En 1886, Le Blant illustre d’un portrait-frontispice et de six eaux-fortes hors texte Le Chevalier des Touches de Jules Barbey d’Aurevilly pour la Librairie des bibliophiles. Collection Bibliothèque Artistique, imprimé par Jouaust et Sigaux.
Pour son portrait, l’auteur se montre déjà très exigeant et il en fait part à son éditeur:
« Le portrait est bien comme esquisse, mais il faut le pousser vigoureusement au noir. Je n’aime que les portraits très foncés de ton. »
Critiques de l’époque
« C’est la première fois qu’il se trouve aussi richement habillé, et le costume est vraiment digne du personnage. Au mérite d’une exécution typographique des plus soignées vient se joindre le charme de ravissantes eaux-fortes gravées par Champollion d’après des compositions de Julien Le Blant, dont la suite des dessins pour Servitude et Grandeur militaires avait eu l’année dernière un si grand succès. C’était bien d’ailleurs à ce peintre attitré des scènes vendéennes qu’il fallait s’adresser pour interpréter l’épisode de la chouannerie si pittoresquement décrit par Barbey d’Aurevilly. Cet ouvrage, qui encore l’avantage de pouvoir être mis dans toutes les mains, sera certainement, cette année, le livre d’étrennes favori dans le monde des bibliophiles. » (Le Livre. Revue du monde littéraire 1886.)
« Le Chevalier des Touches, de Barbey d’Aurevilly, est peut-être, avec l’Ensorcelée, le meilleur roman de cet écrivain puissant et bizarre dont le talent frise parfois presque le génie, le seul aujourd’hui qui puisse créer et animer des figures capables de parler, d’aimer, de souffrir, de vivre, de mourir dans l’air héroïque. Julien Le Blant, le peintre par excellence des scènes de l’histoire de la Vendée et de la chouannerie, l’auteur de la Déroute du Manset de la Mort de Charette a été justement et habilement choisi pour orner ce récit original de dessins qui font tableau, et ont, comme le texte, cette vie intense du roman taillé dans l’histoire avec des intuitions et des inventions à la Walter Scott. (Le Correspondant – Paris 1886.)
« Bref, comme Baudelaire poète, Barbey d’Aurevilly est de la classe des auteurs inillustrables. … Et maintenant, si nous exceptons Julien Le Blant, évocateur précis du Chevalier des Touches, et André Mare, paysagiste à l’âme profonde, qui a si bien exprimé le tragique d’une époque et le véritable visage du terroir et des ciels normands, nous ne rencontrons, à notre grand regret, que des talents bien peu caractéristiques qui ont manqué d’envergure pour peindre dignement la fresque aurévillienne. » (Pierre Mornand, les Cahiers aurevilliens N°5 – 3e année 1937)
« Nous signalerons d’abord, dans la Bibliothèque artistique et moderne, une édition du « Chevalier des Touches », l’œuvre la plus fine et la plus délicate de Barbey d’Aurevilly. C’est la première fois qu’il se trouve aussi richement habillé, et le costume est vraiment digne du personnage. Au mérite d’une exécution typographique des plus soignées vient se joindre le charme de ravissantes eaux-fortes gravées par Champollion d’après des compositions de Julien Le Blant, dont la suite des dessins pour « Servitude et Grandeur militaires » avait eu l’année dernière un si grand succès. C’était bien d’ailleurs à ce peintre attitré des scènes vendéennes qu’il fallait s’adresser pour interpréter l’épisode de la chouannerie si pittoresquement décrit par Barbey d’Aurevilly. Cet ouvrage, qui a encore l’avantage de pouvoir être mis dans toutes les mains, sera certainement, cette année, le livre d’étrennes favori dans le monde des bibliophiles. Le prix de ce volume hors ligne est de 27 fr. 50. » (Le Livre)
L’Illustrateur tout indiqué était M. Julien Le Blant qui est arrivé, comme on le sait, à une réputation de spécialiste, en dessinant et en peignant des chouans. Ii s’est donc appliqué à rendre visibles l’incident de la foire de Bricquebec, la capture de des Touches, le mariage d’Aimée, l’évasion de la prison de Contances, le meurtre du Moulin-Bleu, le départ en barque. Il est presque inutile de dire que les détails des costumes et les détails de mise en scène sont exacts. Mais il faut louer le joli arrangement du mariage devant les épées croisées, et la très juste expression de rage froide que le dessinateur a su marquer sur la physionomie du chevalier des Touches, dit la Guêpe. » (Gustave Geffroy – La Justice 29 novembre 1886)
