BALZAC – LES CHOUANS

C’est en 1877 que julien Le Blant découvre cet ouvrage qui va bouleverser sa carrière et faire de lui le « peintre des chouans ». En 1889, il réalise plus de 100 dessins pour une réédition de luxe des Chouans de Balzac, tirée à 1000 exemplaires par Emile Testard. Drame historique, récit d’aventures, tragédie d’amour, Les Chouans, ou la Bretagne en 1799 forment le prologue de La Comédie humaine.

Pour écrire ce drame historique, Balzac séjourne à Fougères chez son ami Gilbert de Pommereul dans une bâtisse qui est aujourd’hui le presbytère. Julien Le Blant vient à son tour dans la ville pour préparer ses illustrations.

Grand Rue de Dol de Bretagne par J. Le Blant

Résumé

Nous sommes à la veille du 18 Brumaire. Bientôt va sortir des limbes cette société nouvelle que Balzac a pour ambition de peindre. Mais, aux confins de la Bretagne et de la Normandie, c’est encore l’affrontement sans merci des « manants du roi » et des soldats de la République. Sous la conduite d’un chef intrépide et juvénile, le marquis de Montauran, les Chouans pillent, rançonnent et terrorisent les patriotes. Cinq ans après l’insurrection de la Vendée, cette nouvelle guerre des partisans est une affaire d’Etat. Comment abattre Montauran et disperser ses hordes de pillards insaisissables, vite engloutis par la brume ou les chemins creux du bocage normand, après chaque coup de main ? Le génie ténébreux du meilleur espion de Fouché y suffirait-il s’il n’avait su placer dans son jeu la sublime figure de Marie de Verneuil ? Des douves sanglantes de la Vivetière à la redoute du Nid-aux-Crocs, nous suivons Montauran et ses terribles lieutenants – Marche-à-terre, Pille-miche, Galope-chopine – jusqu’à l’ultime assaut où se jouera leur destin.

Présentation de l’ouvrage dans Le Monde Illustré.

Critiques de l’époque

« Julien Le Blant, peintre des chouans, ne pouvait pas manquer d’illustrer LesChouans d’Honoré de Balzac. Ce sera chose faite pour l’éditeur Emile Testard en cette année 1889 avec la réalisation de 110 dessins. « C’est un nouveau succès pour cette jeune librairie, succès aussi pour le puissant illustrateur Julien Le Blant. Nous pouvons affirmer, en effet, sans crainte de nous tromper, que les amateurs accueilleront les Chouans avec la même faveur que la Chronique du règne de Charles IX, ce remarquable volume à peu près épuisé aujourd’hui. Il nous semble inutile de parler du livre en lui-même. Il suffira de rappeler qu’il fut écrit sur le terrain du drame, au milieu de souvenirs récents encore, parmi les ruines. Ce fut le premier succès de l’écrivain. On y voit Balzac, ce n’est pas là un médiocre intérêt, commençant à fouiller le sillon duquel il ne devait plus sortir. Les Chouans datent de 1827. Ils parurent à deux années de là. Dans ce récit enfiévré et sinistrement mystérieux des suprêmes convulsions de la guerre civile en Bretagne, on trouve largement développées déjà l’acuité de vision, l’intensité du réel, la description patiente et minutieuse, la finesse d’induction, la force d’analyse, l’observation tenace et impitoyable, la pénétration physiologique et psychologique qui firent la puissance de l’auteur de la Comédie humaine. Même parvenu à l’épanouissement complet de sa manière, rarement Balzac évoqua de son cerveau des types mieux accusés, mieux tout d’une pièce que Marche-à-terre, le chouan féroce, et Hulot, le commandant républicain.

Esquisses de chouans

Si M. Le Blant s’est senti à l’aise pour illustrer l’œuvre de Balzac, il n’est pas besoin de le dire. Dès la première page, il se trouve comme chez lui. Nulle part la lutte, le dédale des événements, la foule des acteurs et des comparses ne l’intimident. Il est à tout et partout. Il se prodigue, l’esprit alerte, l’œil grand ouvert sur les personnes et les choses, et, d’un crayon bien aiguisé, suivant le texte pas à pas, dessine cent images, tantôt violentes et passionnées, tantôt gracieuses et charmantes. On jurerait que toutes les compositions sont prises sur le vif, au moment précis de l’épisode, tant elles ont le tour juste, l’accent exact de la vérité. En un mot, c’est l’instantanéité de l’attitude, du geste, de l’expression, avec, en plus, la certaine note personnelle qui signe toujours de son empreinte l’originalité d’un artiste de race. Le peintre du Bataillon carré et de la Mort de d’Elbée a trouvé dans le livre si intéressant de Balzac un cadre s’adaptant parfaitement au milieu qu’il a si consciencieusement fouillé. Il n’a pas manqué de déployer à souhait, sous toutes leurs faces, les qualités maîtresses de son pittoresque et souple talent. M. Léveillé, le graveur de tous les dessins, les éloges qu’il mérite. M. Le Blant a trouvé en lui un interprète du plus sérieux savoir. Ses bois, d’un dessin ferme et précis, dénotent également la puissance d’un coloriste. Sans compter, il a mis au service de l’œuvre toutes les ressources d’un art où il rencontre peu de rivaux. Avec de tels auxiliaires, le tirage étant limité à mille exemplaires, nous pensons que le succès du livre est assuré. Nous savons, du reste, que la majeure partie de l’édition est déjà souscrite, que les grands papiers font prime, et ce n’est que justice. » (Le Livre. Revue du monde littéraire 1889)

« C’est une émouvante histoire que celle de ces bandes de partisans conduits par des chefs énergiques qui tinrent tête à des troupes régulières parfois très supérieures en nombre. Elle a inspiré plus d’une légende et toute une littérature les romans de Barbey d’Aurevilly, le Chevalier Des Touches, l’Ensorcelée, et ce merveilleux livre de Balzac, les Chouans, qu’on a eu l’heureuse inspiration de rééditer avec de superbes dessins de M. Le Blant, le peintre de Charette et des Vendéens, l’homme le plus capable de comprendre la rude poésie des escarmouches derrière les haies. Ce fut une guerre de forêts et de fossés, une succession d’engagements isolés plutôt qu’une grande guerre, où, par la rapidité de leurs mouvements, des hommes très exercés, marcheurs intrépides, opérant par petits groupes et s’évanouissant dans les bois pour se reformer plus loin, tenaient l’ennemi en haleine et donnaient l’illusion de forces nombreuses. La configuration du bocage normand, semé d’immenses bois coupés de sentiers étroits, favorisait puissamment cette tactique. Certains administrateurs voulaient détruire toutes les clôtures des champs à quelque distance des chemins. Mais l’état moral du pays était un facteur non moins important dans la chouannerie. » (La Nouvelle revue novembre 1889.)

