PEINES CAPITALES

Si l’on accorde à Freud que la mort est irreprésentable, les artistes ont toujours cherché à lui donner corps. La mort est un objet privilégié de représentation artistique, elle est le thème qui parcourt l’histoire de l’art avec le plus de constance. Depuis un millénaire, la scène la plus emblématique représente une mise à mort des plus cruelles : la crucifixion. Le rôle de l’artiste est d’exprimer l’irreprésentable à travers l’œuvre d’art. Dans le scénario de la peine capitale, il a le choix entre trois moments bien distincts : la sentence avec les adieux, la mise à mort et le corps sans vie. Ce choix peut dépendre d’un message moral, idéologique ou politique. À une époque où le cinéma n’existait pas, il peut aussi représenter une action à fort pouvoir émotif.

Dans son célèbre tableau 3 de Mayo, réalisé en 1814, Goya a placé simultanément ces trois moments. Face au peloton d’exécution placé dans l’ombre, les suppliciés sont divisés en trois groupes : à gauche ceux qui sont morts et baignent dans leur sang, au centre ceux qui se font fusiller et à droite ceux qui attendent leur tour et font leurs prières.

L’instant même de l’exécution, celui ou la vie s’achève, est plus rarement représenté. Dans son tableau L’exécution de Maximilien, réalisé en 1868 et largement inspiré de celui de Goya, Edouard Manet essaye de nous montrer ce moment fatidique. Il n’est pas facile à saisir. D’ailleurs ce n’est pas Maximilien qui est touché par les balles, mais le général condamné avec lui.

En 1883, Jean-Paul Laurens nous raconte à sa manière les Derniers moments de Maximilien. On le voit consoler son confesseur lorsque le peloton d’exécution vient le chercher.

L’année suivante, Julien Le Blant, ami de Laurens, présente son Exécution du général Charette. Outre la facture et la composition plus audacieuses du peintre des chouans, il est intéressant de noter la similitude dans la dignité du condamné et le désespoir du prêtre qui l’accompagne.

Julien Le Blant nous montre aussi une scène qui suit une exécution, lorsque les bourreaux quittent le lieu du supplice après avoir accompli leur sinistre tâche. Dans la Mort du général d’Elbée, peinte en 1878, l’artiste place quatre cadavres au premier plan, dont la principale victime qui git dans son fauteuil alors que le peloton d’exécution s’éloigne à l’horizon.

Il s’est peut-être souvenu d’une toile peinte dix ans auparavant par Jean-Léon Gérôme, grand maître de la peinture académique, intitulée : la Mort du Maréchal Ney.

Mais ce sont généralement les instants qui précèdent la mise à mort qui sont le plus souvent représentés. De ces instants terribles se dégage une forte émotion romantique, comme dans ce tableau de Paul Delaroche, le Supplice de Jane Grey réalisé en 1833.

L’aspect psychologique du condamné qui prend conscience de vivre ses dernières minutes va inspirer de nombreux artistes comme Félix Vallotton, Emile Friant ou encore Maximilien Luce.

En 1951, Picasso, qui aime revisiter ses classiques, nous présente une nouvelle version inspirée de Goya et Manet, avec des soldats encore plus déshumanisés dans Massacre en Corée.

Quant à Julien Le Blant, il a encore traité du thème de la condamnation à mort dans ses illustrations d’ouvrages comme dans cette scène finale de La Mort du Duc d’Enghien, livre de Léon Hennique paru en 1895.