« Cet ouvrage si attachant a encore le mérite de pouvoir être mis dans toutes les mains. La nouvelle édition est, d’ailleurs, attrayante à tous égards. Au mérite d’une exécution typographique des plus soignées vient se joindre le charme de très belles eaux-fortes, gravées par Champollion d’après des composition de Julien Le Blant, dont la suite de dessins pour Servitude et Grandeur militaires a eu l’année dernière un si grand succès. C’était bien d’ailleurs, au peintre attitré des scènes de la Vendée qu’il fallait demander l’interprétation de cet émouvant épisode do la chouannerie. » (Le Constitutionnel 12 janvier 1887)
L’auteur est furieux
Alors que la critique et les inconditionnels de d’Aurevilly sont unanimes à saluer le travail de Julien Le Blant, illustrateur reconnu pour ses connaissances du monde des chouans, l’auteur du Chevalier des Touches, est fou de rage en découvrant l’ouvrage. Il est intéressant de constater que les deux créateurs, compétents dans leur domaine respectif, ne se font pas la même représentation mentale de ces événements vécus un siècle auparavant :
« Le 3 janvier 1887
A Madame de Bouglon
Ma très chère âme,
Vous avez dû recevoir le jour même de l’An (je l’avais calculé) un exemplaire du roman que vous préférez (le Des Touches l’édition de Jouaust). C’était là mes pauvres étrennes. Comme je l’ai écrit sur la première page, l’édition est belle, mais les illustrations sont misérables. J’avais cru pourtant que celui qui est venu humblement me demander de les faire les ferait bien, mais il n’en a rien été. C’est Le Blant, peintre de talent qui se recommandait à moi justement par deux tableaux chouans, la Mort de Charette et un vieux chouan racontant la guerre qu’il a faite à son petit-fils, en lui montrant le champ de bataille, qui est une lande, dans laquelle il a fait le coup de fusil contre les Bleus. Ce Le Blant, que j’avais rencontré dans le monde et qui de manières, est très bien, m’avait paru avoir assez d’enthousiasme intelligent pour le Des Touches et il m’avait séduit, mais baste! Tous ces gaillards d’artistes qui ont une vanité de tous les diables, ne croient qu’en eux et vous interprètent sans venir vous demander, à vous qu’ils illustrent, le moindre conseil. Aussi entassent-ils sottise sur sottise. Ce Le Blant m’a fait des chouans d’opéra-comique. Il les a bottés en bottes à revers, poudrés et en habit à la française, eux, les chouans, à peau de biques, à grand chapeau, à couverture à cuves et à mouchoirs noués derrière les oreilles, ces guerillas, ces catérans qui se battaient et couchaient la nuit, à la belle étoile, comme des chats-huants ! II est impossible d’être plus faux et plus bêtement faux… Quant aux situations, il a toujours été à côté quand il ne les a pas ridiculement manquées. Somme toute, son interprétation fait pitié. C’était si simple de venir me demander ce qu’il ne savait pas, mais l’orgueil lui a mis son carcan comme à une oie et il n’a pas passé la haie et il est resté pataugeant dans le fossé ! C’est à faire devenir fou un homme aussi violent que moi !… Il m’a presque dégoûté de mon livre ou du moins, il y a ajouté pour moi une horrible sensation. Si vous faites relier le volume, arrachez-en, je vous le conseille, toutes ces saloperies de rapin et jetez-les au feu ! C’est tout ce que cela mérite, le feu ! …Jules Barbey d’Aurevilly »
On peut difficilement reprocher à Julien Le Blant son manque de documentation sur ce sujet qui le passionne depuis des années. En 1891, dans un article de la Revue de Bretagne et de Vendée, il répond à une question concernant les costumes des soldats vendéens :
« En règle générale, on peut affirmer que les chefs de la grande armée n’eurent aucun uniforme ; c’est l’avis d’un artiste de talent très consciencieux et très connu, M. Maurice (!) Le Blant, le dessinateur des Chouans et le peintre de deux toiles célèbres : la « Mort de d’Elbée » et l’« Exécution de Charette ». M. Le Blant motive son opinion dans une lettre qu’il m’écrivait, il y a quelque temps, et qu’il ne m’en voudra pas de reproduire en partie : Si l’on me demandait mon avis sur le costume de guerre des généraux vendéens, je dirais, en m’appuyant sur Mme de la Rochejaquelein, qu’ils devaient être très mal accoutrés: Ce qu’ils pouvaient porter ? Leurs costumes de chasse ; et, ceux qui avaient servi, leurs costumes d’officiers de marine ou de l’armée de terre sous Louis XV et Louis XVI. Charette a certainement porté son costume d’officier de marine avant d’adopter les costumes fantaisistes sous lesquels on le représente. Quand j’ai préparé l’ « Exécution de Charette », j’ai trouvé à la Contrie, chez le général, un mauvais dessin, légèrement enluminé, représentant Charette le jour de son exécution. Une note à la plume est écrite sous le dessin, et celui qui l’a rédigée dit avoir vu le général du Bas-Poitou au moment suprême. Charette, détail imprévu, portait une veste de chasse. C’est le costume que j’ai reproduit dans mon tableau. »