient pas toujours l’allure svelte, l’élégance
alerte de quelques-uns de nos amis. Il est exact que notre démocratie ne s’est
pas mise en frais pour donner la « coupe » à l’uniforme de nos soldats.
Mais ceux qui ont vu les lourdes silhouettes sortir des boues de la Somme ou de
la Meuse, puissants, tragiques, comme « l’homme à la houe » de Millet,
ne penseront plus jamais que la beauté d’un soldat puisse dépendre de l’élégance
de son uniforme…
Les belles images de M. Le Blant nous mettent sous les yeux la capacité
de souffrance que le poilu a montrée dans la défense de son idéal.
Louis Hourticq – La Nation en
armes de Julien Le Blant – Art et Décoration N°214, Septembre-octobre 1919
Le périodique « Lecture
pour Tous » du 15 janvier 1919 consacre 6 pages à cette exposition et,
plus généralement, au travail de Julien Le Blant durant la guerre. Il est
intitulé : « À la Gare de l’Est – Croquis de guerre de J. Le Blant »
Pendant ces quatre ans, la
gare de l’Est a été, par excellence, la gare de la Défense nationale, le cœur
de l’armée française. C’est de là que nos troupes partirent et, tant de fois,
repartirent, face à l’ennemi, vers la Lorraine ou la Champagne. C’est là que,
harassés, les poilus glorieux revenaient de Tahure ou de Verdun, du bois Le
Prêtre ou du Chemin des Dames, tantôt les brindilles accrochées aux plis de
leur capote, tantôt encroûtés, des godillots aux genoux, dans une boue crayeuse
du pays rémois. Ils étaient déguenillés, sales, goguenards, attristés, résolus,
magnifiques … À les voir, pépères broussailleux ou bleuets au visage lisse et
puéril, on avait, en même temps, envie de sourire et de pleurer. On les
regardait, on leur parlait, on les aimait.
Nul ne les a mieux compris,
et nul n’a donné d’eux une image plus saisissante et plus vraie que Julien Le
Blant, dont les œuvres, actuellement groupées à la galerie Petit, sous le titre
concis et évocateur, de la « Nation armée », resteront, pour le Poilu
de 1917, ce que les lithographies d’un Charlet ou d’un Raffet ont été pour le
Grognard de 1812 : le document type, celui qu’on consultera toujours,
parce qu’il dit tout, et qu’il le dit bien.
Dès le matin, vêtu comme un
bourgeois paisible, un sourire de sympathie sous la moustache d’argent, et,
dans l’œil bleu, si spirituel, une lueur d’ironie affectueuse qui se trempait
souvent de tendresse et d’admiration, Julien Le Blant déambulait de la rue
d’Alsace à la rue de Strasbourg, surprenant une attitude, une silhouette, un
geste, et, sur un carnet, qu’il dissimulait, fixant, en quatre coups de crayon
gras, un « schéma » d’une précision, et, déjà, d’une éloquence
admirables.
C’était l’heure de l’arrivée
d’un train, les bons poilus de province qui, ne sachant où aller, dans ce Paris
énorme, se couchaient, en bas, sur les marches, s’accroupissaient autour d’un
refuge, s’alignaient sur un banc, encombrés de casques, de musettes, de
gourdes, de couvertures.
Pour eux, tout un peuple de
petits commerçants grouillait aux abords de la gare. Il y avait, rue de
Strasbourg, le décrotteur. Ah ! sa besogne à celui-là, n’était point une
sinécure ! Elle tenait dure, la boue des tranchées, et le client n’admettait
point qu’on épargnât l’huile de coude ! Et le marchand de pipes ! Il
en faisait de bonnes affaires ! Bonnes vieilles pipes consolatrices, pipes
des longues veillées, sous la « flotte », dans le brouillard, quand
sifflaient les obus et claquaient, au-dessus des parapets, les schrapnells, que
de fois on vous a caressées, toutes tièdes, dans les paumes calleuses !
Et le photographe qui, en
cinq minutes, fournit, après quelques prestes opérations, très mystérieuses, un
portrait frappant … Et la marchande de pommes, et la vendeuse de cartes
postales, sur lesquelles, avec un bout de crayon mal taillé, le poilu, de sa
grosse main, tracera quelques mots naïfs et tendres, pour les vieux et pour la
payse ! Et la jolie fille qui vend aux zouaves et aux tirailleurs le petit
croissant d’or qui brille sur la chéchia rouge … Ce fut vraiment un peuple à
part, peuple de guerre, dont il fallait fixe les traits pour l’avenir. M. Le
Blant y a réussi à miracle. Il a le don du mouvement, du geste vrai qui, sur
les croquis, semble se continuer, s’achever.
Il a aussi le don de
l’expression, de l’émotion. Quand il reprend ses crayons, qu’il compose une
scène, qu’à l’encre de Chine il donne à ces dessins un caractère plus incisif
et plus fouillé, il atteint, simplement, au pathétique. Les scènes de famille
sont admirables. Voyez cette brave tête de papa, riant à travers un buisson de
barbe rude, au marmot que la maman, heureuse, tient dans ses bras. « Tu ne
reconnais donc pas ton papa ? » N’est-ce pas d’une naïveté délicieuse,
et profondément touchante ? Et ce jeune couple, lui solide, tête rude,
elle, frêle, grave. Ils ne se regardent pas. Un coup d’œil échangé, et les
sanglots qui leur gonflent la poitrine éclateraient dans leurs gorges. Or,
c’est le départ. Il faut du courage. Et tous les deux font semblant de
s’intéresser à ce qui se passe devant eux, tendus, crispés, près de pleurer.
