VIGNY – SERVITUDE ET GRANDEUR MILITAIRES

En 1885 Les éditions Jouaust et la Librairie des bibliophiles publient Servitude et grandeur militaires d’Alfred de Vigny dans la collection « Bibliothèque artistique moderne », illustré d’un portrait-frontispice de l’auteur ainsi que de 6 illustrations hors-texte d’après des dessins de Julien Le Blant, gravées à l’eau-forte par Eugène-André Champollion.

Le comte Alfred Victor de Vigny, est est né le 27 mars 1797 à Loches. Il s’est consacré rapidement à la littérature après une carrière militaire dans laquelle il n’a jamais combattu. Il écrit des poèmes, rassemblés dans son recueil Poèmes antiques et modernes (de 1822 à 1826 puis complété en 1837). C’est un romantique, qui donne sa vision désenchantée de la société dans un roman historique : Cinq Mars (1826). Ce roman représente les humiliations infligées à la noblesse par la monarchie absolue. Il met en scène le thème de l’exclusion et de la solitude dans ses poèmes, ou bien le drame dans des nouvelles comme Servitude et Grandeur militaires (1835). Ses œuvres abordent tous les symboles religieux et de figures mythiques, et exposent une pensée humaniste qui voit le salut de l’homme dans la réflexion. Il meurt à l’âge de 66 ans, le 17 septembre 1863 à Paris.

Le graveur Champollion, est né le 30 mars 1848 à Embrun dans les Hautes-Alpes. Formé par Gaucherel et Edmond Hédouin, il collabore à la revue Paris à l’eau-forte entre 1873 et 1876, puis à la Gazette des beaux-arts. Il expose à plusieurs reprises au Salon des artistes français et aux Expositions universelles de 1889 et 1900. Il pratique surtout la gravure d’interprétation et grave entre autres l’œuvre de Georges Rochegrosse. Il illustre des ouvrages de bibliophilie pour les éditeurs Dentu, Ferroud ou Jouaust. La Chalcographie du Louvre lui a commandé des planches issues de son fonds. Il va graver aussi les illustrations du Chevalier des Touches, d’après des dessins de Le Blant, en 1886. Il meurt le 14 juillet 1901 à Lettret.

Servitude et grandeur militaires est un recueil de nouvelles publié en 1835, qui en comprend trois : Laurette ou le Cachet rouge, La Veillée de Vincennes, La Vie et la mort du Capitaine Renaud ou la Canne de jonc.

Résumé

C’est à la fois un roman et une réflexion autobiographique sur le métier militaire, que Vigny a exercé jusqu’à trente ans. La fiction s’incarne dans trois nouvelles, où les aventures, la tension, le pathétique mènent à la philosophie : « Une fable qu’il faut inventer assez passionnée, assez émouvante pour servir de démonstration à l’idée », écrit Vigny, qui apparaît, dans ces trois histoires de passion et d’émotion, tour à tour comme un aristocrate, un soldat, un poète, un styliste, un penseur. Vigny décrit la condition militaire avec une humanité profonde et une pitié fraternelle. Il s’élève avec fermeté contre la doctrine formulée par Joseph de Maistre, qui exaltait le guerrier comme l’instrument aveugle et prestigieux d’une mission divine. Il regarde la guerre comme un fléau et définit la grandeur par l’abnégation, c’est-à-dire par l’acceptation vaillante de la servitude. Dans les armées modernes, en effet, le troupier et même l’officier ne sont que des esclaves : ils doivent l’obéissance passive à une autorité factice qui les prend à ses gages. Mais ce renoncement à soi, souvent obtenu au prix des plus cruels sacrifices, permet à l’homme de sauvegarder sa dignité personnelle. Ainsi se définit une religion de l’honneur. Au sein d’un monde où semble régner la fatalité, cette mystique nouvelle rend à la vie un sens et atteste l’existence d’une liberté.

Critiques de l’époque

« Les dessins qui ornent cette édition sont dus à M. Julien Le Blant, qui s’imposait à notre attention par son double talent de peintre de genre et de peintre militaire. L’habileté avec laquelle il est entré dans l’esprit de l’œuvre qu’il avait à interpréter est venue montrer que nous n’avions pas fait fausse route en nous adressant à lui. Quant à M. Champollion, il a mis à graver les remarquables compositions de M. Le Blant l’intelligence et le soin dont il fournit chaque jour de nouvelles preuves. » (Extrait de la préface)

« Le dernier ouvrage publié par MM. Jouaust et Sigaux dans leur Bibliothèque moderne est la Servitude et Grandeur militaires, d’Alfred de Vigny, que, par un singulier hasard, la Société des Amis des Livres vient également d’éditer pour ses membres fondateurs et correspondants. Les deux livres sont curieux à comparer. L’édition de la Librairie des Bibliophiles a pour illustrateur le peintre des chouans, Julien Le Blant ; celle des Amis des Livres, imprimée sous la direction artistique de M. Henry Houssaye, est entièrement vignettée par le peintre militaire Henri Dupray. …

L’édition de M. Jouaust, sans présenter l’ampleur magistrale qu’ont donnée à leur œuvre d’élection les Amis des Livres, offre un intérêt absolu. Le conte de Laurette est illustré de deux dessins, ainsi que la Veillée de Vincennes et la Canne de Jonc, soit six compositions d’une grande originalité et qui doivent à la gravure de M. Champollion un relief surprenant. M. Le Blant, dans cette œuvre, a montré une grande simplicité ; il n’a point cherché le dramatique tapageur et il a su trouver des scènes émues, toutes contenues dans l’expression parfois admirable de ses personnages. Il a mis moins de passion que Dupray et aussi plus de sentiment poétique. Au demeurant, les deux illustrations sont dignes d’être réunies et je sais quelques amis des livres qui joindront les deux suites dans leur exemplaire, sans oublier les deux portraits d’Alfred de Vigny, à ses débuts et sur la fin de sa vie, que M. Jouaust a eu l’heureuse inspiration de faire graver pour ses souscripteurs sur grand et petit papier. » (Le Livre – Revue du monde littéraire 1885.)

« La Bibliothèque artistique et moderne s’est augmentée de deux ouvrages : Servitude et Grandeur militaire, d’Alfred de Vigny, un volume dont il sera impossible de ne pas tenir compte quand on fera l’histoire de l’eau-forte en notre temps, à cause des admirables dessins de Julien Le Blant, gravés par Champollion ; et Jocelyn, de Lamartine, avec des dessins de Besnard, gravés par de Los Rios. Sans valoir celles de Le Blant, que leur supériorité classera à part dans l’estampe, des compositions de Besnard rendent avec assez de sensibilité le charmé lamartinien. De quelles joies pures ces livres réussis remplissent l’âme d’un amateur. » (Le Temps)

Lors de la vente de la bibliothèque de M. Claude Lafontaine, chez Drouot en mars 1923, une édition originale de Servitude et grandeur militaires a été adjugée pour la somme de 2600 francs.

MÉMOIRES DU SIEUR DE PONTIS

A Paris, chez Hachette et Cie, 1898, 1898. In-4, 12 planches hors-texte en couleurs et 12 en-têtes et culs-de-lampe d’après les aquarelles de Julien Le Blant, couverture et 12 frontispices d’après les aquarelles de Giraldon.

Résumé

L’ouvrage est basé sur les souvenirs de Louis de Pontis, qui a servi dans les armées cinquante-six ans, sous les rois Henri IV, Louis XIII et Louis XIV.

À seize ans Louis de Pontis embrassa la profession des armes ; il obtint de Louis XIII une lieutenance dans les gardes, puis une compagnie. Les nombreuses occasions où il s’était signalé par sa bravoure et sa prudence lui avaient aussi valu l’agrément du roi pour l’acquisition de la charge de commissaire général des Suisses, mais il fut obligé d’y renoncer, à cause des obstacles que lui suscita le cardinal de Richelieu, au service duquel il avait refusé d’entrer.

Employé dans les Pays-Bas et en Allemagne, il servit 56 ans dans les armées du roi et venait d’être nommé maréchal de bataille lorsque des revers de fortune, la mort d’un de ses meilleurs amis Henri II de Montmorency et le dégoût du monde lui inspirèrent le projet de se retirer dans la maison de Port-Royal des Champs, où il termina sa vie, au milieu des pratiques de la prière et de la pénitence.

Ses Mémoires, éditées en 1676 par Du Fossé d’après ses récits, ont été réimprimées plusieurs fois. Ecrites d’un style facile et naturel, elles dépeignent le cardinal de Richelieu avec noirceur. Il semble, suivant l’opinion de Grosley, avoir eu pour but d’offrir un modèle de conduite aux officiers dans toutes les circonstances où le sort peut les placer. Mais le père d’Avrigny et Voltaire ont eu tort de conclure que Pontis n’avait pas existé. Sa famille était très connue en Provence, et lui-même, considéré à son époque comme le plus courageux militaire français. Son portrait a été gravé d’après un tableau de Philippe de Champaigne, et l’épitaphe de son tombeau est rapportée dans le Nécrologe de Port-Royal.