« On conçoit que nous ne parlerons pas du livre : c’est le premier succès de Balzac, et ce succès remonte à 1829. Il ne s’agit que de l’édition, mais elle en vaut la peine. « Les Chouans » forment le second volume de la superbe collection artistique que la librairie Testard a récemment et brillamment inaugurée par la « Chronique du règne de Charles IX ». Pour illustrer le dramatique roman de Balzac, l’artiste était tout indiqué : c’était le peintre du « Bataillon carré » et de la « Mort de d’Elbée », M. Julien Le Blant. Le livre lui offrait un cadre depuis longtemps familier. Dans cette Bretagne sauvage, qui n’est plus celle d’aujourd’hui, mais que son imagination fait revivre avec une rare puissance, il est à l’aise, il est chez lui. Ce n’est pas seulement dans Balzac qu’il a vu Marche-à-Terre, le chouan féroce, c’est dans les chemins creux, derrière les buissons de la vieille terre bretonne en proie aux convulsions sinistres de la guerre civile. Pour graver ses dessins, M. Leblant [sic] a trouvé en M. Léveillé un interprète du plus sérieux savoir, connaissant toutes les ressources d’un art où il rencontre peu de rivaux, et qu’on a si grand tort de dédaigner : la gravure sur bois. » (L’Illustration)

« Si M. Le Blant s’est senti à l’aise pour illustrer l’œuvre de Balzac, il n’est pas besoin de le dire. Dès la première page, il se trouve comme chez lui. Nulle part la lutte, le dédale des événements, la foule des acteurs et des comparses ne l’intimident. Il est à tout et partout. Il se prodigue, l’esprit alerte, l’œil grand ouvert sur les personnes et les choses, et, d’un crayon bien aiguisé, suivant le texte pas à pas, dessine cent images, tantôt violentes et passionnées, tantôt gracieuses et charmantes. On jurerait que toutes les compositions sont prises sur le vif, au moment de l’épisode, tant elles ont le tour juste, l’accent exact de la vérité. En un mot, c’est l’instantanéité de l’attitude, du geste, de l’expression, avec, en plus, la certaine note personnelle qui signe toujours de son empreinte l’originalité d’un artiste de race. Le peintre du Bataillon carré et, de la Mort de d’Elbée a trouvé dans le livre si intéressant de Balzac un cadre s’adaptant parfaitement au milieu qu’il a si consciencieusement fouillé. Il n’a pas manqué de déployer à souhait, sous toutes leurs faces, les qualités maîtresses de son pittoresque, mâle et souple talent. Nous sommes heureux aussi de donner à M. Léveillé, le graveur de tous les dessins, les éloges qu’il mérite. M. Le Blant a trouvé en lui un interprète du plus sérieux savoir. Ses bois, d’un dessin ferme et précis, dénotent également la puissance d’un coloriste. Sans compter, il a mis au service de l’œuvre toutes les ressources d’un art où il rencontre peu de rivaux. Avec de tels auxiliaires, le tirage étant limité à mille exemplaires, nous avions bien raison de dire en commençant que le succès du livre est assuré. Nous savons, du reste, que la majeure partie de l’édition est déjà souscrite, que les grands papiers font prime, et ce n’est que justice. » (Paris 2 juillet 1889)

Pourquoi le choix de cet ouvrage?

« Voici encore un fort beau livre édité par la maison Emile Testard qui a entrepris la vaste, difficile et coûteuse publication de l’édition illustrée de Victor Hugo, dite édition nationale. Ce volume est le second de cette collection artistique inaugurée par la Chronique de Charles IX, de Mérimée. Il n’y a qu’à louer le luxe et le caractère artistique de ces éditions. Mais pourrait-on demander ce qui, dans l’œuvre de Balzac, a fait choisir les Chouans pour les confier au crayon de M. Le Blant, dont les illustrations du Chevalier des Touches de Barbey d’Aurevilly, et le Départ de La Rochejacquelin, au salon de 1886, ont démontré la connaissance spéciale de l’insurgé vendéen. C’est donc l’artiste qui a décidé du livre à illustrer ? Je ne vois guère en effet d’autre raison justificative. Les Chouans ou la Bretagne en 1799, écrits en 1827, sont un des premiers écrits de Balzac, le premier roman qu’il signa de son nom. C’est une sorte d’imitation de Walter Scott, d’une lecture pénible. Balzac ne s’est jamais bien tiré de son intrigue embrouillée. Avec Une Ténébreuse affaire, c’est l’œuvre la plus confuse et la plus faible de toute la Comédie humaine. Les illustrations de M. Julien Le Blant, gravées sur bois par Léveillé, pouvaient seules donner quelque intérêt à cet ouvrage d’un romanesque vieillot et d’un-attrait fort mince. » (L’Écho de Paris 6 août 1889)

Le graveur

L’excellent graveur de l’ouvrage se nomme Auguste-Hilaire Léveillé. Il est né à Joué-du-Bois le 31 décembre 1840. Elève des graveurs Jean Best et Laurent Hotelin, il est à l’aise dans tous les procédés de gravure, avec une préférence pour le travail sur bois. Il travaille à partir des années 1860 pour les meilleurs périodiques du moment comme Le Magasin pittoresque, L’Univers illustré, L’Art, la Revue illustrée, Le Monde illustré, ou la Gazette des beaux-arts. Il grave également de nombreuses vignettes anatomiques pour des traités de médecine. Son travail de peintre est montré au Salon de 1873. Il devient à partir des années 1880 l’un des graveurs des œuvres sculptées d’Auguste Rodin. Le 3 avril 1894 il est nommé chevalier de la Légion d’honneur. D’après des dessins de Le Blant, il réalisera encore 161 gravures sur bois pour Le Chevalier de Maison Rouge d’Alexandre Dumas, 50 gravures pour Enfant perdu 1814 de Gustave Toudouze et quelques autres pour La vengeance des Peaux-de-Bique du même Gustave Toudouze. Il meurt le 12 avril 1900 au boulevard du Montparnasse à Paris.

Portfolio contenant les 100 gravures

En 1890, Emile Testard complète son édition des Chouans avec un autre portfolio de 13 pages contenant 8 compositions de Julien Le Blant gravées à l’eau-forte par Émile Boilvin et préfacé par Jules Simon, homme politique et membre de l’Académie française.