Ainsi, à côté du
pittoresque, de la gaîté qu’un observateur de France sait dégager des foules
humaines, surtout quand ces foules sont les braves, vaillantes, adorables
foules du pays qui a gagé la guerre, dans ces dessins si peu déclamatoire,
l’image sincère de toutes les tristesses, de toutes les misères, et aussi des
dévouements sublimes et des magnifiques espoirs qui flottaient autour de la
gare de l’Est …
Il est beau d’être un
dessinateur impeccable, au trait hardi et fort. Il est beau aussi, – plus
encore, peut-être, – d’être un observateur à l’esprit lucide, au cœur
compatissant, – un brave homme et un bon Français. Si M. Le Blant fut tout
cela, comment ne pas le classer à part, entre les rares, si rares artistes, qui
ont su voir et faire comprendre la grande guerre ?
SOLDATS, par Julien Le Blant.
L’éminent illustrateur des
Chouans a accompli, à son tour, son œuvre de guerre, et elle est des plus
vivantes, en même temps qu’elle apporte à l’histoire non encore écrite des
documents saisissants.
On a déjà pourtant vu
beaucoup de dessins et de peintures d’après nos poilus. Mais, à part Steinlen
et Karbowski, les artistes, chose incroyable, ne s’étaient pas assez attachés à
étudier les types particuliers, si nombreux, si divers. M. Julien Le Blant, en
de multiples dessins rehaussés, a créé véritablement la physiologie de nos
défenseurs : Que de fois, dans la rue,
dans les tramways, dans les trains, en voyant un soldat au type caractérisé,
nous nous sommes demandé « Qu’est-ce qu’il faisait dans la vie, celui-là? » Or,
chacun de ces croquis aussi précis dans le détail qu’expressifs dans l’allure
et la physionomie porte le nom, la profession, le département du portraituré.
Ainsi, tout en
particularisant, l’artiste a atteint le domaine des idées générales. Il
faudrait que les poilus de Julien Le Blant fussent conservés dans un album
spécial, avec texte adéquat. S’ils se dispersaient trop, s’ils étaient
démobilisés, pourrait-on dire, un document important et vrai serait perdu.
Le Figaro du 22 janvier 1919.
De 1919 à sa mort en 1936,
Julien Le Blant va continuer de dessiner, peindre et graver avec ardeur, mais
il ne participera plus qu’à des expositions collectives, notamment avec les
Aquarellistes.
Le nombre des blessés militaires
français durant la première guerre mondiale peut être estimé à plus de 3
millions et demi, dont plus d’un million d’invalides (amputés, mutilés,
aveugles, sourds, gueules cassées) sur les huit millions de soldats mobilisés.
Les stratégies militaires de
stationnement, la guerre des tranchées et l’utilisation de plus en plus poussée
et systématique des canons modernes, font que les blessures par explosions et
éclats d’obus représentent près de deux tiers des atteintes loin devant les
blessures par balle, par arme blanche ou plus tardivement par le gaz ypérite
dit gaz moutarde.
Gueules cassées et membres amputés.
Les soldats touchés présentent
des fractures et des plaies béantes, à la tête, au tronc, aux membres
supérieurs et inférieurs. Des blessures d’un genre nouveau, sur lesquelles
médecins et chirurgiens tâtonnent. Les perforations de l’abdomen ou de la
poitrine sont les plus mortelles, qu’il y ait eu ou non intervention
chirurgicale. Et les infections très fréquentes comme la gangrène gazeuse et la
septicémie, emportent les blessés en quelques heures. De grands progrès seront
toutefois faits au cours de la guerre pour traiter à temps et efficacement les
cas les plus urgents ou dramatiques, en matière de radiologie, de chirurgie
réparatrice, de greffes, d’appareillage, sans oublier la généralisation des
traitements antiseptiques.
On aurait préféré ne pas les avoir ce spectacle devant les yeux, mais les blessés étaient nombreux à stationner autour de la Gare de l’Est. Certains en convalescence, attendant de repartir au front, d’autres définitivement démobilisés et souvent poussés à la mendicité.
Peu d’artistes les ont représentés. Ces hommes mis hors combat ne favorisaient pas le moral des troupes et ne représentaient pas forcément l’idée que se faisait la population du valeureux poilu. Julien Le Blant, dans un souci de documenter au plus près la réalité de la gare et de ses environs pendant la grande guerre, nous en donne un émouvant aperçu.
Lors de la première guerre mondiale, de nombreux artistes ont été
engagés officiellement sur le front pour témoigner de manière moins crue
qu’avec la photographie, de la violence des combats, de la dure réalité de la
vie des tranchées et de la bravoure des soldats.
Julien Le Blant et Théophile-Alexandre Steinlen, artistes reconnus,
auraient voulu les rejoindre, mais en raison de leur âge avancé (63 et 55 ans)
leur souhait n’a pas été exaucé.
Ils ont alors eu la même idée : observer et rendre compte de la vie
à l’arrière et se sont tous deux positionnés régulièrement à l’emplacement stratégique
de Paris, celui qui marque la frontière entre la vie civile et militaire,
véritable « porte de l’enfer » durant ces années terribles: la
gare de l’Est.
Sur les marches ou dans le hall,
sur le parvis ou sur les quais, les deux artistes vont être témoins d’une multitude
de petits drames quotidiens induits par la guerre. Plutôt que de mettre en
avant la fière allure du guerrier intrépide, ils témoigneront surtout de la
profonde détresse humaine vécue par ces êtres humains qui, en ayant vécu le
plus normalement et simplement du monde se sont retrouvés un matin dans le
couloir de la mort.
