TOUDOUZE – ENFANT PERDU 1814

En 1895 les éditions Hachette publient Enfant Perdu (1814) de Gustave Toudouze avec cinquante dessins de Julien Le Blant gravés par Auguste Léveillé.

Gustave Toudouze est né le 19 mai 1847 à Paris. Il est le fils aîné de l’architecte et graveur Gabriel Toudouze, auteur d’une série d’eaux-fortes et d’une belle œuvre dessinée, conservée à la Bibliothèque nationale. Sa mère, Anaïs Colin, est artiste peintre. Après des études au collège Sainte-Barbe de 1855 à 1869, il devint un familier des dimanches de Gustave Flaubert, qui encouragea ses débuts, puis du « grenier » d’Edmond de Goncourt. Il fut lié avec Émile Zola, Alphonse Daudet, Alexandre Dumas fils et surtout Guy de Maupassant qui lui dédiera la nouvelle En voyage en 1883.

Pendant la Belle Époque, l’été, Gustave Toudouze fréquente la colonie artistique de Camaret-sur-Mer en Bretagne. Il meurt à Paris le 2 juillet 1904.

Le graveur Auguste-Hilaire Léveillé est né à Joué-du-Bois le 31 décembre 1840. Il est expert dans tous les procédés de gravure, avec une préférence pour le travail sur bois. Il exécute à partir des années 1860 de nombreuses xylogravures, signées «A. Léveillé», pour des périodiques comme Le Magasin pittoresque, L’Univers illustré, L’Art (à partir de 1875), la Revue illustrée, Le Monde illustré, ou la Gazette des beaux-arts. Il grave également de nombreuses vignettes pour des livres illustrés, dont des vues anatomiques pour des traités de médecine. Son travail de peintre est montré au Salon de 1873. Avant 1892, il produit pour la Banque de France le recto d’une coupure de réserve, imprimée en prévision d’une trop forte augmentation de la contrefaçon. Il devient à partir des années 1880 l’un des graveurs des œuvres sculptées d’Auguste Rodin. Il grave, d’après des dessins de Julien Le Blant, 110 illustrations pour Les Chouans d’Honoré de Balzac, 161 pour Le Chevalier de Maison Rouge d’Alexandre Dumas, 50 pour Enfant perdu 1814 de Gustave Toudouze et encore quelques-unes pour La vengeance des Peaux-de-Bique du même Gustave Toudouze. Il meurt le 12 avril 1900 au boulevard du Montparnasse à Paris.

Résumé

Le roman a pour cadre la fin de la campagne de France, au début de l’année 1814, pendant laquelle Napoléon Ier tente d’arrêter l’invasion de la France par les alliés européens et de conserver son trône. Malgré plusieurs victoires et après l’entrée des troupes prussiennes et russes dans Paris, l’empereur va abdiquer le 6 avril 1814 et partir en exil à l’île d’Elbe. Un des derniers chapitres du livre raconte la bataille de Fère-Champenoise, le 25 mars 1814, qui s’est soldée par la défaite de l’armée française et a ouvert, aux troupes de la coalition, la route de Paris. Toudouze fait vivre à ses héros le fameux épisode où les généraux Pacthod et Delort, qui commandaient les deux derniers carrés français, avaient pourtant réussi, grâce à leur bravoure, à repousser l’assaut ennemi. Julien Le Blant avait traité ce même sujet en 1886 avec son tableau Le combat de Fère-Champenoise.

Le terme d’Enfants Perdus, utilisé dans le titre, fait référence à un surnom que l’on donnait à des groupes de partisans ou de corps francs. On peut donc imaginer l’intérêt qu’a eu Julien Le Blant à illustrer ce roman de Toudouze. Comme le héros de l’histoire qui quitte son lycée à 17 ans pour s’engager dans un corps franc, Julien Le Blant avait aussi été un « Enfant Perdu » en 1870 lorsqu’il avait abandonné ses études d’architecture pour défendre Paris dans le corps franc de Paul de Jouvencel.

Le jeune héros du roman, Marius Mahot, rêve de défendre sa patrie mais, en fervent républicain, il ne souhaite pas se mettre directement au service de l’empereur. Il en veut d’ailleurs terriblement à ce dernier d’avoir injustement condamné son père. Avec l’aide de son majordome Louis Popin, il va monter une petite compagnie de dix hommes qui, par sa bravoure, va rendre de précieux services à la Grande Armée.