Critiques de l’époque

« Les Mémoires du sieur de Pontis. En 1650, le sieur de Pontis, qui n’avait jamais cessé d’être honnête homme et bon chrétien, commença de faire sur sa vie quelques réflexions sérieuses. Il allait avoir bientôt soixante-dix ans et en avait passé cinquante-six dans les armées. De ces longs travaux, que lui était-il revenu ? Beaucoup de fatigues et quelques rares avantages, toujours ex posés aux retours de la fortune. Allons ! le temps était venu pour lui de faire une fin et de quitter les choses qui passent pour se consacrer tout entier au souci de son salut. — Deux ans après, Pontis se retirait à Port-Royal. Mais, en renonçant au monde, le vieux soldat ne renonçait pas à ses souvenirs. L’un des plus jeûnes parmi les solitaires, le modeste et savant Thomas du Fossé, aimait à les lui faire raconter, et, comme ses récits étaient pleins de verdeur et de couleur, comme ils ne blessaient jamais la modestie ni le bon goût, il amena  insensiblement le vieillard à les lui répéter plusieurs fois, de manière à les transcrire, pour ainsi dire, sous sa dictée. Quand ces Mémoires parurent (1676), six ans après la mort de Pontis, ce fut un enchantement. Mme de Sévigné avoue qu’elle ne peut s’en détacher. C’est qu’aussi la vie militaire d’un demi-siècle s’y trouve ressuscitée. Et quelle curieuse époque ! toute pleine encore de l’esprit de tumulte du siècle précédent. C’est le temps d’Henri IV et de Louis XIII, le temps où les plus honnêtes gentilshommes, quand ils ne trouvent pas d’emplois dans l’armée du Roi, ne se font pas faute d’entrer dans celle d’un, autre prince, au besoin de lever eux-mêmes une troupe de braves gens disposés à bien faire et à vivre le mieux du monde en tenant la campagne et en rançonnant le campagnard. C’est le beau temps des duels et des coups de main, des embuscades criminelles et des héroïques folies. C’est le temps des Trois Mousquetaires. Et, en effet, c’est bien-à Dumas père et, à ses héros que songera tout de suite le lecteur moderne en lisant les scènes amusantes et pathétiques qui se déroulent à travers ces Mémoires. Mais c’est, cette fois, un Dumas qui a vu de ses yeux ce qu’il raconte et donné lui-même les beaux coups d’épée qui-nous émerveillent. Revus avec le plus grand soin sur la première édition, devenue très rare et dont, à l’exception de quelques passages d’un moindre intérêt, nous reproduisons intégralement le texte, les récits de ce soldat de jadis ne pourront manquer d’intéresser nos jeunes gens d’aujourd’hui, les soldats de demain. » (Le Figaro 22 décembre 1897)

« Les Mémoires du sieur de Pontis, abrégés, et publiés par J. Servier, rappelleront à tous les lecteurs le principal personnage de deux romans célèbres d’Auguste Maquet : La Belle Gabrielle et La Maison du Baigneur. Ces précieux et intéressants « Mémoires », illustrés de 12 planches hors texte en couleurs et 24 gravures dans le texte, d’après les aquarelles de Julien Le Blant, ne nous révèlent pas seulement la vie d’un vieux soldat tout entière consacrée à la France, c’est aussi la peinture d’une curieuse époque, toute pleine de l’esprit de tumulte du siècle précédent ; peinture rendue plus vivante encore par les 86 gravures en couleurs qui illustrent le texte, d’après les aquarelles de Julien Le Blant. » (L’Intransigeant)

« La vie militaire d’un demi-siècle se trouve ressuscitée dans les Mémoires du Sieur de Pontis. Quelle curieuse époque ces mémoires dépeignent ! toute pleine encore de l’esprit de tumulte des règnes précédents : c’est le temps d’Henri IV et de Richelieu, mais non pas encore celui de Louvoie; c’est le temps où les plus honnêtes gentilshommes, quand ils ne trouvent pas d’emploi dans l’armée du roi, ne se font pas faute d’entrer dans celle d’un autre prince, au besoin de lever eux-mêmes une troupe de braves gens disposés à bien faire et à vivre le mieux du monde en tenant la campagne et en rançonnant le campagnard : n’est le beau temps des duels, des coups de mal des embuscades criminelles et des héroïques folies. C’est le temps des Trois Mousquetaires. Et en effet, c’est bien è Dumas père et à ses héros que les scènes qui se déroulent à travers ces Mémoires feront tout de suite songer le lecteur moderne. Mais c’est cette fois un Dumas qui a vu de ses yeux ce qu’il raconte et donné lui-même les beaux coups d’épée qui nous émerveillent. Si jamais l’Illustration en couleurs qui fait revivre à nos yeux non seulement les personnages, mais les costumes dans ce qu’ils ont de plus pittoresque, s’est trouvée bien à sa place, c’est assurément en un pareil volume, et rarement aussi le grand artiste qu’est J. Le Blant aura rencontré sujet plus en harmonie avec son talent. » (La Gazette)

« Les Mémoires du sieur de Pontis ne nous révèlent pas seulement la vie d’un vieux soldat tout entière consacrée à la France et à son roi Louis XIII ; c’est aussi la peinture d’une curieuse époque, toute pleine de l’esprit de tumulte du siècle précédent ; peinture rendue plus vivante encore par les 36 gravures en couleur qui illustrent le texte, d’après les aquarelles de Julien Le Blant. Ce livre tient à la fois du roman et de l’histoire, et le sieur de Pontis est un mousquetaire d’A. Dumas qui a vu de ses yeux ce qu’il raconte et donne lui-même les beaux coups d’épée qui nous émerveillent. » (La Revue chrétienne)

« À notre époque positive, où l’énergie des citoyens s’applique uniquement à accroître leurs richesses et à assurer leur bien-être matériel, on éprouve comme un sentiment de fierté à regarder ce que furent nos aïeux, les exploits qu’ils accomplirent, comme ils surent bravement mourir pour leur Dieu, pour leur Roi ou pour leur Dame. Le seigneur de Pontis, qui guerroyait au temps de M. le Cardinal, était un de ces héros. Les mémoires qu’il a laissés sont aussi attachants et variés qu’un roman d’aventures. Deux cents ans avant Marbot, il montra une égale vaillance dans l’action et, dans le récit, une égale belle humeur, avec un tant soi peu de hâblerie. Cela est proprement délicieux. […] Vingt épisodes seraient à citer : les furieux coups d’épée de Pontis, ses duels dont retentissaient la cour et la ville et une certaine querelle avec son mestre de camp qui faillit lui faire perdre la faveur de Sa Majesté. Ces pages, illustrées par le crayon de Giraldon et le pinceau de Le Blant, sont un régal auquel tout le monde trouve son profit, les petits et les grands, les simples et les philosophes.» (Les Annales politiques et littéraires)

À l’origine des Trois Mousquetaires

« M. J. Servier a eu l’idée de rééditer les Mémoires du sieur de Pontis. Ce fut une bonne idée, dont l’exécution était délicate, puisqu’il fallait, par des coupures et rajeunissements, les mettre au point de la curiosité actuelle, mais qui fut heureuse.  Songez en effet que ces Mémoires eurent pendant plus d’un siècle une vague exactement égale à celle de leur génial bâtard le roman des Trois Mousquetaires.  Au témoignage même de Voltaire qui contestait en vain et à faux leur authenticité, ils firent leur tour d’Europe. « Les jeunes barons allemands, dit-il quelque part sur un ton de persiflage où perce la jalousie de l’auteur des chapitres, des anecdotes dans le Siècle de Loups, XIV, les palatins polonais, Les dames de Stockholm et de Copenhague, les lisent, et croient y apprendre ce qui s’est passé de plus secret à la cour de France ».  Ils n’étaient pas si dupes, car si Pontis n’a pas tenu la plume et si, de ce chef, son langage n’a pas la saveur acre des Cahiers du capitaine Cogniet, du moins son secrétaire probable, Thomas Dufossé écrivit-il sous sa dictée, à Port-Royal, et nous garda-t-il tout le costume du temps, toute la grande allure du style Louisquatorzien, et l’accent même du héros.  Car c’en est un, et des plus curieux que cet officier de fortune de l’ancien régime qui ne dépassa jamais le grade de capitaine des gardes de Sa Majesté ; malgré ses prodigieux services.  Et comme elle en dit long sur les mœurs et toute la vie organique de l’armée de l’ancien régime, sa curieuse odyssée. Imaginez un d’Artagnan qui aurait réellement vécu ses prouesses, tour à tour chef de partisans à la solde de princes étrangers, gagnant lentement ses galons à la pointe de l’épée, sur tous les : champs de bataille des guerres de religion et de la guerre de Trente Ans, prisonnier de guerre en Allemagne, honoré par raccroc de caractéristiques confidences des puissances, y compris le roi, redresseur de torts, à l’occasion, dans ses congés, brave a la plus admirable intrépidité, au reste souple de l’esprit mais non de l’échine, ce qui explique assez la médiocrité de son avancement, et qui finira dévotement sa vie dans la solitude de Port-Royal, laissant compter sur son athlétique cadavre les cicatrices de vingt-deux blessures.  En vérité, je ne sais rien de plus curieusement documentaire sur la vie militaire sous l’ancien régime que ces mémoires de notre mousquetaire provençal, marqués au sceau de la plus cl air voyante sincérité et de la plus humoristique crânerie. Et on comprend sans peine que leur succès ait éclipsé celui des Mémoires du comte de Rochefort et même des Mémoires de M. d’Artagnan, œuvre de l’imagination de Sandras de Courtilz qui suggérera l’épopée des Trois Mousquetaires.  La présente édition mérite un regain de cette curiosité séculaire. Toutes les discussions et dissertations de piété, de morale ou d’histoire trop connue qui faisaient longueur dans l’édition primitive,  à notre goût du moins, sinon à celui plus robuste de nos aïeux, a été retranché sans qu’il en coûte rien à l’intérêt du fond ni de la forme.  Celle-ci, je m’en suis assuré et voyez s’il fallait que le livre m’intéressât — n’a été rajeunie que juste dans la mesure nécessaire, c’est-à-dire par une opportune transformation du style périodique et oratoire de l’auteur en style plus coupé et plus dialogué, ce qui fut l’affaire de quelques points et tirets et petits mots de suture, par la substitution de quelques termes plus modernes à ceux dont l’archaïsme risquait de faire écran au sens non sans respecter d’ailleurs ceux de ces termes archaïques ou techniques dont le pittoresque ne se pouvait effacer sans profanation, quitte à les expliquer par une note rapide.  Bref, tout ce travail de rajeunissement a été d’une discrétion égale à celle de la plus pieuse des restaurations archéologiques. Les aquarelles de M. Julien le Blant ont fait le reste, mariant étroitement leur pittoresque et même leur esprit à ceux du texte. Voilà un bel et bon livre d’étrennes pour nos rhétoriciens et un précieux supplément au cours de leur professeur d’histoire. » (Le XIXe siècle 15 décembre 1897)