La plupart des soldats de la gare sont des permissionnaires qui bénéficient de quelques jours de repos avant de retourner au combat. Vêtus comme des clochards, ils débarquent en masse, le regard perdu, le visage mangé par une barbe en broussailles. Ils ne savent pas s’ils doivent se réjouir de revoir leur femme, sachant que le départ prochain sera encore plus cruel. Les épouses s’épouvantent de constater que leur mari n’est plus le même et bien souvent, les enfants ne reconnaissent pas leur papa. On voit errer des solitaires, qui débarquent à Paris n’ayant pas le temps de rentrer dans leur village du fin fond de la France. Ils dorment à même les marches ou sur un banc public. Au vu des sacrifices consentis pour la patrie, les poilus étaient persuadés qu’ils allaient être reçus en héros mais ils doivent rapidement déchanter.
Leur accoutrement et leur odeur font fuir la bonne société. Celle-ci d’ailleurs n’a d’yeux que pour les officiers en grande tenue même si grand nombre d’entre eux n’a jamais connu le baptême du feu. Même les embusqués, ces traîtres qui ont trouvé mille astuces pour se planquer à l’arrière sont mieux considérés. L’amertume est profonde. Le décalage entre la vie parisienne et celle des tranchées est insupportable pour ces soldats et les permissions deviennent presque un supplice de plus. On rencontre aussi les mutilés, couverts de bandages. Ils ne sont pas forcément les plus à plaindre ni les plus malheureux car pour eux la guerre est terminée. Aux alentours, les artistes observent et dessinent toutes sortes de petits commerces proposés aux militaires. Des marchands de bric-à-brac profitent de vendre chèrement toutes sortes de babioles à ces grands enfants qui s’émerveillent de tout après des mois de cauchemar.
Steinlen et Le
Blant assistent encore, impuissants, au plus cruel des instants : celui
des adieux. Terme est plus adapté que celui d’au revoir. Que se passe-t-il dans
la tête de ces fiancés qui se séparent en pensant qu’ils viennent peut-être
d’échanger leur dernier baiser? Et dans le regard vide du soldat qui repose son
enfant à terre ou de sa femme qui le voit monter dans un train sans
retour ?
Parce qu’elle
osait montrer des êtres humains fragiles, cette autre face de la grande guerre
a été soumise à la censure à son époque. Un siècle plus tard, on comprend que
ces petits drames de tous les jours ont fait partie de l’histoire et doivent
être mis en lumière. Des artistes comme Le Blant et Steinlen ont réagi face à
l’indicible en effectuant un immense travail de mémoire. En posant leur regard
humaniste sur ces hommes, en figeant pour l’éternité leurs traits sur un carnet
de croquis, ils ont réussi à opposer au drame de la guerre ce que seuls des
artistes ont en leur pouvoir: les rendre immortels.
Soldats, par Julien Le Blant.
L’éminent illustrateur des Chouans a accompli,
à son tour, son œuvre de guerre, et elle est des plus vivantes, en même temps
qu’elle apporte à l’histoire non encore écrite des documents saisissants.
On a déjà pourtant vu beaucoup
de dessins et de peintures d’après nos poilus. Mais, à part Steinlen et
Karbowski, les artistes, chose incroyable, ne s’étaient pas assez attachés à
étudier les types particuliers, si nombreux, si divers. M. Julien Le Blant, en
de multiples dessins rehaussés, a créé véritablement la physiologie de nos
défenseurs: Que de fois, dans la rue, dans les tramways, dans les trains, en
voyant un soldat au type caractérisé, nous nous sommes demandé « Qu’est-ce
qu’il faisait dans la vie, celui-là? » Or, chacun de ces croquis aussi précis
dans le détail qu’expressifs dans l’allure et la physionomie porte le nom, la
profession, le département du portraituré.
Ainsi, tout en
particularisant, l’artiste a atteint le domaine des idées générales. Il
faudrait que les «poilus » de Julien Le Blant fussent conservés dans un
album spécial, avec texte adéquat. S’ils se dispersaient trop, s’ils étaient
démobilisés, pourrait-on dire, un document important et vrai serait perdu.
Arsène Alexandre, Le Figaro,
mercredi 22 janvier 1919
Après avoir débarqué à Da Nang, en 1858, les
Français ont fondé la colonie de Cochinchine en 1865 et établi un protectorat
sur le Tonkin en 1884. La République de Ferry a intensifié l’exploitation
coloniale entamée sous le Second Empire, assemblant un immense empire au sein
duquel la péninsule indochinoise faisait figure de joyau. Les combats de la
Première Guerre mondiale ont peu touché l’Extrême-Orient, aux richesses convoitées
par l’ensemble des puissances coloniales. Mais le recrutement traditionnel de
supplétifs, la nécessité de remplacer les nombreux soldats tombés au début du
conflit, la volonté de développer le patriotisme parmi la population indigène,
conduisent les métropoles à puiser dans le vivier colonial. En quatre années de
guerre, la France a ainsi fait venir d’Indochine 43430 tirailleurs annamites
(centre de l’actuel Vietnam) et tonkinois (nord), mobilisés surtout dans des
bataillons d’étape chargés de l’aménagement et du transport ; 1123 sont morts
au champ d’honneur. En outre, 48981 travailleurs indochinois ont été envoyés
aux usines françaises pour remplacer les ouvriers partis au front.
Selon les stéréotypes raciaux en vigueur dans l’armée, les Indochinois, censément plus rusés que les autres indigènes, sont flegmatiques et donc faits pour la défensive plus que pour l’offensive. Leur apparence frêle dissimule une belle résistance à la fatigue, signe de leur courage. Cela dit, les Asiatiques ont été utilisés comme manœuvres plutôt que comme combattants. Leurs bataillons d’étapes ont été chargés de la tâche stratégique, mais peu valorisante, de combler de cailloux les ornières de la route qui relie Bar-le Duc à Verdun, la future « Voie sacrée ». Aucun régiment indochinois n’a été créé, l’encadrement des unités où ils étaient versés séparément les connaissait mal et hésitait à les engager en première ligne. Mais leur comportement au chemin des Dames, en Alsace et à Salonique a démenti ce manque de confiance. Après la guerre, le sacrifice consenti a suscité chez eux un désir de reconnaissance et d’émancipation.