« On se souvient sans doute que la maison Testard a publié récemment une superbe édition des Chouans, de Balzac, illustrée par Julien Le Blant de plus de cent compositions gravées sur bois par Léveillé. Pour compléter cette illustration, pour enrichir encore le volume, l’éditeur publie aujourd’hui un album de planches hors texte. Ces planches, gravées à l’eau-forte par Boilvin, représentent huit sujets nouveaux dessinés par Julien Le Blant, huit compositions importantes. Elles sont tout à fait remarquables. Les excellents artistes semblent s’y être eux-mêmes surpassés, l’un ingénieux en ses compositions, imprévu, pittoresque, coloré et vivant, l’autre plus habile que quiconque à traduire les délicatesses exquises ou les accents robustes de ses modèles. » (Paris 26 décembre 1889)

Fils d’un commerçant, Émile Boilvin naît le 7 mai 1845 à Metz, en Moselle. Passionné par l’art, il s’inscrit à l’école des Beaux-arts en avril 1864. Il devient l’élève d’Isidore Pils et de Pierre Edmond Alexandre Hédouin. Il expose au Salon de peinture et de sculpture, dans la section « Graveurs français », à partir de 1865. Il y obtient plusieurs médailles en 1877, 1879 et 1882. Il obtient le « Grand prix » de l’exposition universelle de 1889. Outre ses transpositions d’œuvres picturales, Émile Boilvin grave également des eaux-fortes originales. Il a eu pour élève Frédéric-Émile Jeannin.

« On sait que M. Testard avait donné récemment une édition raffinée des Chouans, de Balzac. Il la complète aujourd’hui par une remarquable préface de M. Jules Simon qui conteste l’étrange assertion que Balzac, psychologue profond, soit « un romancier sans style » et par huit planches hors texte, d’importantes compositions de M. Le Blant, gravées par Boilvin. Le peintre de la chouannerie était là à l’aise pour donner carrière à son talent pittoresque, coloré et vivant. Tout cela forme un régal de bibliophile. » (L’Année littéraire – Paul Ginisty.)

En 1890 toujours, l’éditeur londonien, John C. Nimmo publie une version anglaise des Chouans, avec les dessins de Le Blant, à 780 exemplaires. Elle a été traduite par George Saintsbury.

Le 16 février 1891 a lieu chez Drouot une vente des dessins ayant servi à illustrer Les Chouans de Balzac. Un beau catalogue de 32 pages ornées de nombreuses gravures annonce cette vente exceptionnelle qui va rapporter près de 22’000 francs. Ce montant témoigne de l’importante cote de Julien Le Blant à cette période, sachant que, la même année, La Vision après le sermon de Gauguin est vendue pour 900 francs chez Drouot.

« Cette illustration des Chouans, de Balzac, M. Le Blant l’a exécutée avec une rare conscience de vérité et d’exactitude ; la vérité, il la devait à l’écrivain dont son crayon était l’interprète ; l’exactitude, il se la devait à lui-même. Aussi, rien de plus remarquable que ses planches hors texte et ses dessins semés au hasard de l’inspiration, presque à chaque page. Il y a là plus de cent numéros qui racontent le livre de Balzac avec une fidélité étrangement vivante : le marquis de Montaisons et l’héroïne Mlle de Verneuil, Mme de Gna et Mouche-à-Terre, Galope-Chopine et Francine, le commandant Hulot et le comte de Beauvais, etc. Ils sont tous là, tous ceux qu’a dessinés l’imagination du grand romancier, tous ceux que ressuscite d’une plume alerte M. Le Blant, un maître lui aussi.  C’est presque avec regret que je verrai se disperser les morceaux de cette belle collection ; mais le succès non douteux de la vente sera un nouveau succès pour le sympathique artiste et, à ce point de vue spécial, il convient de nous réjouir. » (Le Soir 10 février 1891)

Annonce de cette vente exceptionnelle dans le The New York Herald du 16 février 1891

En 1900 et 1914, les éditeurs Calmann-Lévy sortent une nouvelle version des Chouans en reprenant les illustrations de Le Blant.

LES CAHIERS DU CAPITAINE COIGNET

1888 Les cahiers du Capitaine Coignet (Loredan Larchey). Librairie Hachette & Cie Paris, illustré de 96 gravures d’après des dessins de Le Blant, par Rousseau et Devos, ainsi que par 18 grands dessins hors texte, d’après des aquarelles réalisées en héliogravure par Ducoutioux selon les procédés Dujardin.

Les 500 exemplaires du premier tirage des mémoires de Jean-Roch Coignet furent directement vendus par l’auteur. Ces « cahiers » étaient écrits dans un français approximatif, Coignet n’ayant appris à lire et à écrire selon ses dires qu’en «1808, entre Friedland et Wagram». En 1883, un érudit, Lorédan Larchey, en révisant le style de l’auteur, publia de larges extraits de « Aux vieux de la vieille » sous le titre « Les cahiers du capitaine Coignet ». Le succès fut immédiat. Ces souvenirs furent désormais constamment réédités, comme ici par Hachette en 1888, avec une centaine d’illustrations de Julien Le Blant.

Résumé

Jean-Roch Coignet, plus connu sous le nom de capitaine Coignet, est né à Druyes-les-Belles-Fontaines le 6 août 1776. Enfant pauvre, presque abandonné à lui-même, Coignet est conscrit en 1799. Jusqu’en 1815 (il sera à Waterloo), il participe à toutes les campagnes du Consulat et de l’Empire, et termine sa vie militaire comme capitaine de la garde impériale et officier de la Légion d’honneur, après avoir participé à seize campagnes et quarante-huit batailles sans avoir jamais été blessé. Il meurt à Auxerre en 1865.

