En 1892, la presse s’enthousiasme pour la découverte d’un Rembrandt inconnu. Il s’agit d’une huile sur bois de 111 par 174 cm, représentant Abraham recevant des anges à sa table qui appartenait à Madame Legrand, fille du dessinateur Aignan-Thomas Desfriches. Il a été découvert au Pecq, près du Vésinet, et acheté pour la modique somme de 4060 francs par un marchand de Paris, amateur de Rembrandt, M. Stéphane Bourgeois. Le tableau s’intitulait alors « Jésus et les disciples d’Emmaüs » (drôle de titre car Jésus est un vieillard sur le tableau !) et était considéré comme croûte. Estimé cent mille francs quelque temps plus tard, une guerre d’experts se déclencha afin de savoir si le tableau était ou non de Rembrandt, ou du moins en partie. Cette œuvre, conservée de nos jours à Rotterdam au Musée Boijmans Van Beuningen, est en fait d’un élève de Rembrandt : Arent de Gelder (1645-1727). Aux XVIIIe et XIXe s., les tableaux de Gelder ont souvent été pris pour des Rembrandt car ses tableaux paraissaient trop beaux pour être d’un autre que ceux du maître. C’est aussi l’avis un peu hâtif de Le Blant.
« Cher M. Bourgeois. Il est très facile pour moi de vous faire savoir tout ce que je pense de votre Rembrandt, tant discuté l’hiver dernier car je l’ai examiné, sans la moindre excitation, et mon opinion à ce sujet a été réglée dès le premier jour je l’ai vu. L’«Abraham divertit les anges » que vous avez acheté au Pecq est de Rembrandt par son exécution ainsi que par sa composition. Aucun autre que lui peut avoir peint cette œuvre, et je ne modifierai pas mon opinion tant qu’on ne m’aura pas présenté un autre peintre capable de composer un tel ce chef-d’œuvre. Un bon nombre de noms ont été avancés? Mais selon moi aucun d’eux n’est le bon. Comme tous ou la plupart des œuvres des maîtres, le tableau a été retouché à certaines endroits. Durant son long séjour en France, il a traversé de nombreuses péripéties et durant ces périodes perturbées, notre cher pays n’a pas eu plus égard pour les œuvres d’art que pour les personnes. Telle est, mon cher Bourgeois, mon opinion sincère, et, si vous pensez que mes compétences peuvent être de quelque poids, vous pouvez faire connaître mon jugement. Espérant vous voir bientôt, croyez-moi Bien à vous.
J. Le Blant. »