NAISSANCE DANS LES LARMES

Edmond-Frédéric Le Blant épouse le 8 avril 1850, Marie Louise Gasparine Lemaire, fille de Louis Julien Lemaire, trésorier de la ville de Paris, chevalier de la Légion d’honneur, et de Caroline Roudler demeurant au 43 rue de Luxembourg (actuelle rue Cambon dans le 1er arrondissement).

4 Rue Tronchet à Paris

Edmond Le Blant est domicilié avant son mariage au 26 rue de la Chaussée d’Antin. Le couple s’installe au 4 rue Tronchet, maison appartenant à la famille Lemaire. Julien Le Blant nait de cette union le 30 mars 1951. La déclaration de naissance est faite auprès du conseiller général de la préfecture M. Frottin par le père de l’enfant, Edmond Le Blant, son grand-père, Louis Lemaire, ainsi que par M. François Trémisot, chef de division à la préfecture de la Seine.

Acte de naissance de Julien Le Blant

Malheureusement, la mère de Julien décède le 20 avril à 21 ans des suites de son accouchement. Elle est inhumée deux jours plus tard au cimetière du Nord (cimetière de Montmartre). Âgé de 71 ans, son père éploré publie à l’imprimerie Simon Dautreville à Paris :                                                       

Stances sur la mort de ma filleÀ mon petit-fils Julien Le Blant.

Cher enfant, tu naquis dans le deuil et les larmes :

Ta pauvre mère est morte en te donnant le jour !

Malgré nos soins pieux, nos pleurs et nos alarmes

Dieu l’a ravie à notre amour !

Sa jeunesse et ses charmes

Ont escorté son âme au céleste séjour !

Le jour anniversaire où, d’heureuse mémoire,

Jésus, de son tombeau sortit dans sa splendeur,

Ta mère entrait au sien ! victime expiatoire

Offerte au divin Rédempteur …

Jour de deuil et de gloire !

Que ton cruel contraste a dû navrer son cœur !

1851

Comme la fleur qui meurt, au lever de l’aurore,

Elle a perdu la vie, à peine en son printemps.

Le flambeau de l’hymen ne fut qu’un météore

Qui l’éblouit quelques instants Comme un feu qui dévore !…

Fiancée au bonheur… elle est morte à vingt ans !…

Qu’elle eût un sort fatal ! Comme un tendre Ephémère

Elle est venue au monde ; et l’arrêt du destin

Ne lui donna qu’un an pour être épouse et mère !

Puis elle a vu finir soudain

Sa destinée amère,

Sans pouvoir recueillir ton sourire enfantin !

Ah ! qu’elle a dû souffrir, quand Dieu nous l’a ravie !

Quand elle a vu la mort, à la fleur de ses jours !

Mère, enfant, père, époux, seuls charmes de sa vie,

Objets de ses tendres amours…

A sa triste agonie,

Tout ce ciel étoilé s’éclipsa pour toujours !

On la nommait MARIE ; elle était belle et sage ;

On aimait ses talents, ses grâces, ses vertus.

Nous, dans nos souvenirs, nous gardons son image ;

Mais, pour toi, ses traits sont perdus ;

Que je plains ton jeune âge !

Hélas ! pauvre orphelin, tu ne la verras plus !

Connais mon désespoir… Ta mère était ma fille !

Ta pauvre aïeule et moi, brisés par nos douleurs

Nous avons vu mourir l’ange de la famille !

Viens la suppléer dans nos cœurs…

Viens, ta grâce gentille

Un jour… peut-être, un jour, adoucira nos pleurs.

Comment à ton berceau dérober ma tristesse ?

Par des regrets amers nos fronts sont assombris…

Mais nos cœurs sont à toi ; compte sur leur tendresse !…

De ma fille vivant débris,

Que ton sort m’intéresse !

Prends place au premier rang de nos enfants chéris.

Et toi, ma fille, et toi ! … de ton séjour suprême,

Vois ton fils sur nos seins et bercé dans nos bras.

Nos pleurs vont se mêler à l’eau de son baptême…

Viens nous assister, viens, hélas !

Tu sais combien je t’aime !

Descends vers nous, chère âme, et ne nous quitte pas.

Ma fille, mon enfant ! toujours ta douce image

D’un prestige adoré charme mon souvenir.

Mais quand je vole à toi… j’embrasse un sarcophage !!!

Attends ! attends ! je vois venir,

Comme un heureux présage,

Le jour où ce tombeau pourra nous réunir !

Mon Dieu! fortifiez mon cœur dans sa croyance.

Puis-je être de ma fille à jamais séparé ?

Non, Bon ; il est un ciel où finit la souffrance ;

Malheur au cœur désespéré !

La Foi, c’est l’Espérance…

Promettez-moi, mon Dieu, que je la reverrai !…

DE MAISTRE – LES PRISONNIERS DU CAUCASE

Les Prisonniers du Caucase de Xavier de Maistre avec neuf compositions de Julien Le Blant, gravées à l’eau-forte par Louis Müller. La préface de l’ouvrage est écrite par Léo Claretie. L’ouvrage, tiré à 500 exemplaires numérotés, est édité en 1897 par A. Ferroud pour la librairie des Amateurs.

Julien Le Blant a réalisé neuf dessins pour une réédition luxueuse des Prisonniers du Caucase, roman écrit en 1824 par Xavier de Maistre. Xavier de Maistre, né à Chambéry en 1763, est un grand écrivain et peintre. Il a aussi été général au service du tsar Alexandre Ier pour lequel il a combattu aux confins de l’empire russe. Les Prisonniers du Caucase, un récit riche en rebondissements qui mêle de façon heureuse réalisme psychologique et pittoresque de l’intrigue, a été écrit à la suite de ces périples.

Le graveur de l’ouvrage, Louis Müller, est né à Vénissieux le 22 février 1902, est l’élève d’importants graveurs comme Henri-Auguste-Jules Patey, Henri Bouchard et Henri Dropsy. En 1895, il réalise neuf gravures pour La mort du Duc d’Enghien de Léon Hennique d’après des dessins de Le Blant. En 1929, il reçoit le second prix de Rome de gravure en médailles et pierres fines et, en 1932, le premier prix. Il meurt à Antony en 1957.

Résumé

Alors qu’il se rend dans les gorges du Caucase afin de prendre son poste, le major Kascambo tombe en embuscade et devient prisonnier des Tchetchenges. Craignant des représailles, ces derniers font conduire le major dans un village éloigné, chez les montagnards, pieds nus et enchaîné. Yvan, son « denchik », domestique soldat, apprenant le sort de son maître, veut à tout prix être auprès de lui et se constitue prisonnier. On oblige bientôt Kascambo à rédiger des lettres aux autorités Russes, afin de demander une rançon en échange de sa vie sauve. Mais le temps s’écoule et rien ne vient, il subit les pires traitements, ne trouvant de répit qu’en jouant, parfois, à la guitare pour amuser son geôlier et accompagner Yvan qui danse. Celui-ci n’aura de cesse de chercher le moyen de libérer le major Kascambo, gagnant la confiance des geôliers, des autres habitants, allant jusqu’à se convertir pour apaiser leur méfiance et les accompagner lors de certains méfaits. Belle histoire d’hommes que cette anecdote tirée des œuvres de Xavier de Maistre, présentée ici sous la forme d’un petit livre d’une édition ancienne. L’auteur nous fait découvrir l’âme cruelle des Tchetchenges, avides de batailles et de pillages, de rançons en échange des prisonniers. La volonté d’Yvan, sa fidélité à toute épreuve et sa loyauté sont une magnifique leçon de courage.