« LES CAHIERS DU CAPITAINE COIGNET, publiés par M. Lorédan Larchey, et illustrés de 18 planches hors texte en couleurs et de 66 gravures, d’après les aquarelles et les dessins du peintre Julien Le Blant, ne sont pas, on le sait, une œuvre de fantaisie. Ce sont les mémoires bien authentiques, et imprimés d’après le manuscrit original, d’un honnête soldat du premier Empire, qui naquit dans l’Yonne, en 1776. Après avoir été tour à tour berger, valet d’écurie, aide-jardinier, Coignet est pris par la conscription et part pour l’armée d’Italie. Plus tard, il est décoré et admis dans la garde. A trente-trois ans seulement, il devient caporal, et c’est alors qu’il apprend à lire et à écrire. Finalement, il parvient au grade de capitaine, après avoir fait toutes les campagnes de l’Empire. Mis en demi-solde par la Restauration, à l’âge de soixante-douze ans, l’idée lui vient de rédiger ses souvenirs. De là ces pages où se reflète, en des scènes réellement vécues, l’humeur sincère et naïve du « vieux de la vieille » qui raconte les choses telles qu’il les a vues. » (Le Figaro 22 décembre 1895)

Critiques de l’époque

« Avec Coignet, on n’a certes pas le détail des opérations d’une armée, mais on a la physionomie du combattant, les incidents de la marche, la couleur du champ de bataille, l’imprévu de l’action, le chaud de la mêlée. Ah le vrai livre de soldat, et comme M. Lorédan Larchey a bien fait de le sauver de l’oubli. M. Le Blant a trouvé, pour illustrer ces pages où bat un cœur de troupier, des compositions singulièrement pittoresques. Ce n’est pas la guerre idéalisée, c’est la guerre vue de près. » (Paul Ginisty dans L’Année littéraire)

« Faut-il encore parler de ces charmants et si curieux Cahiers du Capitaine Coignet, publiés par Lorédan Larchey chez Hachette, avec des illustrations de Le Blant? Le succès qu’ils ont déjà obtenu sous une forme plus modeste peut nous dispenser d’insister. Je passe sur les éditions non illustrées du début pour arriver à cette belle édition illustrée de 1888, dont les exemplaires sur Japon et sur Chine firent bientôt prime et ne se trouvent plus. Les photogravures de Guillaume pour les dessins dans le texte et les héliogravures de Dujardin pour les compositions hors texte étaient remarquables de netteté et de franchise, mais l’édition de cette année-ci devait encore dépasser la précédente et, de plus, innover dans l’ordre de l’illustration en couleurs.

En effet les belles héliogravures de l’édition de 1888 étaient d’un seul ton, et faisaient excellente figure dans le livre. Mais comment pouvait-on réaliser plus flatteur encore tout en demeurant aussi harmonieux. Les éditeurs résolurent le problème, mais à force de duels soins, et avec quelle patiente et dévouée collaboration de l’illustrateur! Les planches hors texte devaient être en couleurs, mais dès le principe, on avait décidé, avec beaucoup de sens et de goût, de proscrire cette mise en couleurs si surchargée, si criarde, qui arrive à faire de certaines publications, chères pourtant, l’équivalent artistique des boîtes d’allumettes-bougies. Or c’était justement la difficulté d’obtenir des procédés, et des ouvriers, cette couleur variée et brillante tout en restant d’une sobriété et d’une distinction parfaites.

Les soldats de Napoléon s’activent pour préparer le chemin du col du Grand-St-Bernard.

Pour les exemplaires de grand luxe, dont cinquante seulement furent mis en vente, on fit des planches hors texte en taille-douce et on les tira en couleurs « à la poupée » C’est-à-dire que l’imprimeur, à l’aide d’une petite estompe en chiffons, colorie jusqu’au moindre détail de la planche en cuivre, et que chaque épreuve tirée devient, pour ainsi dire, une véritable peinture originale exécutée sous la direction attentive du peintre, qui en arrêta le modèle avec mille précautions raisonnées.

Pour les exemplaires de vente plus courante, que l’on pourrait presque appeler de luxe, mis à la portée de toutes les bourses, les tirages furent différents, mais non moins complexes, il s’en faut. Il y eut des tirages de « fonds » très subtils, sur lesquels vinrent s’appliquer les dessins arrêtés et fermes, puis des délicatesses de coloriages à la main. C’est au prix de ces efforts qui nécessitent on ne saurait dire combien d’essais, de recommencements, de découragements même que l’on est arrivé à donner aux illustrations d’une édition courante, comme à celles d’une édition aristocratique, l’aspect et la séduction des véritables aquarelles et non les grâces canailles, si l’on veut nous passer le mot, de chromos plus ou moins prétentieuses et chères. » (Arsène Alexandre)

« Le succès de l’ouvrage si bien français et si attachant des « Cahiers du Capitaine Coignet » s’explique de lui-même : c’est, à proprement parler, une œuvre d’histoire nationale, qui intéresse tout le monde et dont la sincérité ne peut être suspectée. Dans la magnifique édition de la librairie Hachette, il y a un attrait de plus : les illustrations de M. Le Blant dont notre format ne nous permet malheureusement de publier qu’une simple vignette. Depuis Raffet, nous ne croyons pas qu’aucun artiste ait aussi bien compris la physionomie vraie du soldat de l’Empire. Les dessins de M. Le Blant compteront au premier rang de ses œuvres; ils sont d’une vérité d’observation qui frappera les yeux les moins clairvoyants, et d’un esprit rare, surtout à notre époque, puisqu’ils sont en corrélation étroite avec l’esprit du sujet. Les Cahiers du capitaine Coignet ont leur place marquée dans ce coin de la bibliothèque où l’on met les œuvres qu’il est agréable de feuilleter de temps à autre, coin peu garni, en somme, malgré l’avalanche de livres luxueux sous laquelle la librairie française engloutit les bibliophiles depuis tantôt quinze ans. » (La Gazette des Beaux-Arts)

« La maison Hachette a réédité les Cahiers du capitaine Coignet avec des illustrations où M. Le Blant a rendu toute la saveur pittoresque de l’original. Les Cahiers de Coignet sont un des plus précieux documents psychologiques que nous possédions sur l’époque impériale. L’âme même de la Grande Armée y respire et ce récit des campagnes de Napoléon, fait par un des plus obscurs héros qui y ont pris part, mérite d’être placé à côté des Mémoires de Ph. de Ségur. Ce paysan qui n’a appris à écrire qu’à l’armée pour pouvoir devenir sous-officier et qui ignorait l’orthographe au point de ne pas savoir toujours séparer ses mots, ce paysan est un écrivain de talent, tant il est vrai que le style nait de la netteté des pensées et de la force des sentiments. M. Lorédan-Larchey, l’heureux possesseur de ces incomparables cahiers, les a allégés de quelques longueurs et de quelques passages un peu trop libres pour que, sous leur forme luxueuse et artistique, ils pussent être mis dans toutes les mains. Cette épopée familière, rendue encore plus vivante par les dessins de M. Le Blant, aura auprès du grand public le succès qu’elle a déjà eu, sous une forme plus modeste, auprès de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire. » (La Revue historique)

