En 1885 Les éditions Jouaust et la Librairie des bibliophiles publient Servitude et grandeur militaires d’Alfred de Vigny dans la collection « Bibliothèque artistique moderne », illustré d’un portrait-frontispice de l’auteur ainsi que de 6 illustrations hors-texte d’après des dessins de Julien Le Blant, gravées à l’eau-forte par Eugène-André Champollion.
Le comte Alfred Victor de Vigny, est est né le 27 mars 1797 à Loches. Il s’est consacré rapidement à la littérature après une carrière militaire dans laquelle il n’a jamais combattu. Il écrit des poèmes, rassemblés dans son recueil Poèmes antiques et modernes (de 1822 à 1826 puis complété en 1837). C’est un romantique, qui donne sa vision désenchantée de la société dans un roman historique : Cinq Mars (1826). Ce roman représente les humiliations infligées à la noblesse par la monarchie absolue. Il met en scène le thème de l’exclusion et de la solitude dans ses poèmes, ou bien le drame dans des nouvelles comme Servitude et Grandeur militaires (1835). Ses œuvres abordent tous les symboles religieux et de figures mythiques, et exposent une pensée humaniste qui voit le salut de l’homme dans la réflexion. Il meurt à l’âge de 66 ans, le 17 septembre 1863 à Paris.
Le graveur Champollion, est né le 30 mars 1848 à Embrun dans les Hautes-Alpes. Formé par Gaucherel et Edmond Hédouin, il collabore à la revue Paris à l’eau-forte entre 1873 et 1876, puis à la Gazette des beaux-arts. Il expose à plusieurs reprises au Salon des artistes français et aux Expositions universelles de 1889 et 1900. Il pratique surtout la gravure d’interprétation et grave entre autres l’œuvre de Georges Rochegrosse. Il illustre des ouvrages de bibliophilie pour les éditeurs Dentu, Ferroud ou Jouaust. La Chalcographie du Louvre lui a commandé des planches issues de son fonds. Il va graver aussi les illustrations du Chevalier des Touches, d’après des dessins de Le Blant, en 1886. Il meurt le 14 juillet 1901 à Lettret.
Servitude et grandeur militaires est un recueil de nouvelles publié en 1835, qui en comprend trois : Laurette ou le Cachet rouge, La Veillée de Vincennes, La Vie et la mort du Capitaine Renaud ou la Canne de jonc.
Résumé
C’est à la fois un roman et une réflexion autobiographique sur le métier militaire, que Vigny a exercé jusqu’à trente ans. La fiction s’incarne dans trois nouvelles, où les aventures, la tension, le pathétique mènent à la philosophie : « Une fable qu’il faut inventer assez passionnée, assez émouvante pour servir de démonstration à l’idée », écrit Vigny, qui apparaît, dans ces trois histoires de passion et d’émotion, tour à tour comme un aristocrate, un soldat, un poète, un styliste, un penseur. Vigny décrit la condition militaire avec une humanité profonde et une pitié fraternelle. Il s’élève avec fermeté contre la doctrine formulée par Joseph de Maistre, qui exaltait le guerrier comme l’instrument aveugle et prestigieux d’une mission divine. Il regarde la guerre comme un fléau et définit la grandeur par l’abnégation, c’est-à-dire par l’acceptation vaillante de la servitude. Dans les armées modernes, en effet, le troupier et même l’officier ne sont que des esclaves : ils doivent l’obéissance passive à une autorité factice qui les prend à ses gages. Mais ce renoncement à soi, souvent obtenu au prix des plus cruels sacrifices, permet à l’homme de sauvegarder sa dignité personnelle. Ainsi se définit une religion de l’honneur. Au sein d’un monde où semble régner la fatalité, cette mystique nouvelle rend à la vie un sens et atteste l’existence d’une liberté.
Critiques de l’époque
« Les dessins qui ornent cette édition sont dus à M. Julien Le Blant, qui s’imposait à notre attention par son double talent de peintre de genre et de peintre militaire. L’habileté avec laquelle il est entré dans l’esprit de l’œuvre qu’il avait à interpréter est venue montrer que nous n’avions pas fait fausse route en nous adressant à lui. Quant à M. Champollion, il a mis à graver les remarquables compositions de M. Le Blant l’intelligence et le soin dont il fournit chaque jour de nouvelles preuves. » (Extrait de la préface)
« Le dernier ouvrage publié par MM. Jouaust et Sigaux dans leur Bibliothèque moderne est la Servitude et Grandeur militaires, d’Alfred de Vigny, que, par un singulier hasard, la Société des Amis des Livres vient également d’éditer pour ses membres fondateurs et correspondants. Les deux livres sont curieux à comparer. L’édition de la Librairie des Bibliophiles a pour illustrateur le peintre des chouans, Julien Le Blant ; celle des Amis des Livres, imprimée sous la direction artistique de M. Henry Houssaye, est entièrement vignettée par le peintre militaire Henri Dupray. …
L’édition de M. Jouaust, sans présenter l’ampleur magistrale qu’ont donnée à leur œuvre d’élection les Amis des Livres, offre un intérêt absolu. Le conte de Laurette est illustré de deux dessins, ainsi que la Veillée de Vincennes et la Canne de Jonc, soit six compositions d’une grande originalité et qui doivent à la gravure de M. Champollion un relief surprenant. M. Le Blant, dans cette œuvre, a montré une grande simplicité ; il n’a point cherché le dramatique tapageur et il a su trouver des scènes émues, toutes contenues dans l’expression parfois admirable de ses personnages. Il a mis moins de passion que Dupray et aussi plus de sentiment poétique. Au demeurant, les deux illustrations sont dignes d’être réunies et je sais quelques amis des livres qui joindront les deux suites dans leur exemplaire, sans oublier les deux portraits d’Alfred de Vigny, à ses débuts et sur la fin de sa vie, que M. Jouaust a eu l’heureuse inspiration de faire graver pour ses souscripteurs sur grand et petit papier. » (Le Livre – Revue du monde littéraire 1885.)
« La Bibliothèque artistique et moderne s’est augmentée de deux ouvrages : Servitude et Grandeur militaire, d’Alfred de Vigny, un volume dont il sera impossible de ne pas tenir compte quand on fera l’histoire de l’eau-forte en notre temps, à cause des admirables dessins de Julien Le Blant, gravés par Champollion ; et Jocelyn, de Lamartine, avec des dessins de Besnard, gravés par de Los Rios. Sans valoir celles de Le Blant, que leur supériorité classera à part dans l’estampe, des compositions de Besnard rendent avec assez de sensibilité le charmé lamartinien. De quelles joies pures ces livres réussis remplissent l’âme d’un amateur. » (Le Temps)
Lors de la vente de la bibliothèque de M. Claude Lafontaine, chez Drouot en mars 1923, une édition originale de Servitude et grandeur militaires a été adjugée pour la somme de 2600 francs.