Critiques de l’époque

« On ne leur avait pas fait encore les honneurs d’une édition vraiment luxueuse. Est-ce par esprit de clocher que Ferroud a voulu contribuer à glorifier ainsi son compatriote ? je crois plus volontiers que c’est parce qu’en éditeur avisé et plein de goût il a senti quel beau livre pouvait naître de la collaboration d’un artiste tel que Julien Le Blant, et d’un écrivain comme Xavier de Maistre. Et il ne s’est pas trompé, car les Prisonniers du Caucase réunissent toutes les qualités que peut exiger un bibliophile délicat. Les neuf compositions de M. Le Blant sont bien ordonnées ; il y a beaucoup de naturel, de vie et de simplicité dans ces petits tableaux où se meuvent ces farouches Tchetchenges. Il serait injuste de ne pas ajouter que le talent du peintre a été aussi heureusement servi par celui du graveur, M. Louis Müller, qui a interprété habilement les compositions et en a très bien rendu la couleur. » (Le Bulletin du bibliophile)

Voici encore un superbe volume qui vient s’ajouter à la collection déjà si riche et si recherchée des livres édités par Ferroud. Les Prisonniers du Caucase nous sont présentés par M. Léo Claretie, dans une longue préface, très nourrie, où fourmillent les détails et les renseignements sur la vie si peu connue du célèbre écrivain. Xavier de Maistre est certainement l’un des auteurs les plus lus, ses œuvres ou du moins certaines de ses œuvres ont été souvent réimprimées, et l’on peut s’étonner, avec M. Léo Glaretie, que la vie de l’auteur du Voyage autour de ma chambre n’ait pas tenté davantage les biographes et les chercheurs de documents. On connaît, dans ses grandes lignes, certains épisodes de son existence, mais en est-il beaucoup, par exemple, qui sachent que les débuts de Xavier de Maistre dans la carrière des lettres furent le fameux prospectus qu’il rédigea à l’occasion de l’ascension du premier aérostat lancé par les frères Montgolfîer. Savait-on que lui-même monta dans la nacelle de ce ballon et qu’au moment solennel du Lâchez tout il tint fidèlement la promesse qu’il avait faite dans son propectus. « Le ballon, dit ce document, s’enlèvera au signal de « Honneur aux dames ». Les aéronautes, c’est convenu, recevront à leur retour l’accolade des spectatrices. » M. Claretie affirme que les dames tinrent aussi leur promesse. Le préfacier nous conte encore bien d’autres anecdotes sur Xavier de Maistre qui, s’il fut aérostier par occasion, cultiva la peinture, fit la guerre et écrivit d’excellents livres. Avec le « Voyage autour de ma chambre », les « Prisonniers du Caucase » sont le plus célèbre écrit de l’auteur. On a lu et relu ces scènes si pittoresques de la vie Caucasienne, mais jusqu’à présent on ne leur avait pas fait encore les honneurs d’une édition vraiment luxueuse. Est-ce par esprit de clocher que Ferroud a voulu contribuer à glorifier ainsi son compatriote ? je crois plus volontiers que c’est parce qu’en éditeur avisé et plein de goût il a senti quel beau livre pouvait naître de la collaboration d’un artiste tel que Julien Le Blant et d’un écrivain comme Xavier de Maistre. Et il ne s’est pas trompé, car les Prisonniers du Caucase réunissent toutes les qualités que peut exiger un bibliophile délicat. Les neuf compositions de M. Le Blant sont bien ordonnées ; il y a beaucoup de naturel, de vie et de simplicité dans ces petits tableaux où se meuvent ces farouches Tchetchenges. Il serait injuste de ne pas ajouter que le talent du peintre a été aussi heureusement servi par celui du graveur, M. Louis Muller, qui a interprété habilement les compositions et en a très bien rendu la couleur.

G. V. (Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire 1897)

GEORGE SAND – MAUPRAT

1886 Mauprat de George Sand. Edition A. Quantin, 1886 avec dix compositions par Le Blant, gravées à l’eau-forte par Henri Toussaint.

Les éditions Quantin commandent à Julien Le Blant dix dessins pour illustrer une édition de luxe de « Mauprat », écrit en 1837 par George Sand. Ces illustrations sont réalisées à l’eau-forte par Henri Toussaint. Le graveur Henri Toussaint est né à Paris le 10 avril 1849. Il s’est fait remarquer au Salon de Paris en 1874, puis a été récompensé par des médailles de bronze en 1884 ainsi qu’aux expositions universelles de 1899 et 1900. Il est surtout connu pour ses nombreuses estampes représentant l’architecture de Paris et de villes de province. On lui doit également de belles études sur Oxford, Cambridge et Liverpool, notamment. Henri Toussaint meurt à Paris le 25 septembre 1911.

Le roman raconte une histoire qui se déroule pour la majeure partie dans le Berry à l’aube de la Révolution française au XVIIIe siècle. Un jeune garçon issu d’une famille de seigneurs cruels, les Mauprat, échappe peu à peu à son lourd héritage familial grâce à l’amour qu’il éprouve pour sa cousine, nettement plus civilisée que lui. Si Mauprat est avant tout un roman d’amour et une histoire de famille, c’est aussi un roman d’éducation, une fable philosophique et un manifeste féminin.

Résumé

Bernard de Mauprat a perdu ses parents à l’âge de sept ans. Il est alors tombé sous la dépendance de son oncle Tristan de Mauprat et de ses deux fils qui se sont appliqués à le pervertir. Ces trois hommes, derniers rejetons d’une noblesse féodale sauvage et cruelle, vivent de rapines et terrorisent leur voisinage. Edmée de Mauprat, cousine de Bernard, s’étant malheureusement égarée du côté de la demeure des Mauprat, est capturée par ces derniers. Ces monstres poussent Bernard à violer sa cousine. Abruti par l’alcool, Bernard tente de s’exécuter, mais la jeune fille parvient à le contenir et l’amène à fuir le château avec elle. A ce moment, le repaire des Mauprat est attaqué par la Maréchaussée. La bâtisse brûle et les oncles de Bernard passent pour morts. Le jeune homme est recueilli par le Chevalier Hubert, père d’Edmée. Bernard consent à se civiliser et à faire des études pour plaire à Edmée et qu’elle accepte de l’épouser. Mais comme, malgré tous ces efforts, elle refuse toujours, il part pour l’Amérique avec l’armée de Lafayette. Il y demeure six ans. Lorsqu’il revient en France, et qu’il retrouve Edmée solitaire, il la demande une nouvelle fois en mariage mais elle refuse encore. Ils se disputent violemment. Peu après, Edmée est abattue d’un coup de fusil au cours d’une chasse. Bernard est tout de suite soupçonné d’avoir commis le crime et il est jeté en prison. Edmée, remise, intercède pour lui. On découvre ensuite le vrai coupable : il s’agit d’Antoine de Mauprat qui n’était pas mort dans l’incendie de son château. Après cette ultime épreuve, Edmée décide que Bernard est enfin digne d’elle. Ils se marient et vivent heureux malgré les tremblements de la Révolution.

Critiques de l’époque

« Mauprat est le quatrième volume paru dans cette collection des chefs-d’œuvre et, à notre avis, c’est le plus parfait en tous points sous le rapport de la forme artistique. La typographie est remarquable, le caractère de neuf Didot, spécialement gravé pour la maison Quantin, est net, saillant et par conséquent délicieux à l’œil. Le papier du Marais a été très légèrement teinté et n’a plus les tons crayeux des premiers volumes ; l’amélioration est indéniable et l’éditeur a bien fait de céder sur ce point à l’opinion des amateurs qui n’aiment pas, avec raison, trouver au papier de leurs livres de choix le ton brutal d’un plastron de chemise blanche. Il est nécessaire à l’harmonie d’un livre que la teinte du papier soit sobre, douce avec quelque chose de cette patine de l’ivoire que donne le temps. Mauprat réalise cet idéal.

Il serait superflu de revenir sur le mérite littéraire de cette grande œuvre Mauprat, deux fois célèbre par le roman et par le drame. Le côté épique de cette fiction magistrale est resté dans l’esprit de tous et il ne nous reste qu’à envier le plaisir de ceux qui auront la virginité de cette lecture dans le bel ouvrage publié par la maison Quantin. Ce que nous tenons à louer avant toute chose dans ce livre, c’est l’interprétation de M. J. Le Blant qui a réalisé en véritable artiste les principales scènes du chef-d’œuvre de George Sand.