« C’est du patriotisme français encore que nous retrouvons dans les admirables Cahiers du capitaine Coignet, sous une forme un peu trop militaire, il est vrai, se confondant presque avec le culte d’un homme, mais pleins de cet héroïsme gaulois qui ne calcule point avant de se lancer dans un péril mortel. M. Lorédan Larchey, qui a rendu tant de services à notre littérature en explorant des coins ignorés ou négligés, n’eut jamais la main plus heureuse que lorsqu’il découvrit ce manuscrit, l’acheta et le publia. Il a fait graver le fac-similé d’une page de ces cahiers ou plutôt de ces caillets, comme écrivait le capitaine dont l’orthographe est pleine d’imprévu. A peine s’y trouve-t-il une rature. C’est que, comme les gens du peuple bien doués, Coignet trouve tout de suite une expression pour sa pensée et que, d’autre part, il n’hésite pas, comme nous autres gens de plume, entre deux ou trois expressions dont nous taisons peut-être tour à tour l’essai avant de choisir la meilleure. Il en a une et il n’en a qu’une; j’ajoute qu’elle est excellente : elle peint juste ce qu’il veut peindre; elle dit exactement ce qu’il a senti. N’oublions pas d’ailleurs que, pareils aux poèmes d’Homère, les Cahiers ont été débités de vive voix pendant bien des années avant d’être « couchés sur le papier ». Quel plaisir pour les voyageurs de commerce quand, au prix de quelques consommations, ils pouvaient faire causer ce vieux grognard en qui il y avait un narrateur de premier ordre! Dès la première fois que j’ouvris la première édition, je fus émerveillé de la bataille de Marengo: je ne sache rien de plus vivant chez aucun historien et, à mon avis, la première bataille de Waterloo, dans la Chartreuse de Parme, reste bien au-dessous. Vous souvenez-vous de l’attitude du premier consul au moment où les Autrichiens nous écrasent. S’ils restent victorieux jusqu’au soir, le premier consul ne rentrera pas plus à Paris que Napoléon III après Sedan : il retombera dans le néant. Si Coignet fort ignorant en politique, n’y songe guère, il n’observe pas moins: « Nous battions en retraite en bon ordre, mais les bataillons se dégarnissaient à vue d’œil, tout prêts à lâcher pied, si ce n’avait été la bonne contenance des chefs. Nous arrivâmes à midi sans être ébranlés. Regardant derrière nous, nous vîmes le consul assis sur la levée du fossé de la route d’Alexandrie, tenant son cheval par la bride, faisant voltiger de petites pierres avec sa cravache. Les boulets qui roulaient sur la route, il ne les voyait pas… » Quel tableau ! Cette splendide édition est supérieurement il lustrée par M. Julien Le Blant, dont on remarqua aux derniers Salons quelques toiles militaires, le Bataillon carré et surtout  l’Exécution de Charette. » (La République française 23 décembre 1887)

« La librairie Hachette réédite, en format un peu réduit, avec tes illustrations de M. Julien Le Blant mises en couleur, les Cahiers du capitaine Coignet.  Le livre publié par M. Lorédan Larchey est définitivement classé, non seulement parmi les mémoires militaires, mais parmi |as documents d’humanité. Jean-Roch Coignet ne nous renseigne pas seulement sur Marengo, Tilsitt, la Russie, la campagne de France, les Cent jours. Il nous révèle, ce qui est si rare en histoire, la vérité d’impressions d’un être venu de la foule, d’un résigné qui traverse les événements avec tranquillité et bonne humeur. Quel roman donnera une vérité comparable A celle du récit de l’enfance, conclura par des pages, étonnantes d’innocence, de non-inventé, telles que celles-là écrites par l’ancien soldat en retraite, ayant pris ses quartiers d’hiver dans la petite ville de l’Yonne.  Singulier livre, naïf et fin, qui mérite sa fortune et sera conservé par l’avenir parmi les livres des historiens et des écrivains. Ce Coignet, avec très peu de mots à sa disposition, ne devient-il pas un écrivain à tout instant par l’expression juste, le tour de phrase ?  La ressemblance est grande avec la littérature sincère d’Erckmann-Chatrian, mais ici nulle espèce d’arrangement, d’ornement : la phrase qui file tout droit, le mot le plus simple placé sans recherche et sans peine et donnant une sensation de résumé, le récit le plus bref et le plus évocateur. Au total, une forte leçon de style fréquemment donnée par un brave homme qui ne s’est jamais douté de ce que c’était que le style. Telle est la signification littéraire de ces cahiers d’un illettré doué d’observation et de sensibilité. » (Gustave Geffroy – La Justice 1 janvier 1896)

Vente des dessins originaux de Julien Le Blant pour les Cahiers du Capitaine Coignet.

Le lundi 23 mars 1896, a lieu chez Drouot la vente aux enchères très attendue de ses dessins qui ont servi à illustrer les Cahiers du capitaine Coignet.

« Samedi prochain, 21 mars, ouvre à l’Hôtel Drouot, l’exposition des aquarelles et dessins originaux de J. Le Blant, ayant servi à illustrer un livre qui a eu le plus grand succès : Les « Cahiers du capitaine Coignet ». La vente aux enchères des dix-sept grandes compositions rehaussées de couleur, gouaches et aquarelles de prix, toutes œuvres de haut mérite, et des quatre-vingt-quatre spirituels dessins à la plume de Le Blant aura lieu lundi 23 mars, à trois heures, sous la direction de M Tual, commissaire-priseur, 56, rue de la Victoire. » (Le Gaulois du 18 mars)

Le résultat final de cette vente exceptionnelle se montera à 22’820 francs, soit environ 75’000 euros actuels.

Le livre pour lequel ont été exécutés les dessins qui pour la dernière fois vont se trouver groupés et exposés en un important ensemble, avant la bataille des enchères, est un des plus somptueux que l’on ait publiés en ces dernières années.

L’artiste qui a mis dans ces dessins toute son imagination, son savoir et son esprit, s’est placé au premier rang des illustrateurs contemporains, et, parmi les ouvrages qu’il a illustrés avec grand succès, celui-ci constitue certainement son œuvre la plus réussie et la plus remarquée.

A ce double titre, l’exposition et la vente que ce catalogue annonce et explique, intéressent à la fois les bibliophiles et les amateurs d’art. Les premiers se disputeront sans doute ces dessins et tiendront à accrocher à leur mur un des originaux du luxueux livre qui est en place d’honneur dans leur cabinet. Quant aux amateurs qui seront séduits simplement par la vivacité de ces petites et grandes illustrations, et qui voudront en acquérir parce qu’elles forment par elles-mêmes une composition complète et attrayante, la vue de ces dessins leur donnera aussi le désir de se procurer l’ouvrage en bel état. Malheureusement je crains pour eux qu’ils n’arrivent trop tard, car il n’est pas un seul de ces exemplaires enviables qui n’ait trouvé un maître.