Pierre de Champfeu est né le 22 juin 1894. Il est le fils du comte Léon de Champfeu officier de marine à Cherbourg. Sa maman est une De Nanteuil.
Sous-lieutenant de cavalerie, il passe, sous sa demande, au
4e régiment de marche des Zouaves. Le 23 octobre 1917, il participe à l’attaque
du fort de Malmaison. Grièvement blessé à la cuisse, il meurt le 14 décembre
1917 à l’hôpital militaire de Paris, d’un tétanos consécutif à l’amputation.
Le 4e Zouaves
Le 4e régiment de zouaves (4e RZ)
était un régiment d’infanterie appartenant à l’Armée d’Afrique qui dépendait de
l’armée de terre française. Au début, les zouaves étaient surtout algériens.
Ensuite des soldats de toute la France sont venus les rejoindre et porter fièrement
la Chéchia, ce bonnet en forme de calotte de couleur rouge vermillon. Les
soldats de cette unité se sont particulièrement distingués durant les rudes batailles
d’Ypres, de Verdun ou du Chemin des Dames. Le régiment a reçu de nombreuses
citations ainsi que la fameuse fourragère rouge.
La fourragère est une décoration
récompensant une unité militaire pour faits de guerre ou de bravoure
exemplaires. Il s’agit d’une cordelette tressée qui se porte à l’épaule gauche
de l’uniforme. L’une des extrémités de la tresse a la forme d’un trèfle et
l’autre porte un ferret, une pièce métallique conique. La fourragère peut être
de différentes couleurs en fonction du nombre de fois où l’unité a été citée
pour faits exceptionnels. Par exemple, la rouge, aux couleurs de la Légion
d’honneur et de la croix de guerre 1914-1918, est portée par les unités citées une
dizaine de fois pour actes de bravoure.
Au moment au Julien Le Blant est
invité à les rencontrer, en février 1918, le régiment est sous les ordres du commandant
Giraud.
Le 23 octobre 1917, le 4e
régiment de zouaves participe à l’assaut du fort de Malmaison. Le lieutenant Pierre
de Champfeu conduit un groupe de mitrailleurs.
Le lieutenant de Champfeu vient de
la cavalerie : il est tout feu tout flamme, et si bon qu’on l’adore. Il a
rejoint le régiment en avril, pour l’offensive sur l’Aisne. Une scène digne d’être
transcrite a marqué son arrivée. Il se présente au colonel Richaud : « Vous
arrivez plus tôt que je ne vous attendais, lui dit celui-ci. Nous attaquons
demain, les postes sont au complet, vous rallierez le dépôt divisionnaire, à la
première vacance, je vous appellerai. – Vous attaquez demain, et je rallierai
le dépôt divisionnaire ? Mon colonel, je suis d’une famille de soldats.
Regardez-moi : c’est vrai, je suis un inconnu pour vous, mais
regardez-moi. Et ne me demandez pas une chose pareille. » Il faut bien se
rendre à ses raisons et le colonel le garde. Champfeu exulte, car on va se
battre.
[…] Champfeu vit la victoire. Il
devait installer sa section de mitrailleuses en avant et à l’est du fort. Il l’installa.
C’est alors qu’il fut criblé d’éclats d’obus, la cuisse traversée, la tête
meurtrie. Une jambe amputée, il reçut sur son lit d’hôpital la croix de la
Légion d’Honneur : « Admirable tempérament de soldat, donnant à tout
le régiment l’exemple des plus belles qualités françaises ; à l’assaut du
fort de la Malmaison, a conduit sa section de mitrailleuses avec sa fougue
habituelle, l’a mise en batterie au point fixé et est tombé en pleine victoire. »
[…] Champfeu survécut cinquante
jours à son amputation, puis la mort le pris.
(Lectures pour Tous, 15 mars 1918.)
Le 9 février 1918, son père, le comte de Champfeu, écrit à son ami Le Blant pour lui demander d’intercéder auprès du peintre Guiguet pour la réalisation d’un portrait de son fils.
[…] Je fais faire le portrait de mon fils, soldat
glorieux, pour perpétuer son souvenir parmi ceux qui viendront après nous ;
certes ! C’est bien certain, mais je le fais aussi pour avoir la
jouissance et je ne voudrais pas mourir avec la seule satisfaction de penser
que ma succession le possèdera, ce ne serait pas assez ! […]
[…] Je m’arrangerai pour faire parvenir à Lyon les
décorations et la chéchia, le ceinturon, tout cela tiendra dans un petit carton
et pourra être remis à M. Guiguet. Une petite photo que j’enverrai plus tard
indiquera comment mon fils portait la chéchia et sa fourragère, tous ces petits
détails qui auront leur importance pour mon cœur paternel brisé.