Le peintre des Chouans était bien l’illustrateur désigné pour Mauprat; son tempérament, non moins que les études où il s’est spécialisé, le préparaient à la compréhension intime de cet ouvrage; aussi vient-il de s’y montrer supérieur, soit qu’il ait eu à traiter des pages sentimentales, soit que son crayon se soit mis en mouvement pour peindre les actions mouvementées et tragiques du drame. Il a procédé en tout et pour tout avec une rare simplicité et il a tiré de sa manière des effets surprenants, tour à tour émus ou poignants. Il n’est point, par exemple, de composition plus touchante que celle qui représente Edmée au chevet de Bernard Mauprat, ni de plus largement dramatique que ce joli tableau digne d’un maitre où l’on voit l’escalade de la Roche-Mauprat. Le dessin de M. Le Blant est large, très aéré et toujours consciencieux et précis. Il ne fignole pas ses personnages jusqu’à préciser les moindres détails de costume, mais il se réserve pour l’ensemble qui reste séduisant et impeccable.

M. Le Blant a d’ailleurs trouvé dans M. Henri Toussaint, l’aquafortiste, un interprète habile et très ingénieux qui a eu le rare mérite de graver dans la manière même du peintre ses grandes pages au fusain. Ses dix eaux-fortes sont délicieuses, fines et vigoureuses en même temps, d’une facture indépendante sans trop de burin ou de pointe. Il a droit à toutes les félicitations des connaisseurs. »

(Revue du monde littéraire)

« La maison Quantin, qui vient d’être réorganisée, continue « la Bibliothèque de luxe des chefs-d’œuvre du roman contemporain ». Après Madame Bovary, Monsieur de Camors et le Père Goriot, voici Mauprat avec dix compositions de Julien Le Blant, gravées à l’eau-forte par H. Toussaint. Le jeune peintre des chouans était tout désigné pour l’illustration de l’admirable roman de George Sand, « le chef-d’œuvre, disait Ernest Bersot, du plus grand écrivain du dix-neuvième siècle » ; il a apporté dans ces compositions toutes les rares qualités ; dessin alerte et sûr, verve spirituelle, interprétation charmante du paysage, intelligence des caractères, que la critique d’art a souvent appréciées en lui. On remarquera surtout parmi ces dix quadro que M. Toussaint a gravés avec une habileté peu commune, celui qui figure Edmée de Mauprat repoussant Bernard de sa cravache — cette scène est traitée comme un petit tableau d’histoire — et celui qui représente Bernard portant Edmée à l’autre bord du ruisseau, — Watteau, plus rustique et moins champêtre, eût signé cette page exquise. Cette composition délicieuse révèle même un côté nouveau du talent de M. Julien Le Blant; on savait son pinceau habile à traiter les scènes de la vie violente et dramatique ; on découvre que son crayon a toutes les délicatesses que réclament les églogues et les idylles. L’exécution typographique, comme celle des précédents volumes, mérite les suffrages des bibliophiles les plus sévères. » (La République française 4 avril 1886)

Pourtant, à en croire le journaliste de l’Intransigeant, tout n’a pas été facile entre l’illustrateur et l’éditeur.

« Quelques détails empruntés au bulletin de la librairie Quantin donneront à nos lecteurs une idée exacte des soins consciencieux apportés par cette maison à l’exécution matérielle et artistique de ses publications : M. Julien Le Blant, le peintre que ses nombreux succès aux Salons et surtout l’Exécution de Charette à Nantes venaient de rendre populaire, nous avait manifesté le désir d’illustrer les Chouans. Nous n’avions pas pensé devoir faire entrer cet ouvrage dans notre collection et pour trouver, dans un ordre d’idées à peu près semblables, un sujet qui convînt également au talent de M. Le Blant, nous lui avions proposé d’illustrer Mauprat. Les choses acceptées et convenues, quand M. Le Blant nous apporta ses compositions, nous crûmes devoir lui demander des retouches assez importantes sur deux d’entre elles. De bonne foi et en galant homme, l’artiste prétendit qu’il avait étudié longuement chaque composition, qu’il n’avait pas craint de recommencer plusieurs dessins, que tous étaient maintenant, après, le soin et le temps qu’il y avait mis, l’expression convaincue de son sentiment artistique et qu’il ne pouvait rien y changer. Rien de plus juste ! Juste aussi nous semblait notre façon, de voir. Le cas devenant litigieux, il n’y avait qu’à prendre un arbitre. Un des maîtres de la peinture moderne, M. Chaplin, consentit à jouer ce rôle et il s’en acquitta avec sa bonne grâce et son tact accoutumés. En réalité, il donna gain de cause à M. Le Blant, qui ne fit aux dessins en question que des retouches insignifiantes. Cette petite histoire n’a d’autre intérêt que de prouver aux amateurs, l’occasion s’en présentant, avec quel souci du mieux nous établissons nos ouvrages. Nous pouvons nous tromper, mais nous sommes en droit d’affirmer que nous avons le respect du public et que nous ne livrons pas en échange de son argent une marchandise quelconque. »  (L’Intransigeant 14 avril 1886)

Mauprat a été réédité en 2008 par Nicole Mozet, avec les Illustrations de Julien Le Blant, aux éditions Simarre dans la collection « Le Voyage immobile ».

Mauprat a aussi connu une version cinématographique réalisée par Jean Epstein en 1926, ainsi qu’une version en téléfilm de deux épisodes réalisé par Jacques Trébouta et diffusé sur la Première chaîne les 7 et 8 janvier 1972.

BALZAC – LES CHOUANS

C’est en 1877 que julien Le Blant découvre cet ouvrage qui va bouleverser sa carrière et faire de lui le « peintre des chouans ». En 1889, il réalise plus de 100 dessins pour une réédition de luxe des Chouans de Balzac, tirée à 1000 exemplaires par Emile Testard. Drame historique, récit d’aventures, tragédie d’amour, Les Chouans, ou la Bretagne en 1799 forment le prologue de La Comédie humaine.

Pour écrire ce drame historique, Balzac séjourne à Fougères chez son ami Gilbert de Pommereul dans une bâtisse qui est aujourd’hui le presbytère. Julien Le Blant vient à son tour dans la ville pour préparer ses illustrations.

Grand Rue de Dol de Bretagne par J. Le Blant

Résumé

Nous sommes à la veille du 18 Brumaire. Bientôt va sortir des limbes cette société nouvelle que Balzac a pour ambition de peindre. Mais, aux confins de la Bretagne et de la Normandie, c’est encore l’affrontement sans merci des « manants du roi » et des soldats de la République. Sous la conduite d’un chef intrépide et juvénile, le marquis de Montauran, les Chouans pillent, rançonnent et terrorisent les patriotes. Cinq ans après l’insurrection de la Vendée, cette nouvelle guerre des partisans est une affaire d’Etat. Comment abattre Montauran et disperser ses hordes de pillards insaisissables, vite engloutis par la brume ou les chemins creux du bocage normand, après chaque coup de main ? Le génie ténébreux du meilleur espion de Fouché y suffirait-il s’il n’avait su placer dans son jeu la sublime figure de Marie de Verneuil ? Des douves sanglantes de la Vivetière à la redoute du Nid-aux-Crocs, nous suivons Montauran et ses terribles lieutenants – Marche-à-terre, Pille-miche, Galope-chopine – jusqu’à l’ultime assaut où se jouera leur destin.

Présentation de l’ouvrage dans Le Monde Illustré.

Critiques de l’époque

« Julien Le Blant, peintre des chouans, ne pouvait pas manquer d’illustrer LesChouans d’Honoré de Balzac. Ce sera chose faite pour l’éditeur Emile Testard en cette année 1889 avec la réalisation de 110 dessins. « C’est un nouveau succès pour cette jeune librairie, succès aussi pour le puissant illustrateur Julien Le Blant. Nous pouvons affirmer, en effet, sans crainte de nous tromper, que les amateurs accueilleront les Chouans avec la même faveur que la Chronique du règne de Charles IX, ce remarquable volume à peu près épuisé aujourd’hui. Il nous semble inutile de parler du livre en lui-même. Il suffira de rappeler qu’il fut écrit sur le terrain du drame, au milieu de souvenirs récents encore, parmi les ruines. Ce fut le premier succès de l’écrivain. On y voit Balzac, ce n’est pas là un médiocre intérêt, commençant à fouiller le sillon duquel il ne devait plus sortir. Les Chouans datent de 1827. Ils parurent à deux années de là. Dans ce récit enfiévré et sinistrement mystérieux des suprêmes convulsions de la guerre civile en Bretagne, on trouve largement développées déjà l’acuité de vision, l’intensité du réel, la description patiente et minutieuse, la finesse d’induction, la force d’analyse, l’observation tenace et impitoyable, la pénétration physiologique et psychologique qui firent la puissance de l’auteur de la Comédie humaine. Même parvenu à l’épanouissement complet de sa manière, rarement Balzac évoqua de son cerveau des types mieux accusés, mieux tout d’une pièce que Marche-à-terre, le chouan féroce, et Hulot, le commandant républicain.