Critiques de l’époque

« Le livre que M. Gustave Toudouze vient d’écrire sous le titre Enfant perdu prendra place au premier rang des ouvrages à mettre entre les mains des jeunes gens. C’est une histoire patriotique que le cœur a inspirée, mais la raison a guide la plume de l’écrivain, et il se dégage de son chaleureux et vibrant récit une liante moralité. L’action se passe en 1814 l’année de la terrible invasion. Le héros du livre est un jeune collégien, Marius Mahot, fils d’un républicain au cœur chaud, à l’âme enthousiaste, et qui a été exilé par Fouché obéissant aux ordres de l’empereur. A seize ans, Marius Mahot, apprenant que l’ennemi foule le sol de la patrie, s’engage dans le bataillon des Enfants perdus. C’est au récit de ses exploits que le livre est consacré. Marius a le cœur vaillant et le bras fort; sa conduite est constamment digne d’éloges. C’est toujours l’amour de son pays qui le guide ; il puise dans ce sentiment une force toujours renaissante. M. Gustave Toudouze a su répandre avec la plus grande habileté l’intérêt dans tout le cours de son livre. On devine là le romancier habitué à dresser une intrigue. Il y a dans Enfant perdu des pages très dramatiques ; il y en a de vraiment charmantes. Les types de troupiers qui composent le bataillon des Enfants perdus sont crayonnés avec couleur et vivacité. A diverses reprises, la silhouette de Napoléon apparaît, saisissante et pleine de grandeur. Mais j’ajoute tout de suite que Gustave Toudouze ne donne pas dans l’aveugle légende napoléonienne ; il y a, je l’ai dit, une grande raison dans son livre. Il y a de curieux portraits : celui du père de Marius qu’on voit apparaître, à la fin du livre, sur un champ de bataille où il retrouve son fils blessé ; celui d’un professeur de rhétorique, nourri de Tacite, de la bonne moëlle romaine, et qui dit à ses élèves des choses fort éloquentes sur l’ambition coupable de Napoléon. En composant un récit destiné à la jeunesse, Gustave Toudouze a voulu rester bon écrivain ; son livre est écrit dans une langue très élégante. La trame du récit se déroule avec art ; les péripéties se succèdent avec vraisemblance. Il y a parfois de la gaité, bien que la plupart des tableaux nous montrent la France se débattant au milieu de l’invasion. Mais un invincible espoir anime l’âme des personnages et communique au livre comme une sorte d’allégresse. Le patriotisme a vraiment porté bonheur à M. Gustave Toudouze. Le texte d’Enfant est accompagné de dessins dus à M. Julien Le Blant, habile à reproduire avec fidélité les scènes militaires. Il a mis dans cette nouvelle illustration le souci de l’exactitude et une grande variété. » (La Petite Gironde 11 mars 1895)

« C’est une œuvre émouvante et patriotique que Gustave Toudouze a écrite spécialement pour la jeunesse.  Il nous montre, à côté de l’héroïsme d’un rhétoricien courant au secours de ta patrie en danger, le patriotisme d’une mère, d’une sœur, d’une fiancée, d’un proscrit ; il nous retrace leurs émotions au milieu des dramatiques péripéties de l’invasion de 1814, sans que ses héros perdent leur gaîté toute française, môme dans les situations les plus désespérées. Au charme d’un passionnant roman d’aventures s’ajoute l’impression saisissante de la réalité. Les dessins de J. Le Blant, le maître artiste qui comprend d’une façon si juste les époques pittoresques, donne une valeur toute spéciale à ce livre si intéressant. Le passage de Napoléon au milieu des éclairs, entraînant tant d’hommes à la mort, entre la tempête du ciel et la tempête de la bataille, est, une composition absolument remarquable. (Judith Gauthier – Le Rappel 12 décembre 1894)

« Un rhétoricien (et nous sommes en 1814) vole au secours de la patrie en péril ; une mère, une sœur, une fiancée partagent ses émotions et parfois ses périls. C’est l’invasion, la campagne de France et Napoléon. Le récit n’est point mélancolique ; un ton de bravoure plutôt l’anime, tandis que par une interprétation superbe l’artiste élevé le roman jusqu’à l’œuvre d’art. » (La Souveraineté nationale 30 décembre 1894)