Julien Le Blant écrit
le même jour à Guiguet (Paris, 9 février 1918)
[…] Vous vous souvenez sans doute d’un jeune zouave
qui a été tué et dont je vous avais parlé. Son père en venant m’annoncer sa
mort m’avait dit : « Je voudrais un portrait de mon pauvre Pierre par votre ami
Guiguet. Il est revenu et il le veut. […]
[…] Oui, ce pauvre petit (car je relis la lettre
du père) m’appelait son oncle. Je l’avais retrouvé sur l’Aisne et, à
l’Etat-Major, on l’appelait mon neveu. Je l’ai quitté le 23 septembre et le 23
octobre il avait la cuisse arrachée. Je l’aimais beaucoup. […]
[…] Je vous envoie sa lettre et la photo qu’on
pourra vous donner ; cette photo est excessivement ressemblante et je
trouve la pose très bonne, son père aussi. Il s’agira de le faire en zouave au
lieu de ce costume de chasseur. On vous donnera une petite photo en officier de
zouave. Elle n’est pas bonne mais on voit comment il porte sa chéchia. […]
[…] Je lui ai dit, je vais demander à Guiguet un
beau dessin comme il sait si bien les faire. Il se servira de la photo comme
mouvement et comme coupe. Le dessin aura 45 centimètres de hauteur, ce qui
ferait la photo agrandie trois fois environ. […]
[…] Je dois vous dire que c’est une famille de
soldats. Il y a des portraits de Champfeu chez eux depuis Louis XIV et mon ami,
qui est ancien officier de marine, veut que Pierre soit avec ses ancêtres morts
pour la France.
[…]
Je pars lundi pour Soissons. […] Je vais me trouver dans un centre
d’américains.
Il paraitra dans
les Lectures pour Tous du 15 mars prochain un article d’H. Bordeaux sur
l’affaire de la Malmaison par les 4e zouaves où il est question de
Pierre de Champfeu qui y fut si grièvement blessé. […]
Lettre de Le Blant à Guiguet, Paris, 17 février 1918 :
[…] Il veut
que sur le portrait de Pierre de Champfeu, il y ait sa croix de la Légion
d’Honneur, sa croix de Guerre avec ses citations […]
Lettre de Le Blant à Guiguet, Paris, 7 avril 1918
[…] Nous
avons vu jeudi notre ami de Champfeu, il fait peine à voir ; il est malade et
triste comme la mort : son autre fils est avec son bataillon là où l’on se bat,
sa fille est gravement malade. C’est abominable. Il m’a demandé si je savais
quelque chose de vous. Il ne pense qu’à ce portrait […]
Lettre de Le Blant à Guiguet, Paris, sans date
[…] Il est
assis devant le portrait et pleure comme un enfant […]
Comte de Champfeu à Guiguet , Paris, 7 mai 1918 :
[…] Votre
envoi est arrivé…Merci ! Oh oui, merci de tout mon cœur brisé mais heureux
d’avoir ce souvenir de mon cher enfant, souvenir admirable, c’est encore plus
ressemblant que la photographie et c’est bien vrai ! c’est vivant ! Je me
permets de vous dire que je n’ai jamais vu depuis les maîtres de la fin du
18ème siècle, de dessins en couleur comme les vôtres. Les ombres sont de pures
merveilles. Ah ! il n’y a pas à y retoucher, il n’y a pas à pousser davantage,
votre œuvre, elle est au point telle qu’elle est, elle est parfaite. Je veux
espérer encore que mon second fils qui aimait tant son aîné, la verra et que
nous le reverrons lui ! Nous n’avons pas encore de nouvelles, hélas !
[…]
Lettre de Le Blant annonçant à Guiguet la mort de Jacques de Champfeu, Paris, mai 1918 :
[…] Mon cher Ami, le malheur s’acharne sur mon ami de Champfeu. Son second fils est tombé le 26 mars […]
Comte de Champfeu à Guiguet, Paris, 23 février 1919
[…] Votre
lettre du 20 février me confirmant dans les termes les plus affectueux ce que
vous avez écrit à Le Blant concernant votre acceptation du portrait de mon
second fils, m’a bien touché. Votre retard à me répondre est tout pardonné
[…]
Monument aux morts d’Etretat. Les noms des deux frères de Champfeu figurent à droite sous 1918.
Le comteLéon de Champfeu
Léon de Champfeu est né le 21 mai 1848 à Moulins dans l’Allier. Il entre dans la Marine en 1864 au port Cherbourg. Il est nommé aspirant le 2 octobre 1867, puis enseigne de vaisseau le 2 octobre 1872. Au 1er janvier 1879, sur le croiseur « Kerguelen », Division navale des mers de Chine et du Japon sous les ordres du commandant Etienne Mathieu. Il nommé au poste de lieutenant de vaisseau le 1er mai 1880.
Il est stationné à Cherbourg entre janvier 1881 et décembre 1884. C’est très certainement lors de la visite de Julien Le Blant au port de Cherbourg en 1884 qu’il fait sa connaissance. En 1885 et 1886, il navigue sur le croiseur « Fore », division navale de l’Atlantique Nord sous le commandement d’Henri D’Abel de Libran.
Il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur le 8 juillet 1885. Entre 1889 et 1899, il occupe le poste de Capitaine d’habillement, d’armement et de casernement au 1er Dépôt des Équipages de la Flotte à Cherbourg. Il est élevé au titre d’Officier de la Légion d’Honneur le 11 juillet 1899.
Versé dans la réserve le 9 octobre 1899, port Cherbourg,
il décède le 3 septembre 1926 à Versailles.
Ferdinand Delplace est né le 2 novembre 1894 à Douai. Il a
une frère, Richard, né en 1893. Son père François est mort sous les bombes à
Douai en 1944.
Etant de la classe 1914, Ferdinand a probablement été
incorporé en octobre 1914 et serait parti pour le dépôt du 147e à Saint
Nazaire. Sur l’aquarelle de Le Blant, réalisée en février 1916, on aperçoit un
chevron de présence sur la manche gauche de la capote (le premier chevron
représentait un an de présence, les suivants 6 mois). Ferdinand aurait donc un
an de mobilisation à ce moment. Il aurait alors connu et participé aux combats
de 1915 : l’Argonne, la tranchée de Calonne, les Eparges, Tahure. S’il est
resté au 147e tout le long de la guerre, il serait possible qu’il ait demandé
et reçu la Médaille de Verdun.
En 1944 il a une fille, Josiane, née d’une relation avec
une veuve à Erquy en Bretagne.