Esquisses de chouans

Si M. Le Blant s’est senti à l’aise pour illustrer l’œuvre de Balzac, il n’est pas besoin de le dire. Dès la première page, il se trouve comme chez lui. Nulle part la lutte, le dédale des événements, la foule des acteurs et des comparses ne l’intimident. Il est à tout et partout. Il se prodigue, l’esprit alerte, l’œil grand ouvert sur les personnes et les choses, et, d’un crayon bien aiguisé, suivant le texte pas à pas, dessine cent images, tantôt violentes et passionnées, tantôt gracieuses et charmantes. On jurerait que toutes les compositions sont prises sur le vif, au moment précis de l’épisode, tant elles ont le tour juste, l’accent exact de la vérité. En un mot, c’est l’instantanéité de l’attitude, du geste, de l’expression, avec, en plus, la certaine note personnelle qui signe toujours de son empreinte l’originalité d’un artiste de race. Le peintre du Bataillon carré et de la Mort de d’Elbée a trouvé dans le livre si intéressant de Balzac un cadre s’adaptant parfaitement au milieu qu’il a si consciencieusement fouillé. Il n’a pas manqué de déployer à souhait, sous toutes leurs faces, les qualités maîtresses de son pittoresque et souple talent. M. Léveillé, le graveur de tous les dessins, les éloges qu’il mérite. M. Le Blant a trouvé en lui un interprète du plus sérieux savoir. Ses bois, d’un dessin ferme et précis, dénotent également la puissance d’un coloriste. Sans compter, il a mis au service de l’œuvre toutes les ressources d’un art où il rencontre peu de rivaux. Avec de tels auxiliaires, le tirage étant limité à mille exemplaires, nous pensons que le succès du livre est assuré. Nous savons, du reste, que la majeure partie de l’édition est déjà souscrite, que les grands papiers font prime, et ce n’est que justice. » (Le Livre. Revue du monde littéraire 1889)

« C’est une émouvante histoire que celle de ces bandes de partisans conduits par des chefs énergiques qui tinrent tête à des troupes régulières parfois très supérieures en nombre. Elle a inspiré plus d’une légende et toute une littérature les romans de Barbey d’Aurevilly, le Chevalier Des Touches, l’Ensorcelée, et ce merveilleux livre de Balzac, les Chouans, qu’on a eu l’heureuse inspiration de rééditer avec de superbes dessins de M. Le Blant, le peintre de Charette et des Vendéens, l’homme le plus capable de comprendre la rude poésie des escarmouches derrière les haies. Ce fut une guerre de forêts et de fossés, une succession d’engagements isolés plutôt qu’une grande guerre, où, par la rapidité de leurs mouvements, des hommes très exercés, marcheurs intrépides, opérant par petits groupes et s’évanouissant dans les bois pour se reformer plus loin, tenaient l’ennemi en haleine et donnaient l’illusion de forces nombreuses. La configuration du bocage normand, semé d’immenses bois coupés de sentiers étroits, favorisait puissamment cette tactique. Certains administrateurs voulaient détruire toutes les clôtures des champs à quelque distance des chemins. Mais l’état moral du pays était un facteur non moins important dans la chouannerie. » (La Nouvelle revue novembre 1889.)

« On conçoit que nous ne parlerons pas du livre : c’est le premier succès de Balzac, et ce succès remonte à 1829. Il ne s’agit que de l’édition, mais elle en vaut la peine. « Les Chouans » forment le second volume de la superbe collection artistique que la librairie Testard a récemment et brillamment inaugurée par la « Chronique du règne de Charles IX ». Pour illustrer le dramatique roman de Balzac, l’artiste était tout indiqué : c’était le peintre du « Bataillon carré » et de la « Mort de d’Elbée », M. Julien Le Blant. Le livre lui offrait un cadre depuis longtemps familier. Dans cette Bretagne sauvage, qui n’est plus celle d’aujourd’hui, mais que son imagination fait revivre avec une rare puissance, il est à l’aise, il est chez lui. Ce n’est pas seulement dans Balzac qu’il a vu Marche-à-Terre, le chouan féroce, c’est dans les chemins creux, derrière les buissons de la vieille terre bretonne en proie aux convulsions sinistres de la guerre civile. Pour graver ses dessins, M. Leblant [sic] a trouvé en M. Léveillé un interprète du plus sérieux savoir, connaissant toutes les ressources d’un art où il rencontre peu de rivaux, et qu’on a si grand tort de dédaigner : la gravure sur bois. » (L’Illustration)

« Si M. Le Blant s’est senti à l’aise pour illustrer l’œuvre de Balzac, il n’est pas besoin de le dire. Dès la première page, il se trouve comme chez lui. Nulle part la lutte, le dédale des événements, la foule des acteurs et des comparses ne l’intimident. Il est à tout et partout. Il se prodigue, l’esprit alerte, l’œil grand ouvert sur les personnes et les choses, et, d’un crayon bien aiguisé, suivant le texte pas à pas, dessine cent images, tantôt violentes et passionnées, tantôt gracieuses et charmantes. On jurerait que toutes les compositions sont prises sur le vif, au moment de l’épisode, tant elles ont le tour juste, l’accent exact de la vérité. En un mot, c’est l’instantanéité de l’attitude, du geste, de l’expression, avec, en plus, la certaine note personnelle qui signe toujours de son empreinte l’originalité d’un artiste de race. Le peintre du Bataillon carré et, de la Mort de d’Elbée a trouvé dans le livre si intéressant de Balzac un cadre s’adaptant parfaitement au milieu qu’il a si consciencieusement fouillé. Il n’a pas manqué de déployer à souhait, sous toutes leurs faces, les qualités maîtresses de son pittoresque, mâle et souple talent. Nous sommes heureux aussi de donner à M. Léveillé, le graveur de tous les dessins, les éloges qu’il mérite. M. Le Blant a trouvé en lui un interprète du plus sérieux savoir. Ses bois, d’un dessin ferme et précis, dénotent également la puissance d’un coloriste. Sans compter, il a mis au service de l’œuvre toutes les ressources d’un art où il rencontre peu de rivaux. Avec de tels auxiliaires, le tirage étant limité à mille exemplaires, nous avions bien raison de dire en commençant que le succès du livre est assuré. Nous savons, du reste, que la majeure partie de l’édition est déjà souscrite, que les grands papiers font prime, et ce n’est que justice. » (Paris 2 juillet 1889)

Pourquoi le choix de cet ouvrage?

« Voici encore un fort beau livre édité par la maison Emile Testard qui a entrepris la vaste, difficile et coûteuse publication de l’édition illustrée de Victor Hugo, dite édition nationale. Ce volume est le second de cette collection artistique inaugurée par la Chronique de Charles IX, de Mérimée. Il n’y a qu’à louer le luxe et le caractère artistique de ces éditions. Mais pourrait-on demander ce qui, dans l’œuvre de Balzac, a fait choisir les Chouans pour les confier au crayon de M. Le Blant, dont les illustrations du Chevalier des Touches de Barbey d’Aurevilly, et le Départ de La Rochejacquelin, au salon de 1886, ont démontré la connaissance spéciale de l’insurgé vendéen. C’est donc l’artiste qui a décidé du livre à illustrer ? Je ne vois guère en effet d’autre raison justificative. Les Chouans ou la Bretagne en 1799, écrits en 1827, sont un des premiers écrits de Balzac, le premier roman qu’il signa de son nom. C’est une sorte d’imitation de Walter Scott, d’une lecture pénible. Balzac ne s’est jamais bien tiré de son intrigue embrouillée. Avec Une Ténébreuse affaire, c’est l’œuvre la plus confuse et la plus faible de toute la Comédie humaine. Les illustrations de M. Julien Le Blant, gravées sur bois par Léveillé, pouvaient seules donner quelque intérêt à cet ouvrage d’un romanesque vieillot et d’un-attrait fort mince. » (L’Écho de Paris 6 août 1889)

Le graveur

L’excellent graveur de l’ouvrage se nomme Auguste-Hilaire Léveillé. Il est né à Joué-du-Bois le 31 décembre 1840. Elève des graveurs Jean Best et Laurent Hotelin, il est à l’aise dans tous les procédés de gravure, avec une préférence pour le travail sur bois. Il travaille à partir des années 1860 pour les meilleurs périodiques du moment comme Le Magasin pittoresque, L’Univers illustré, L’Art, la Revue illustrée, Le Monde illustré, ou la Gazette des beaux-arts. Il grave également de nombreuses vignettes anatomiques pour des traités de médecine. Son travail de peintre est montré au Salon de 1873. Il devient à partir des années 1880 l’un des graveurs des œuvres sculptées d’Auguste Rodin. Le 3 avril 1894 il est nommé chevalier de la Légion d’honneur. D’après des dessins de Le Blant, il réalisera encore 161 gravures sur bois pour Le Chevalier de Maison Rouge d’Alexandre Dumas, 50 gravures pour Enfant perdu 1814 de Gustave Toudouze et quelques autres pour La vengeance des Peaux-de-Bique du même Gustave Toudouze. Il meurt le 12 avril 1900 au boulevard du Montparnasse à Paris.

Portfolio contenant les 100 gravures

En 1890, Emile Testard complète son édition des Chouans avec un autre portfolio de 13 pages contenant 8 compositions de Julien Le Blant gravées à l’eau-forte par Émile Boilvin et préfacé par Jules Simon, homme politique et membre de l’Académie française.