De toute façon, les dessins de Le Blant, formant pour la dernière fois le bataillon carré, se défendront vaillamment. Mais, fusillés par des arguments sonnants auxquels on ne saurait résister, au rebours de la vieille Garde qu’ils évoquent, ils se rendront – et ne mourront pas. Ils se rendront d’ailleurs tout en étant les véritables héros de la journée.

Comment ne nous viendrait-il pas à l’idée des images guerrières pour parler de ces Cahiers du Capitaine Coignet? A ma grande honte, je l’avoue, avant qu’on me fît l’honneur de me demander ces quelques mots de préface, je ne connaissais des Cahiers que les dessins de Le Blant. J’en avais fort goûté la verve et la vérité; j’avais aussi apprécié les soins tout à fait exceptionnels avec lesquels les éditeurs avaient secondé son talent, et revêtu d’une typographie magistrale les sublimes bavardages du vieux grognard. Mais quand je me suis mis à suivre, comme si j’avais été un simple habitué du « Café Milon », à Auxerre, les récits rustiques et guerriers de cet ancien, je me suis surpris – malgré mon peu de penchant pour les conquérants en général et pour les superbes massacres légitimés sous le nom de guerre – à tourner les pages avec un ardent intérêt, et, pour ainsi dire, à marquer le pas, à chanter avec Coignet et ses compagnons d’armes le goguenard et intrépide refrain :

Ran-tan plan, tire lire,

On va lui percer le flanc,

Ran-tan plan, tire lire, v’lan !

Surtout, je me suis expliqué à la fois le succès considérable de l’ouvrage et le plaisir entraîné avec lequel Le Blant avait fait surgir sur son papier les escarmouches et les canonnades, les folies héroïques et les retraités navrantes mais glorieuses.

M. Lorédan Larchey, qui eut la bonne fortune de découvrir les Cahiers de Coignet, a raconté dans les préfaces des diverses éditions la curieuse histoire de cette épopée en prose.

Mais je ne saurais plus longtemps vous parler du brave capitaine quand il reste beaucoup à dire des dessins de Le Blant, puis de la belle toilette que devaient revêtir ces fameux cahiers.

Parlons d’abord de l’illustrateur. Cet artiste allie la conscience au talent; il est vraiment doué sous le rapport de l’imagination comme de l’exécution. Depuis que je connais Julien Le Blant et que je l’ai suivi comme illustrateur et comme peintre, j’ai pu constater que ses ouvrages si spirituels et pour nous si amusants ne sont pas du tout faits « en s’amusant » . Il est peu d’illustrateurs qui cherchent avec plus de scrupule l’agencement d’une composition, le costume et l’allure d’un personnage. Il n’est pas rare qu’il fasse une ou plusieurs études peintes de paysage pour obtenir juste les quelques traits de plume qui forment le fond d’un de ces dessins paraissant si aisés et si naturels. Ceci n’est qu’un détail, mais il est typique : Le Blant s’est donné un mal énorme pour savoir exactement quel costume portait l’Empereur, ainsi que le représente un des dessins des Cahiers, lorsqu’il mettait à mal quelques lapins, pendant les rares loisirs où il se reposait de faire massacrer des armées.

Le public ne se doute pas des efforts que l’on accumule pour lui plaire. Parfois pourtant il les reconnaît instinctivement; aussi a-t-il fait à ce peintre des chouans et des grognards une place brillante et enviée. Du moins le succès va, en cette occasion, à un homme aussi modeste et aussi distingué que l’artiste est ingénieux et captivant.

Faut-il rappeler ses succès au Salon, et citer au moins deux de ses plus saisissantes toiles: La mort de d’Elbée, si dramatique, si poignante, et La rentrée de l’armée d’Italie, si finement humoristique, avec l’impertinent ébahissement des incroyables devant les grognards bronzés, imperturbables, l’arme au pied.

Cette vive et heureuse composition se trouve avoir fait le thème d’un des dessins du Capitaine Coignet, pour la description détaillée desquels je vous renvoie au catalogue. Chacun est à même de faire son choix et de décider, sans crainte d’erreur, les pièces qui conviennent le mieux à son goût et à son tour d’esprit. Tel aimera les pages rustiques évoquant les aunées d’enfance si rudes d’abord et puis si heureuses du bon et malin Jean Roch. Tel autre préférera les canonnades et les fusillades, les assauts furieux, les élancées à la baïonnette, les montagnes franchies, les marais traversés en pestant et en riant aux éclats, de ce rire enfantin et viril des braves. D’autres enfin se laisseront plutôt conquérir par les fines et élégantes évocations de la vie des cours : les bals avec tant d’épaules nues et de fracs constellés, la promenade du roi de Rome sur les bras du grenadier radieux et gauche; ou encore les derniers dessins ramenant le lecteur vers une petite vie de province désœuvrée et recroquevillée.

Les grandes compositions rehaussées de couleur, gouaches et aquarelles de prix, car ce sont à la fois des œuvres d’art et des chapitres d’histoire, seraient à citer toutes, car toutes se valent par l’agrément de la couleur et l’intérêt du détail. Toutefois j’avouerai une préférence pour le gamin labourant dans les champs de son frère, le paysage du Saint-Bernard avec ses soldats improvisés, terrassiers si affairés, le sapeur à la barbe effrayante présenté au maréchal Berthier, les « Vingt-cinq mille bonnets à poil » dans les rangs desquels passe certes un souffle de Raffet, le comique repas offert à la Garde russe, le sergent Coignet étudiant sa théorie, la promenade du roi de Rome déjà nommée, la lugubre retraite de Russie, et enfin la duchesse d’Angoulême promenée triomphalement dans Auxerre.

Parmi les dessins à la plume, non moins significatifs et non moins raffinés, ceux qui ont trait à la bataille de Marengo, à la campagne de Russie, aux campagnes de 1813-1814, par exemple Napoléon acclamé par sa Garde et l’engagement avec des Cosaques près d’un moulin à vent, me semblent les plus épiques et les plus électrisés.