Ferdinand Delplace est mort en 1954 à l’Hôpital Bichat de
Paris et est enterré à Clichy dans le caveau de famille.
Sources : Christophe Lagrange (Le blog du 147è RI) et Josiane T.
Une belle émotion
Bonjour
Monsieur,
Je suis la
fille de Ferdinand Delplace.J’ai 71 ans,
mon père m’a eu à 50 ans en Bretagne dans le joli petit port de pêche d’Erquy.J’ai mis 60 ans à retrouver des traces de mon père
car je n’avais jamais vu de photo de lui jusqu’à ce jour.
Le choc !
Je suis née
fin 1944 mon père se trouvait à Erquy à cette époque je pense réfugié STO, ma
mère était veuve depuis 1940 avec 4 enfants dans une grande maison, est arrivé
ce qui devait arriver, je suis née sans connaitre mon père décédé en 1954 à
Paris à l’âge de 60 ans, mes recherches ont commencées vers 1970 c’était déjà
trop tard.Mon père est enterré à Clichy, je suis
allée sur sa tombe, et c’est tout !
Aujourd’hui
vous m’avez apporté est un cadeau du ciel. Grâce à vous mon père a un visage.
Merci pour cet immense cadeau.
Reçu par mail de Josinane T. le 16 juin 2016 (100 ans exactement après la réalisation du dessin)
Certains hommes furent combattants, puis prisonniers, puis après leur évasion, à nouveau combattant. Pour les mobilisés de Maroilles, nous ne connaissons qu’un de ces cas, celui du soldat Victor Alavoine.
L’homme est né le 6 avril 1873 à Maroilles, il
est donc de la classe 1893 (dossier 1439, volume 3, Avesnes/Helpe, aux Archives
Départementales du Nord).
Au moment de sa conscription, il se dit journalier de profession. Fils de Louis Alavoine, journalier également (il deviendra ouvrier tanneur plus tard), et d’Urcelline Hauet, Victor est un roux de 1 m 67, aux yeux bleus, au front découvert et au nez fort. Son niveau d’instruction est faible, niveau 2 selon sa fiche militaire, ne sachant que lire et écrire, mais « exercé », ce qui signifie qu’il a suivi une préparation militaire à Maroilles au sortir de sa scolarité.
Il fait son service militaire au 23e
Régiment des Dragons ; incorporé le 16 novembre 1894, il se blesse au
genou le 13 mai 1896 lors d’une chute de cheval. Il est mis en congé le 24
septembre 1897 après avoir effectué ses trois ans de service. Avant son
incorporation, il a été condamné le 23 octobre 1894 par le tribunal
d’Avesnes-sur-Helpe à vingt jours de prison et à une amende « pour coups et blessures volontaires, pour jet
de corps durs et dommage à la propriété mobilière d’autrui ». Nous
avons donc affaire à un homme au caractère fort et probablement
bagarreur ! Il ne sera « réhabilité
de droit » que le 12 avril 1913. Il effectue deux périodes d’exercices
au 84e Régiment d’infanterie local en 1900 et 1903. En 1902, il a
épousé à Maroilles Marie Azéma Splingard, servante à Leval, âgée de 29 ans
comme son époux.
En 1905, il réside à Felleries et exerce la
profession d’ouvrier tanneur à la tannerie Leblond. Au 24 juillet 1906, il vit
à Maroilles, travaillant comme ouvrier tanneur aux tanneries de la famille
Mailliard, le plus gros employeur du village. C’est à Maroilles qu’il est
mobilisé le 1er août 1914 au 4e Régiment d’infanterie
territorial, dans lequel il est passé en 1907 comme réserviste. Il arrive dans
son régiment le 14 août 1914 (Landrecies ou Avenses-sur-Helpe) avant de
rejoinde la place forte de la ville de Maubeuge le 21. Il y sera fait
prisonnier par les Allemands lors de la reddition de la ville avec des milliers
d’hommes du 4e R.I.T., pour beaucoup du nord de la France.
Interné au camp de Friedrichsfeld, il s’en évade le 17 mars 1916 (il va avoir 43 ans) et rentre en France le 30 mars suivant. Il rejoint son régiment (4e R.I.T.) le 5 avril, c’est à ce moment que l’artiste peintre Julien Le Blant le peint en uniforme à la caserne de Reuilly, à Paris XIIe.
Le 4 juillet, il est dirigé sur le dépôt du 176e
R.I. à Agde, puis il passe au 115e R.I.T. le 3 octobre 1916. Il
semble qu’il ne fut plus en état de combattre dans les tranchées. Il se trouve
en sursis d’appel à partir du 11 janvier 1917 et travaille à la tannerie
Hootelé à Joigny (les entreprises Mailliard de Maroilles et Hootelé de Joigny
ont des liens commerciaux avant la guerre), probablement comme ouvrier tanneur.
Il est libéré de toute obligation militaire le 1er novembre 1919 et
continuera à vivre à Joigny au n°1 rue Davier.
La guerre étant
prévue de courte durée, aucune permission n’était envisagée au cours des
premiers mois du conflit. À partir de 1915, la prise de conscience de
l’enlisement dans une guerre longue fait apparaître la nécessité d’accorder des
permissions, d’autant plus que des cas de désertions apparus en novembre 1914
inquiètent les autorités. À partir du
printemps 1915, les agriculteurs de l’armée territoriale (plus de 34 ans) sont
autorisés à rentrer pour les récoltes. Les mobilisés des unités non
combattantes de la zone de l’intérieur sont également autorisés à rentrer chez
eux à partir d’octobre 1915 les week-ends et jours fériés ce qui permet aux
commerçants et entrepreneurs de régler leurs affaires. Cette mesure utile pour
le fonctionnement de l’économie nationale et présentant l’avantage de libérer
les casernes deux jours par semaine était perçue comme inéquitable par les
combattants. Sous la pression
du Parlement, le général Joffre généralise les permissions le 1er juillet 1915.