« On se souvient sans doute que la maison Testard a publié récemment une superbe édition des Chouans, de Balzac, illustrée par Julien Le Blant de plus de cent compositions gravées sur bois par Léveillé. Pour compléter cette illustration, pour enrichir encore le volume, l’éditeur publie aujourd’hui un album de planches hors texte. Ces planches, gravées à l’eau-forte par Boilvin, représentent huit sujets nouveaux dessinés par Julien Le Blant, huit compositions importantes. Elles sont tout à fait remarquables. Les excellents artistes semblent s’y être eux-mêmes surpassés, l’un ingénieux en ses compositions, imprévu, pittoresque, coloré et vivant, l’autre plus habile que quiconque à traduire les délicatesses exquises ou les accents robustes de ses modèles. » (Paris 26 décembre 1889)

Fils d’un commerçant, Émile Boilvin naît le 7 mai 1845 à Metz, en Moselle. Passionné par l’art, il s’inscrit à l’école des Beaux-arts en avril 1864. Il devient l’élève d’Isidore Pils et de Pierre Edmond Alexandre Hédouin. Il expose au Salon de peinture et de sculpture, dans la section « Graveurs français », à partir de 1865. Il y obtient plusieurs médailles en 1877, 1879 et 1882. Il obtient le « Grand prix » de l’exposition universelle de 1889. Outre ses transpositions d’œuvres picturales, Émile Boilvin grave également des eaux-fortes originales. Il a eu pour élève Frédéric-Émile Jeannin.

« On sait que M. Testard avait donné récemment une édition raffinée des Chouans, de Balzac. Il la complète aujourd’hui par une remarquable préface de M. Jules Simon qui conteste l’étrange assertion que Balzac, psychologue profond, soit « un romancier sans style » et par huit planches hors texte, d’importantes compositions de M. Le Blant, gravées par Boilvin. Le peintre de la chouannerie était là à l’aise pour donner carrière à son talent pittoresque, coloré et vivant. Tout cela forme un régal de bibliophile. » (L’Année littéraire – Paul Ginisty.)

En 1890 toujours, l’éditeur londonien, John C. Nimmo publie une version anglaise des Chouans, avec les dessins de Le Blant, à 780 exemplaires. Elle a été traduite par George Saintsbury.

Le 16 février 1891 a lieu chez Drouot une vente des dessins ayant servi à illustrer Les Chouans de Balzac. Un beau catalogue de 32 pages ornées de nombreuses gravures annonce cette vente exceptionnelle qui va rapporter près de 22’000 francs. Ce montant témoigne de l’importante cote de Julien Le Blant à cette période, sachant que, la même année, La Vision après le sermon de Gauguin est vendue pour 900 francs chez Drouot.

« Cette illustration des Chouans, de Balzac, M. Le Blant l’a exécutée avec une rare conscience de vérité et d’exactitude ; la vérité, il la devait à l’écrivain dont son crayon était l’interprète ; l’exactitude, il se la devait à lui-même. Aussi, rien de plus remarquable que ses planches hors texte et ses dessins semés au hasard de l’inspiration, presque à chaque page. Il y a là plus de cent numéros qui racontent le livre de Balzac avec une fidélité étrangement vivante : le marquis de Montaisons et l’héroïne Mlle de Verneuil, Mme de Gna et Mouche-à-Terre, Galope-Chopine et Francine, le commandant Hulot et le comte de Beauvais, etc. Ils sont tous là, tous ceux qu’a dessinés l’imagination du grand romancier, tous ceux que ressuscite d’une plume alerte M. Le Blant, un maître lui aussi.  C’est presque avec regret que je verrai se disperser les morceaux de cette belle collection ; mais le succès non douteux de la vente sera un nouveau succès pour le sympathique artiste et, à ce point de vue spécial, il convient de nous réjouir. » (Le Soir 10 février 1891)

Annonce de cette vente exceptionnelle dans le The New York Herald du 16 février 1891

En 1900 et 1914, les éditeurs Calmann-Lévy sortent une nouvelle version des Chouans en reprenant les illustrations de Le Blant.

PEINES CAPITALES

Si l’on accorde à Freud que la mort est irreprésentable, les artistes ont toujours cherché à lui donner corps. La mort est un objet privilégié de représentation artistique, elle est le thème qui parcourt l’histoire de l’art avec le plus de constance. Depuis un millénaire, la scène la plus emblématique représente une mise à mort des plus cruelles : la crucifixion. Le rôle de l’artiste est d’exprimer l’irreprésentable à travers l’œuvre d’art. Dans le scénario de la peine capitale, il a le choix entre trois moments bien distincts : la sentence avec les adieux, la mise à mort et le corps sans vie. Ce choix peut dépendre d’un message moral, idéologique ou politique. À une époque où le cinéma n’existait pas, il peut aussi représenter une action à fort pouvoir émotif.

Dans son célèbre tableau 3 de Mayo, réalisé en 1814, Goya a placé simultanément ces trois moments. Face au peloton d’exécution placé dans l’ombre, les suppliciés sont divisés en trois groupes : à gauche ceux qui sont morts et baignent dans leur sang, au centre ceux qui se font fusiller et à droite ceux qui attendent leur tour et font leurs prières.

L’instant même de l’exécution, celui ou la vie s’achève, est plus rarement représenté. Dans son tableau L’exécution de Maximilien, réalisé en 1868 et largement inspiré de celui de Goya, Edouard Manet essaye de nous montrer ce moment fatidique. Il n’est pas facile à saisir. D’ailleurs ce n’est pas Maximilien qui est touché par les balles, mais le général condamné avec lui.

En 1883, Jean-Paul Laurens nous raconte à sa manière les Derniers moments de Maximilien. On le voit consoler son confesseur lorsque le peloton d’exécution vient le chercher.

L’année suivante, Julien Le Blant, ami de Laurens, présente son Exécution du général Charette. Outre la facture et la composition plus audacieuses du peintre des chouans, il est intéressant de noter la similitude dans la dignité du condamné et le désespoir du prêtre qui l’accompagne.

Julien Le Blant nous montre aussi une scène qui suit une exécution, lorsque les bourreaux quittent le lieu du supplice après avoir accompli leur sinistre tâche. Dans la Mort du général d’Elbée, peinte en 1878, l’artiste place quatre cadavres au premier plan, dont la principale victime qui git dans son fauteuil alors que le peloton d’exécution s’éloigne à l’horizon.

Il s’est peut-être souvenu d’une toile peinte dix ans auparavant par Jean-Léon Gérôme, grand maître de la peinture académique, intitulée : la Mort du Maréchal Ney.

Mais ce sont généralement les instants qui précèdent la mise à mort qui sont le plus souvent représentés. De ces instants terribles se dégage une forte émotion romantique, comme dans ce tableau de Paul Delaroche, le Supplice de Jane Grey réalisé en 1833.

L’aspect psychologique du condamné qui prend conscience de vivre ses dernières minutes va inspirer de nombreux artistes comme Félix Vallotton, Emile Friant ou encore Maximilien Luce.

En 1951, Picasso, qui aime revisiter ses classiques, nous présente une nouvelle version inspirée de Goya et Manet, avec des soldats encore plus déshumanisés dans Massacre en Corée.

Quant à Julien Le Blant, il a encore traité du thème de la condamnation à mort dans ses illustrations d’ouvrages comme dans cette scène finale de La Mort du Duc d’Enghien, livre de Léon Hennique paru en 1895.

LES RACOLEURS

En 1876, Julien Le Blant présente au Salon annuel un de ses premiers tableaux intitulé: Les Racoleurs.

D’ après Julien Le Blant (né en 1851) Les Racoleurs Photogravure Goupil & cie, 1876 Impression sur chine appliqué 16 x 26,1 cm Bordeaux, musée Goupil, inv. 95.I.2.414

On y voit un groupe de soldats poussant de jeunes gens à boire jusqu’à l’ivresse, afin de leur faire signer un enrôlement dans l’armée. La revue Le Musée universel, en 1876, revient sur ces pratiques, qualifiées de « véritable traite humaine », dans un article illustré par une gravure tirée du tableau de Le Blant.