« Pour son « Enfant perdu (1814) », M. Gustave Toudouze a eu, pour collaborateur par le crayon, le maître-peintre Julien Le Blant. Cette histoire d’un fils de proscrit, un tout jeune homme, qui forme, avec l’aide d’un vieux grognard, une vaillante petite troupe de défenseurs, presque enfants, du sol natal envahi, abonde en péripéties captivantes. » (La Vie contemporaine)

Le 6 décembre, une vente des cinquante dessins d’illustration pour Enfant perdu 1814 de Gustave Toudouze ainsi que des trois du Talisman de Walter Scott rapportent à Julien Le Blant 14’555 francs, une belle somme sachant qu’à la même période, Claude Monet fait frémir tout Paris en demandant le même prix, 15’000 francs, pour chacune de ses Cathédrales.

HENNIQUE – LA MORT DU DUC D’ENGHIEN

Cette pièce en trois tableaux a été écrite par Léon Hennique et illustrée par Julien Le Blant. Elle a été tirée à 300 exemplaires numérotés. Julien Le Blant a réalisé 9 eaux-fortes hors-texte, gravées par Louis Müller, et 35 croquis dans le texte. L’ouvrage (in-8) est édité par Émile Testard Éditeur pour la Librairie de l’Édition Nationale dans la Collection Des Dix en 1895.

Résumé

Elle raconte l’histoire tragique de Louis-Antoine de Bourbon-Condé, duc d’Enghien. Ce personnage historique fut arrêté et exécuté car soupçonné de fomenter un complot contre Napoléon. En 1804, la police de Napoléon Bonaparte, Premier consul de la République, découvre une conspiration ourdie en Angleterre pour remettre les Bourbons sur le trône de France. Napoléon décide de faire enlever le duc d’Enghien, accusé à tort d’être le chef de la conspiration. Le duc est presque immédiatement traduit devant un conseil de guerre. Après un simulacre de jugement, il est condamné à mort et fusillé dans les fossés du château de Vincennes le 21 mars 1804. Son corps est jeté dans une tombe creusée à l’avance au pied du pavillon de la Reine. Dans ses Mémoires d’outre-tombe (1848), Chateaubriand écrit des pages sur l’exécution du duc d’Enghien, qui l’a profondément marqué. À l’image des généraux vendéens, son souvenir reste aujourd’hui vivace dans les milieux royalistes.

Léon Hennique est né en 1850 en Guadeloupe. Il fut l’exécuteur testamentaire des Frères Goncourt et c’est lui qui fondera l’Académie Goncourt qui s’appellera l’Académie des Dix, plus connu aujourd’hui sous le nom de Prix Goncourt. Léon Hennique est membre du groupe de Médan avec Guy de Maupassant, Joris-Karl Huysmans et dont Émile Zola est le chef de file. Ce petit groupe d’écrivains cherche à poursuivre, à travers leurs œuvres, l’élan naturaliste insufflé par Zola. Ils souhaitent transcrire les réalités de la société dans laquelle ils vivent et n’hésitent pas dénoncer les dérives, les inégalités. C’est ainsi que Léon Hennique s’attachera à rendre le personnage du Duc d’Enghien attachant, en mettant en valeur sa droiture et la noblesse de ses idées.

Critiques de l’époque

« Maison de l’Edition nationale – Les collections de M. Emile Testard vont encore s’enrichir d’une série appelée, croyons-nous, à un succès mérité ; la création de l’Edition nationale des œuvres de Victor Hugo n’en est pas, on le sait, à son coup d’essai. C’est la collection des Dix, dont le premier volume vient de paraître ; elle se composera do dix œuvres littéraires de genre divers : poésie, roman, théâtre, histoire, mémoires, etc. Les illustrateurs, au nombre de dix également — un par ouvrage — seront choisis parmi les artistes dont le talent, absolument original, accuse une réelle personnalité, parmi ceux qui sont destinés, croyons-nous, à occuper une place caractéristique dans l’histoire de l’illustration et du livre modernes. On ne peut nier que MM. Julien Le Blant, Georges Janniot, Félicien Rops, Luc Olivier-Merson et Maurice Leloir, pour ne citer que les premiers, ne soient de artistes de premier ordre, en pleine maturité de leur talent, inimitables dans le genre que chacun d’eux s’est choisi. Le but de l’éditeur est d’exprimer, s’il est possible, dans la réunion de dix volumes du format in-8 raisin, si élégant et si propre à l’arrangement d’une artistique mise en pages, la note d’art que peut produire aujourd’hui le talent de nos meilleurs illustrateurs et graveurs, uni aux progrès de l’industrie du livre. Cette collection est limitée au nombre strict de trois cents exemplaires numérotés ; la passe d’usage étant supprimée, les amateurs ne seront jamais exposés à trouver au rabais des exemplaires non numérotés. Le premier ouvrage qui vient de paraître est le beau drame de Léon Hennique : La Mort du duc d’Enghien. C’est une page historique d’un intérêt poignant, évoquée par, un écrivain de race, d’une plume noble et ardente. Cette œuvre, concise, vibrante, sincère, était bien faite pour tenter le crayon du maître peintre Julien Le Blant, qui en a tiré son chef-d’œuvre d’illustration. Par, les eaux-fortes qu’on y rencontre, on reconnaîtra que Louis Muller est, lui aussi, passé maître en son art. » (Paris 29 décembre 1894)