De 3 à 4% de hommes en bénéficient pour une durée de six jours hors délai de
route.
Fin de permission à la Gare de l’Est.
Un ordre de
priorité fut fixé, d’abord les hommes servant depuis la plus longue durée,
puis, à égalité de durée aux classes les plus anciennes, enfin aux pères des
familles les plus nombreuses. Les chefs de corps étant chargés d’accorder les
permissions, la répartition comportait une grande part d’arbitraire ce qui
engendra des insatisfactions.
À partir du 1er
octobre 1916, une loi donne droit à trois permissions annuelles de sept jours
hors délai de route, portées à dix jours le 1er octobre 1917. L’ensemble des
agriculteurs, et non plus seulement ceux de l’armée territoriale de l’arrière,
bénéficient d’un régime particulier de permissions agricoles de 15 jours
renouvelables une fois pour les travaux de la terre, mis en place à partir de
mai 1916.
Refuge de la Gare de l’Est
À la fin de la guerre,
ce régime, le plus favorable de toutes les armées de la Grande guerre, est
généralement bien accepté par les combattants français. En comparaison, les
Allemands doivent attendre un an pour deux semaines de congés, les Britanniques
quinze mois pour dix jours.
À partir de
1917, le séjour à Paris est réservé aux soldats ayant leur famille en région
parisienne et aussi à ceux ayant leurs proches dans les régions occupées du
Nord-Est et à certains coloniaux. Mais la capitale reste un lieu de transit
pour beaucoup de provinciaux. Aussi Paris fut un important centre de séjour de
permissionnaires, de 5 500 hommes de troupe simultanément en avril 1916 jusqu’à
38 500 en juillet 1917. On estime que quatre millions de permissionnaires ont
visité Paris au cours de la guerre.
Pour beaucoup,
le retour est celui des retrouvailles amoureuses (environ 50% des soldats
français étaient mariés) et pour certains la découverte de l’infidélité de leur
femme. Pour les soldats coloniaux et ceux originaires des régions envahies
c’est un moment de solitude : ils ne pourront pas rentrer chez eux.
Buffet du soldat Faubourg-St-Martin
Ceux qui en ont
des moyens en profitent pour « faire la noce » à Paris et fréquenter des
prostituées. Quelques-uns rencontrent leur marraine de guerre. Cependant
beaucoup sont désargentés. Le versement de la solde est suspendu pendant la permission.
Le soldat ne perçoit qu’une très modeste indemnité pour la nourriture pendant
le voyage. Certains permissionnaires en transit à Paris sont réduits à dormir
sur les bancs publics car les salles d’attente des gares sont minuscules.
À Paris, les permissionnaires
sont étonnés de la vie normale de l’arrière. De leur côté, les civils
considèrent le permissionnaire non pas comme un héros, mais comme un étranger
qui suscite une forme de pitié admirative, une affection gênée mais dont on
s’écarte. Tout un petit monde commerçant s’est organisé autour de la gare pour exploiter
cette manne providentielle : cafetiers, marchands de chaussures, lacets, cartes
postales, bonnets, nettoyeurs de chaussures, photographes …
Julien Le Blant
est un extraordinaire témoin de cette intense activité et de ces moments empreints
d’une grande intensité émotionnelle.
La permission étant
une forme de cadeau empoisonné, à la joie intense des retrouvailles succède peu
de temps après la tristesse infinie de la séparation qui pourrait être la
dernière.
Dans une lettre à son ami le peintre Guiguet, Julien Le Blant lui fait part du succès public rencontré lors de l’exposition de sa « Nation armée », mais également d’une certaine frustration :
« Un incident qui aurait pu faire beaucoup de tapage vient terminer mon exposition. J’ai reçu des Beaux-Arts, m’informant que la Commission d’Achats avait visité mon Exposition et n’y avait rien trouvé à retenir. J’ai affiché au milieu de mes Poilus cette lettre encadrée. Vous dire le tapage que cela a amené est difficile. D’autant que la Commission n’est pas venue, n’ayant pas été convoquée. L’affaire suit son cours et j’espère qu’elle va parvenir au ministre.Avant-hier, ouverture des
Aquarellistes, un bon millier de personnes ont lu la lettre, les gens
s’appelaient on me serrait la main et les épithètes les plus flatteurs volaient
en l’air : crétins, cochons etc … Le général Pershing est venu et m’a
dit que c’était bien malheureux que je n’aie pas fait cela pour les Américains.
Je vais peut-être y aller. Hier un général qui commande la Division Marocaine
après avoir lu la lettre, m’a demandé de lui faire l’honneur de venir à son
Etat-Major. J’irai sûrement. Légion étrangère, 8e zouave. Marocain.
Tous des agneaux avec la fourragère Rouge. Il y a de quoi rigoler, car les
Membres de la Commission n’ont pas l’air contents. » (Lettre à Guiguet –
Paris, 6 février 1919.)
La décision est prise. Un mois après, Julien Le Blant se rend en compagnie de sa femme dans la Sarre en Allemagne pour réaliser ses derniers dessins militaires avec les fameux Soldats de la division marocaine. Le traité de Versailles signé en 1919 prévoit une occupation de la Rhénanie par les troupes des Alliés. Sur l’ensemble des régiments français présents dès mars 1919, un quart sont des régiments coloniaux. Certains régiments prestigieux qui comptent parmi les plus décorés de la guerre y sont présents : le R.I.C.M (régiment d’infanterie coloniale du Maroc), le 8ème régiment de zouaves, le 7ème régiment de tirailleurs, la Légion étrangère. Au delà des uniformes colorés et exotiques, Julien Le Blant dessine des portraits d’hommes engagés qui ont, pour la plupart, connus les durs combats au cours des années précédentes.