La grande organisation des armées s’effectua, en France, lorsque la monarchie atteignit en apogée ; au commencement du dix-septième siècle, les cadres comprenaient déjà 30,000 hommes. Le recrutement s’opérait alors très aisément. Un bel uniforme séduisait les jeunes gens qui priaient les capitaines de les recevoir dans leurs compagnies. L’officier recruteur ne voulait point d’homme marié, ni d’étranger, ni d’individu domicilié là où le régiment tenait garnison. En 1629, les capitaines avaient reçu l’ordre de faire les levées en personne, au lieu d’employer les racoleurs, hommes qui provoquaient les enrôlements volontaires dans les tavernes. « Tout enrôlé promettait de servir six mois, au moins, sous les drapeaux. Il ne put quitter le corps sans congé, sous peine de mort. Quelquefois, on employait l’enrôlement forcé, en faisant partir les vagabonds auxquels on donnait 12 livres par tête, dont 6 au départ et 6 à l’arrivée ; avec 8 sols de solde par chaque jour de route. Ces recrues-là commettaient bien des infractions à la discipline. La solde du fantassin était d’environ 120 livres (à peu près 300 francs) ; celle d’un cavalier était de 480 livres (à peu près 1000 francs). En 1620, les dépenses du département de la guerre s’élevaient à 12 millions de livres (près de 27 millions de francs) ; en 1636, elles atteignaient 44 millions de livres (plus de 90 millions d’aujourd’hui). Jusqu’à Louvois, c’était la noblesse, — 20,000 officiers environ, — qui donnait de la consistance et de la discipline au ramassis d’aventuriers qui composaient les armées ; c’est elle qui professait et propageait les idées d’honneur et de patrie. Dès lors, les gentilshommes d’épée firent un service régulier et permanent et beaucoup recherchèrent des emplois de guerre qui les ruinèrent. Les libéralités du Roi-Soleil payaient à peine leur dévouement. La vie militaire, pour les chefs et les soldats, différa de celle des temps féodaux et de la Fronde. Néanmoins, pour former les cadres, Louvois conserva le système des enrôlements volontaires, pratiqué depuis trois siècles, mais il l’améliora par des règlements sévères. Comme nous l’avons dit, les racoleurs, que les capitaines chargeaient de « faire des hommes » dans les grandes villes, engageaient le plus souvent des vagabonds. Une ordonnance militaire du 2 juillet 1715 constate qu’ils employaient « la violence ou des moyens repréhensibles odieux, la débauche, l’ivresse, la dépravation, » pour obtenir des recrues. Une véritable traite humaine, hideux, commerce, avait lieu surtout entre le Pont-au-Change et le Pont-Neuf, au quai de la Ferraille, ou quai de la Mégisserie, ainsi appelé à cause de ses échoppes et de ses cuirs. Dans la plupart des villes, on attirait les jeunes gens par toutes sortes de ruses dans des maisons appelées « fours », pour les vendre ensuite aux racoleurs qui les expédiaient au régiment. Des femmes perdues étaient de connivence avec les racoleurs ; les malheureuses dupes avaient à choisir entre un coup d’épée souvent mortel ou la signature de leur engagement. La débauche poussait ainsi beaucoup de désœuvrés sous le drapeau, que l’indiscipline faisait bientôt abandonner : on alla jusqu’à offrir aux paysans 50 écus par déserteur qu’ils ramèneraient. Mais peu à peu la main de fer de Louvois empêcha les soldats de quitter leur rang. Au dix-huitième siècle, les racoleurs se promenaient sur le Pont-Neuf, arborant un large drapeau où se lisait le vers de Mérope :

Le premier qui fut roi fut un soldat heureux !

Ils étaient devenus des recruteurs et opéraient à Neuilly et aux Porcherons. A la Révolution, un souffle patriotique passa sur la France et l’enthousiasme militaire annula le racolage en le rendant inutile. La loi du 19 fructidor an VI lui donna le dernier coup, en établissant la conscription.

Gravure d’après le tableau.

AVEC LES CÉLÉBRITÉS DE SON TEMPS

Chez Félix Potin, des vignettes « Panini » avant l’heure

En 1885, pour fidéliser sa clientèle, Félix Potin, roi de la grande distribution et précurseur en la matière, décide d’offrir à chacun de ses clients une image, presque comme un bon point. Plus vous achetez plus vous recevez d’images. Celles-ci sont regroupées par genre (figures politiques, figures sportives, figures artistiques, etc.) dans différents cahiers-albums selon les périodes de cette véritable campagne virale de fidélisation. Le tout premier album à sortir sera la collection Chocolat Félix Potin (1885-1888), les autres se bornant au titre explicite Collection Félix Potin (à partir de 1908).

Chaque album contenait 500 images-à-collectionner chacune d’environ 4cm x 8 cm. On imagine que le client potentiel des enseignes Potin pouvait se le procurer avant ou après le démarrage de la cueillette de ces images-vignettes rappelant furieusement le principe, aujourd’hui, des images Panini.

Ce document nous renseigne sur la vision d’une société fin XIXe siècle encore très masculine, pétrie de glorification des êtres maintenant oubliés pour la plupart. Ces 500 personnalités de l’époque donnent un aperçu de ce qui comptait alors. Entre vieilles gloires et jeunes aventuriers, princes, officiers et hommes politiques, se profilaient toutefois quelques artistes et comédiens. Julien Le Blant eut droit à son portrait dans deux albums de la collection.

Pierre Lanith Petit (1832-1909)

De nombreuses photographies de ces albums Potin ont été prises par le photographe Pierre Lanith Petit, élève de Disdéri (inventeur de la photo-carte, petit format pouvant servir de carte de visite). Petit avait en 1859 démarré un projet pharaonique, celui de produire une galerie des Hommes du Jour. C’est peut-être cette ambition de collecter les grandes figures du siècle qui a motivé Potin à créer son système de cartes-photos à collectionner. Il semble que ce soit peu de temps après l’ouverture de son atelier à Paris, en 1859, que Pierre Petit se lance dans l’élaboration d’une Galerie des hommes du jour, qui devient, par la suite, la Galerie des illustrations contemporaines. Il est vrai que la plupart des grands ateliers parisiens du second Empire, à la suite de Laisné et Nadar, travaillent pour ces « Galeries » et « Panthéons » très en vogue à l’époque.

MISSION AUX ARMÉES

Il en rêvait depuis 3 ans de cette possibilité de se rendre dans la zone des combats, mais ses demandes avaient, jusqu’ici, été refusées. Le 25 août 1917, Julien Le Blant quitte son manoir de Rholan pour rentrer à Paris. Il vient enfin de recevoir une permission du ministère pour réaliser durant le mois de septembre des dessins dans le cadre de la 8e mission des artistes aux armées. Font aussi partie de cette mission : Léon Couturier, Clovis Didier, Emile Friant, Jules Alfred Hervé-Mathé, Léon Lacault, Henri Ottmann, Marius Robert, Henri-Ernest Rioux et Maurice Taquoy.

Julien Le Blant – Soupir (Aisne)

Les missions d’artistes aux armées sont instituées à l’automne 1916 par le Grand Quartier Général. Elles se succèdent de février 1917 jusqu’en janvier 1918. Les participants sont pour l’essentiel des artistes membres de la Société des peintres militaires. Les peintres mobilisés ne peuvent pas en faire partie, sauf autorisation spéciale, ce qui implique que les personnes accréditées sont relativement âgées. Ces artistes peintres doivent être volontaires et réaliser la mission à leurs risques et périls, et de plus à leurs frais. On évite toutefois de les mettre en danger sur le front et leurs missions se déroulent généralement à l’arrière. Les productions sont diverses, allant du très conventionnel à quelques œuvres avant-gardistes. Enfin l’État se réserve la possibilité d’acheter des œuvres à un prix modique. Vallotton parlera même d’un prix de famine. À leur retour de mission, les peintres ont l’obligation d’exposer l’ensemble de leurs travaux dans les salles du musée du Luxembourg, et l’État montre une volonté de constituer une collection avec de nombreux achats. Julien Le Blant sait que sa forme physique n’est pas optimale, mais il ne veut pas manquer cette occasion exceptionnelle de s’approcher du front et sa motivation est intacte.

Je ne puis rien présager car je n’ai pas l’intention de faire le zouave et si je sens que je me fatigue je rentrerai à Paris et de là à Rholan. Mais j’espère que je ne me fatiguerai pas et que l’intérêt de ce que je vais voir me fera rester au moins un mois parmi nos compatriotes qui nous défendent si bien.  (Lettre à Guiguet – Rholan, 24 août 1917)

Entre septembre et octobre 1917, sous la protection du général de Maud’Huy, Julien le Blant vit en direct les derniers épisodes de la célèbre bataille du Chemin des Dames qui a commencé le 16 avril et va se prolonger jusqu’au 24 octobre de la même année. Comme à son habitude, ses dessins sont accompagnés de notes biographiques sur les soldats croqués ainsi que de leur localisation : Couvrelles, Braisnes, Soupir …

Exposition de 1917

Il ramène de son périple de nombreuses esquisses ainsi que des lavis et des aquarelles. Le 27 décembre, le Musée du Luxembourg expose, en retard (l’expo aurait dû ouvrir le 1er décembre) 17 dessins qui seront bientôt retirés pour faire place à quelques cubistes et autres farceurs selon les propres termes de l’artiste. 

Quelques soucis d’organisation !

Une nouvelle exposition des peintres aux armées a été ouverte, hier, au musée du Luxembourg. M Le Blant, dont nous avons signalé déjà l’abondante et belle moisson rapportée du front, n’a pas pu tout exposer : on réservait une bonne place aux envois les plus invraisemblables. Néanmoins, ce que le public verra là de ce bel artiste suffira à l’édifier. Ce sont des types de la grande guerre : le général de Maud’huy fumant sa pipe, le Père Bailly, aumônier militaire ; un alpin sac au dos avec le pic montagnard, tant d’autres encore d’un faire très savant et d’un naturel absolu. M. Le Blant, qui fut autrefois le peintre des Chouans et dont le talent a été tant de fois célébré, se montre ici, comme autrefois, le peintre de la vie et de l’expression. (Le Gaulois du 29 décembre 1917)

Le général de Maud’Huy par Le Blant