Je disais tout à l’heure que les bibliophiles ne seraient pas moins empressés que les amateurs d’art à cette vente. Il faut expliquer brièvement au public les soins exceptionnels dont furent l’objet, de la part des éditeurs, les Cahiers du Capitaine Coignet. Je passe sur les éditions non illustrées du début pour arriver à cette belle édition illustrée de 1888, dont les exemplaires sur Japon et sur Chine firent bientôt prime et ne se trouvent plus. Les photogravures de Guillaume pour les dessins dans le texte et les héliogravures de Dujardin pour les compositions hors texte étaient remarquables de netteté et de franchise, mais l’édition de cette année-ci devait encore dépasser la précédente et, de plus, innover dans l’ordre de l’illustration en couleurs.

En effet les belles héliogravures de l’édition de 1888 étaient d’un seul ton, et faisaient excellente figure dans le livre. Mais comment pouvait-on réaliser plus flatteur encore tout en demeurant aussi harmonieux. Les éditeurs résolurent le problème, mais à force de duels soins, et avec quelle patiente et dévouée collaboration de l’illustrateur! Les planches hors texte devaient être en couleurs, mais dès le principe, on avait décidé, avec beaucoup de sens et de goût, de proscrire cette mise en couleurs si surchargée, si criarde, qui arrive à faire de certaines publications, chères pourtant, l’équivalent artistique des boîtes d’allumettes-bougies. Or c’était justement la difficulté d’obtenir des procédés, et des ouvriers, cette couleur variée et brillante tout en restant d’une sobriété et d’une distinction parfaites.

Pour les exemplaires de grand luxe, dont cinquante seulement furent mis en vente, on fit des planches hors texte en taille-douce et on les tira en couleurs « à la poupée » C’est-à-dire que l’imprimeur, à l’aide d’une petite estompe en chiffons, colorie jusqu’au moindre détail de la planche en cuivre, et que chaque épreuve tirée devient, pour ainsi dire, une véritable peinture originale exécutée sous la direction attentive du peintre, qui en arrêta le modèle avec mille précautions raisonnées.

Pour les exemplaires de vente plus courante, que l’on pourrait presque appeler de luxe, mis à la portée de toutes les bourses, les tirages furent différents, mais non moins complexes, il s’en faut. Il y eut des tirages de « fonds » très subtils, sur lesquels vinrent s’appliquer les dessins arrêtés et fermes, puis des délicatesses de coloriages à la main. C’est au prix de ces efforts qui nécessitent on ne saurait dire combien d’essais, de recommencements, de découragements même que l’on est arrivé à donner aux illustrations d’une édition courante, comme à celles d’une édition aristocratique, l’aspect et la séduction des véritables aquarelles et non les grâces canailles, si l’on veut nous passer le mot, de chromos plus ou moins prétentieuses et chères.

Voilà donc, à très grandes lignes, esquissées les étapes d’un livre qui a fait beaucoup de bruit dans la librairie française. On comprend dès lors que l’attention du public soit très éveillée sur les dessins originaux qui vont s’éparpiller.

Dans ces dessins, chacun va faire son choix personnel; mais l’important pour nous, dans cette brève étude d’un livre et de son illustrateur, était de signaler les raisons d’un grand succès et d’expliquer la valeur des moyens et des souvenirs de ce succès, qui vont affronter une dernière bataille dont l’issue n’est pas douteuse.

Arsène Alexandre.

BARBEY D’AUREVILLY FÂCHÉ CONTRE LE BLANT

En 1886, Le Blant illustre d’un portrait-frontispice et de six eaux-fortes hors texte Le Chevalier des Touches de Jules Barbey d’Aurevilly pour la Librairie des bibliophiles. Collection Bibliothèque Artistique, imprimé par Jouaust et Sigaux.

Portrait de Barbey d’Aurevilly par Julien Le Blant

Pour son portrait, l’auteur se montre déjà très exigeant et il en fait part à son éditeur:

« Le portrait est bien comme esquisse, mais il faut le pousser vigoureusement au noir. Je n’aime que les portraits très foncés de ton. »

Lettre de Barbey d’Aurevilly à l’éditeur Jouaust

Critiques de l’époque

« C’est la première fois qu’il se trouve aussi richement habillé, et le costume est vraiment digne du personnage. Au mérite d’une exécution typographique des plus soignées vient se joindre le charme de ravissantes eaux-fortes gravées par Champollion d’après des compositions de Julien Le Blant, dont la suite des dessins pour Servitude et Grandeur militaires avait eu l’année dernière un si grand succès. C’était bien d’ailleurs à ce peintre attitré des scènes vendéennes qu’il fallait s’adresser pour interpréter l’épisode de la chouannerie si pittoresquement décrit par Barbey d’Aurevilly. Cet ouvrage, qui encore l’avantage de pouvoir être mis dans toutes les mains, sera certainement, cette année, le livre d’étrennes favori dans le monde des bibliophiles. » (Le Livre. Revue du monde littéraire 1886.)

« Le Chevalier des Touches, de Barbey d’Aurevilly, est peut-être, avec l’Ensorcelée, le meilleur roman de cet écrivain puissant et bizarre dont le talent frise parfois presque le génie, le seul aujourd’hui qui puisse créer et animer des figures capables de parler, d’aimer, de souffrir, de vivre, de mourir dans l’air héroïque.  Julien Le Blant, le peintre par excellence des scènes de l’histoire de la Vendée et de la chouannerie, l’auteur de la Déroute du Manset de la Mort de Charette a été justement et habilement choisi pour orner ce récit original de dessins qui font tableau, et ont, comme le texte, cette vie intense du roman taillé dans l’histoire avec des intuitions et des inventions à la Walter Scott. (Le Correspondant – Paris 1886.)

« Bref, comme Baudelaire poète, Barbey d’Aurevilly est de la classe des auteurs inillustrables. … Et maintenant, si nous exceptons Julien Le Blant, évocateur précis du Chevalier des Touches, et André Mare, paysagiste à l’âme profonde, qui a si bien exprimé le tragique d’une époque et le véritable visage du terroir et des ciels normands, nous ne rencontrons, à notre grand regret, que des talents bien peu caractéristiques qui ont manqué d’envergure pour peindre dignement la fresque aurévillienne. » (Pierre Mornand, les Cahiers aurevilliens N°5 – 3e année 1937)