On pense souvent
qu’à la suite de l’armistice du 11 novembre 1918, avec la guerre terminée, tous
les soldats sont rentrés chez eux. Ce n’est pas tout à fait la réalité.
Le 23 novembre 1918, suivant les directives du maréchal Foch, les
troupes françaises de la 10e armée occupent Sarrebrück et la majeure partie de
la Sarre. Ils mettent en place une administration militaire conforme aux volontés
du général commandant en chef les armées alliées. Le 29 janvier 1919, une
instruction particulière précise l’organisation du « district » de la Sarre. Les
troupes françaises, si elles tentaient parfois de séduire la population, agissent
aussi avec maladresse et brutalité. Il faut dire que l’image de l’ennemi «
boche » est alors encore bien ancrée dans les esprits. En mai 1919, le général
Andlauer, commandant les troupes d’occupation, se sent obligé de publier une
ordonnance selon laquelle le terme de « Boches », volontiers emprunté par
Julien Le Blant dans sa correspondance, ne doit pas être utilisé pour désigner
les Sarrois mais « uniquement les Prussiens et les Allemands demeurant en
dehors de la Sarre ». La propagande allemande s’empare aussitôt de ce texte
prouvant, selon elle, l’attitude haineuse des Français. De même, elle considère
l’emploi de troupes coloniales – tonkinoises et marocaines en Sarre – comme une
humiliation délibérée. La tension entre occupants et occupés culmine en octobre
1919 lorsque l’armée, dépassée par des manifestations, dues au mauvais
ravitaillement, qui tournent à l’émeute, tire dans la foule, tuant au moins
huit civils. Finalement, ce sont moins les actes de violences, les agressions
qui vexent la population que les menus symboles qui rappellent la domination
étrangère. Le récit, en Allemagne, d’«atrocités» commises par les troupes
africaines s’amplifie lors de l’occupation de la Rhénanie en 1919. L’Allemagne,
humiliée par le traité de Versailles, voit dans la présence de ces soldats une
mesure dégradante supplémentaire. Une propagande malsaine se déploie, die
schwarze Schande, animalisant le tirailleur, insistant sur la cruauté et
l’anthropophagie des Noirs, stigmatisant des viols prétendument commis par les
troupes indigènes. Des enquêtes seront ordonnées et démontreront le caractère
totalement infondé de ces diverses accusations. (L’épopée des tirailleurs
sénégalais. Eugène-Jean Duval. Editions L’Harmattan)
D’avril à juillet 1919, Julien Le Blant rend visite à ces fameuses troupes de la division marocaine stationnée dans la Sarre. Ses dessins sont localisés à Ludwigshafen, Frankenthal, Mayence ou Kaiserslautern. À son retour à Paris il ramène un grand nombre de dessins et aquarelles qui sont édités sous forme de cartes postales ainsi qu’un portfolio tiré à 400 exemplaires intitulé La Nation en Armes – Vingt Soldats de la Division Marocaine. Julien offre à sa femme Marie le n° 30, orné d’un lavis original sépia, signé et dédicacé ainsi : « A ma chère femme, en souvenir de tant de scènes vues ensemble pendant la Guerre ». Sur la même page on trouve les signatures des plus grands maréchaux et généraux de l’armée française : Pétain, Joffre, Foch, Fayolle, Gouraud, Féraud, Daugan, Brissaud, Weygand….
Troupes visitées par Julien Le Blant en mars-avril 1919
RICM (régiment d’infanterie de chars de marine) à
Frankenthal
RICM (régiment d’infanterie de chars de marine) à
Ludwigshafen
7e régiment de tirailleurs à Ludwigshafen
1er régiment de tirailleurs malgaches à
Friesenheim
8e régiment de Zouaves à Mundenheim
276e régiment d’artillerie division marocaine à Mayence
1er régiment de spahis à la Cantine de la
Malmaison de Mayence
Portfolio des 20 soldats de la division marocaine édité à 400 ex.
AICH Vincent, agriculteur Vinaras (Espagne), engagé volontaire dans la légion étrangère, Frankenthal mars 1919
TAIEB Ben Brahim – fellah Souk Harras – 1er Rgt spahis, Cantine de la Malmaison, Mayence 1919
RAVELO à Ankerakely Tananarive, 1er Tirailleurs Malgaches, E.V. 3 déc. 1919, avril 1919 Friesenheim
BEN BEL KACEM Ali, Zambie, 7e Tirailleurs, mars 1919
MEDJAHED OULED YAYA, fellah des Ouled Behaia, Zemmorah (Oran), Ludwigshafen mars 1919
MOHAMED BEL HADJ, Modakra Casablanca, caporal 7e tirailleurs, Ludwigshafen avril 1919
SAHARI Miloud Ben hadj Mohamad, fellah, Oulad Bouriah (Oran), 7e Tirailleurs, Ludwigshafen avril 1919
PAGNY Henri, classe 1911, camionneur à Arras, sergent-clairon 8e Zouaves, Mundenheim avril 1919
GUISSANT Edouard, maçon à Dreux (Eure et Loire), adjudant 8e Rgt Zouaves, Mundenheim avril 1919
NACEUR Ben Mohamed, Nemours, sergent au 7e tirailleur, Ludwigshafen avril 1919
ABBAS BEN MOHAMED, Rahamna (Maroc), 7e Tirailleurs, Ludwigshafen, avril 1919
TRITZ Edmond, cl. 1911, chauffeur Maubeuge, 8e Zouaves, Mundenheim avril 1919
BABA Mohamed, maréchal des logis 1er Spahis, cantine de la Malmaison, Mayence 1919