« C’est cette œuvre de grande valeur que l’infatigable éditeur Émile Testard a choisie pour inaugurer une nouvelle collection qui comprendra dix volumes et s’appellera en conséquence : « Collection des Dix. » M. J. Le Blant, le grand artiste pour lequel les époques de la Révolution et de l’Empire n’ont plus de secrets, a été chargé de l’illustration. Il s’en est acquitté avec sa maîtrise habituelle. Les neuf compositions hors texte qu’il a dessinées sont très belles ; elles ont été, ainsi que les vignettes placées en en tête de chacun des tableaux, joliment gravées à l’eau-forte par Louis Müller. En outre, Le Blant a jeté dans le texte ou dans les marges une quarantaine de croquis qui n’ont peut-être pas moins de mérites, mais dont la reproduction, due à des procédés plus sommaires, souffre un peu du rapprochement avec les eaux-fortes. Le volume a été irréprochablement imprimé par Chamerot; les papiers sont de choix; le tirage a été limité à trois cents exemplaires. » (Eylac, La Bibliophilie en 1893, Rouquette, Paris).

« M. Léon Hennique vient de faire paraître son drame de la Mort du duc d’Enghien en un volume de toute beauté, qu’accompagnent de fort belles compositions de M. Julien Le Blant, gravées à l’eau-forte par M. Louis Muller. Dans ces dessins revivent les scènes qui avaient si vivement impressionné les spectateurs du Théâtre-Libre. Ce volume, d’une beauté magistrale, est le premier d’une collection que M. Testard, l’éditeur, appelle la collection des Dix. Je ne sais pas le texte des neuf ouvrages qui viendront s’ajouter à celui-là. Le premier, au moins, a été heureusement choisi. Je ne crois pas, pour ma part, que la Mort du duc d’Enghien soit de bon théâtre ; mais c’est une étude très curieusement fouillée, où se marque un talent incontestable, et qui, dans l’histoire de notre art dramatiques, restera comme date. » (Francisque Sarcey, Le Temps)

Au cinéma

La Mort du duc d’Enghien est aussi un film français réalisé par Albert Capellani, sorti en 1909. Ce film muet en noir et blanc est l’adaptation cinématographique de la pièce de Léon Hennique. Il est interprété par Daniel Mendaille, Charles Lorrain, Germaine Dermoz, Paul Capellani, René Leprince, Henri Étiévant, Georges Grand, Henry Houry.

Ce film permet surtout à Capellani d’atteindre un des sommets de son œuvre avec le dernier plan du film, longue séquence de plus de deux minutes qui commence sur l’exécution d’Enghien, sans gesticulation, les yeux ouverts (il refuse le bandeau), après s’être mis à genoux pour prier. Il tombe sous le feu des gardes, et alors que l’on croit la séquence achevée, Capellani la pousse à son paroxysme : il continue de filmer les deux gardes mettant Enghien en terre, tête la première, commençant ensuite à le recouvrir de terre jusqu’à ce que le chien du duc rentre de nouveau dans le champ et se jette dans la fosse du Château de Vincennes, rejoignant son maître pour l’éternité.

La fulgurance de cette scène est la démonstration du savoir-faire total de Capellani en 1909. La Mort du Duc d’Enghien en 1804 est un des films les plus importants de la période. (Philippe Azoury)