« Nous signalerons d’abord, dans la Bibliothèque artistique et moderne, une édition du « Chevalier des Touches », l’œuvre la plus fine et la plus délicate de Barbey d’Aurevilly. C’est la première fois qu’il se trouve aussi richement habillé, et le costume est vraiment digne du personnage. Au mérite d’une exécution typographique des plus soignées vient se joindre le charme de ravissantes eaux-fortes gravées par Champollion d’après des compositions de Julien Le Blant, dont la suite des dessins pour « Servitude et Grandeur militaires » avait eu l’année dernière un si grand succès. C’était bien d’ailleurs à ce peintre attitré des scènes vendéennes qu’il fallait s’adresser pour interpréter l’épisode de la chouannerie si pittoresquement décrit par Barbey d’Aurevilly. Cet ouvrage, qui a encore l’avantage de pouvoir être mis dans toutes les mains, sera certainement, cette année, le livre d’étrennes favori dans le monde des bibliophiles. Le prix de ce volume hors ligne est de 27 fr. 50. » (Le Livre)

L’Illustrateur tout indiqué était M. Julien Le Blant qui est arrivé, comme on le sait, à une réputation de spécialiste, en dessinant et en peignant des chouans. Ii s’est donc appliqué à rendre visibles l’incident de la foire de Bricquebec, la capture de des Touches, le mariage d’Aimée, l’évasion de la prison de Contances, le meurtre du Moulin-Bleu, le départ en barque. Il est presque inutile de dire que les détails des costumes et les détails de mise en scène sont exacts.  Mais il faut louer le joli arrangement du mariage devant les épées croisées, et la très juste expression de rage froide que le dessinateur a su marquer sur la physionomie du chevalier des Touches, dit la Guêpe. » (Gustave Geffroy – La Justice 29 novembre 1886)

« Cet ouvrage si attachant a encore le mérite de pouvoir être mis dans toutes les mains.  La nouvelle édition est, d’ailleurs, attrayante à tous égards. Au mérite d’une exécution typographique des plus soignées vient se joindre le charme de très belles eaux-fortes, gravées par Champollion d’après des composition de Julien Le Blant, dont la suite de dessins pour Servitude et Grandeur militaires a eu l’année dernière un si grand succès. C’était bien d’ailleurs, au peintre attitré des scènes de la Vendée qu’il fallait demander l’interprétation de cet émouvant épisode do la chouannerie. » (Le Constitutionnel 12 janvier 1887)

L’auteur est furieux

Alors que la critique et les inconditionnels de d’Aurevilly sont unanimes à saluer le travail de Julien Le Blant, illustrateur reconnu pour ses connaissances du monde des chouans, l’auteur du Chevalier des Touches, est fou de rage en découvrant l’ouvrage. Il est intéressant de constater que les deux créateurs, compétents dans leur domaine respectif, ne se font pas la même représentation mentale de ces événements vécus un siècle auparavant :

« Le 3 janvier 1887

A Madame de Bouglon

Ma très chère âme,

Vous avez dû recevoir le jour même de l’An (je l’avais calculé) un exemplaire du roman que vous préférez (le Des Touches l’édition de Jouaust). C’était là mes pauvres étrennes. Comme je l’ai écrit sur la première page, l’édition est belle, mais les illustrations sont misérables. J’avais cru pourtant que celui qui est venu humblement me demander de les faire les ferait bien, mais il n’en a rien été. C’est Le Blant, peintre de talent qui se recommandait à moi justement par deux tableaux chouans, la Mort de Charette et un vieux chouan racontant la guerre qu’il a faite à son petit-fils, en lui montrant le champ de bataille, qui est une lande, dans laquelle il a fait le coup de fusil contre les Bleus. Ce Le Blant, que j’avais rencontré dans le monde et qui de manières, est très bien, m’avait paru avoir assez d’enthousiasme intelligent pour le Des Touches et il m’avait séduit, mais baste! Tous ces gaillards d’artistes qui ont une vanité de tous les diables, ne croient qu’en eux et vous interprètent sans venir vous demander, à vous qu’ils illustrent, le moindre conseil. Aussi entassent-ils sottise sur sottise. Ce Le Blant m’a fait des chouans d’opéra-comique. Il les a bottés en bottes à revers, poudrés et en habit à la française, eux, les chouans, à peau de biques, à grand chapeau, à couverture à cuves et à mouchoirs noués derrière les oreilles, ces guerillas, ces catérans qui se battaient et couchaient la nuit, à la belle étoile, comme des chats-huants ! II est impossible d’être plus faux et plus bêtement faux… Quant aux situations, il a toujours été à côté quand il ne les a pas ridiculement manquées. Somme toute, son interprétation fait pitié. C’était si simple de venir me demander ce qu’il ne savait pas, mais l’orgueil lui a mis son carcan comme à une oie et il n’a pas passé la haie et il est resté pataugeant dans le fossé ! C’est à faire devenir fou un homme aussi violent que moi !… Il m’a presque dégoûté de mon livre ou du moins, il y a ajouté pour moi une horrible sensation. Si vous faites relier le volume, arrachez-en, je vous le conseille, toutes ces saloperies de rapin et jetez-les au feu ! C’est tout ce que cela mérite, le feu ! …Jules Barbey d’Aurevilly »

On peut difficilement reprocher à Julien Le Blant son manque de documentation sur ce sujet qui le passionne depuis des années. En 1891, dans un article de la Revue de Bretagne et de Vendée, il répond à une question concernant les costumes des soldats vendéens :

« En règle générale, on peut affirmer que les chefs de la grande armée n’eurent aucun uniforme ; c’est l’avis d’un artiste de talent très consciencieux et très connu, M. Maurice (!) Le Blant, le dessinateur des Chouans et le peintre de deux toiles célèbres : la « Mort de d’Elbée » et l’« Exécution de Charette ». M. Le Blant motive son opinion dans une lettre qu’il m’écrivait, il y a quelque temps, et qu’il ne m’en voudra pas de reproduire en partie : Si l’on me demandait mon avis sur le costume de guerre des généraux vendéens, je dirais, en m’appuyant sur Mme de la Rochejaquelein, qu’ils devaient être très mal accoutrés: Ce qu’ils pouvaient porter ? Leurs costumes de chasse ; et, ceux qui avaient servi, leurs costumes d’officiers de marine ou de l’armée de terre sous Louis XV et Louis XVI. Charette a certainement porté son costume d’officier de marine avant d’adopter les costumes fantaisistes sous lesquels on le représente. Quand j’ai préparé l’ « Exécution de Charette », j’ai trouvé à la Contrie, chez le général, un mauvais dessin, légèrement enluminé, représentant Charette le jour de son exécution. Une note à la plume est écrite sous le dessin, et celui qui l’a rédigée dit avoir vu le général du Bas-Poitou au moment suprême. Charette, détail imprévu, portait une veste de chasse. C’est le costume que j’ai reproduit dans mon tableau. »