PERMISSIONNAIRES

La guerre étant prévue de courte durée, aucune permission n’était envisagée au cours des premiers mois du conflit. À partir de 1915, la prise de conscience de l’enlisement dans une guerre longue fait apparaître la nécessité d’accorder des permissions, d’autant plus que des cas de désertions apparus en novembre 1914 inquiètent les autorités. À partir du printemps 1915, les agriculteurs de l’armée territoriale (plus de 34 ans) sont autorisés à rentrer pour les récoltes. Les mobilisés des unités non combattantes de la zone de l’intérieur sont également autorisés à rentrer chez eux à partir d’octobre 1915 les week-ends et jours fériés ce qui permet aux commerçants et entrepreneurs de régler leurs affaires. Cette mesure utile pour le fonctionnement de l’économie nationale et présentant l’avantage de libérer les casernes deux jours par semaine était perçue comme inéquitable par les combattants. Sous la pression du Parlement, le général Joffre généralise les permissions le 1er juillet 1915. De 3 à 4% de hommes en bénéficient pour une durée de six jours hors délai de route.

Fin de permission à la Gare de l’Est.

Un ordre de priorité fut fixé, d’abord les hommes servant depuis la plus longue durée, puis, à égalité de durée aux classes les plus anciennes, enfin aux pères des familles les plus nombreuses. Les chefs de corps étant chargés d’accorder les permissions, la répartition comportait une grande part d’arbitraire ce qui engendra des insatisfactions.

À partir du 1er octobre 1916, une loi donne droit à trois permissions annuelles de sept jours hors délai de route, portées à dix jours le 1er octobre 1917. L’ensemble des agriculteurs, et non plus seulement ceux de l’armée territoriale de l’arrière, bénéficient d’un régime particulier de permissions agricoles de 15 jours renouvelables une fois pour les travaux de la terre, mis en place à partir de mai 1916.

Refuge de la Gare de l’Est

À la fin de la guerre, ce régime, le plus favorable de toutes les armées de la Grande guerre, est généralement bien accepté par les combattants français. En comparaison, les Allemands doivent attendre un an pour deux semaines de congés, les Britanniques quinze mois pour dix jours.

À partir de 1917, le séjour à Paris est réservé aux soldats ayant leur famille en région parisienne et aussi à ceux ayant leurs proches dans les régions occupées du Nord-Est et à certains coloniaux. Mais la capitale reste un lieu de transit pour beaucoup de provinciaux. Aussi Paris fut un important centre de séjour de permissionnaires, de 5 500 hommes de troupe simultanément en avril 1916 jusqu’à 38 500 en juillet 1917. On estime que quatre millions de permissionnaires ont visité Paris au cours de la guerre.

Pour beaucoup, le retour est celui des retrouvailles amoureuses (environ 50% des soldats français étaient mariés) et pour certains la découverte de l’infidélité de leur femme. Pour les soldats coloniaux et ceux originaires des régions envahies c’est un moment de solitude : ils ne pourront pas rentrer chez eux.

Buffet du soldat Faubourg-St-Martin

Ceux qui en ont des moyens en profitent pour « faire la noce » à Paris et fréquenter des prostituées. Quelques-uns rencontrent leur marraine de guerre. Cependant beaucoup sont désargentés. Le versement de la solde est suspendu pendant la permission. Le soldat ne perçoit qu’une très modeste indemnité pour la nourriture pendant le voyage. Certains permissionnaires en transit à Paris sont réduits à dormir sur les bancs publics car les salles d’attente des gares sont minuscules.

À Paris, les permissionnaires sont étonnés de la vie normale de l’arrière. De leur côté, les civils considèrent le permissionnaire non pas comme un héros, mais comme un étranger qui suscite une forme de pitié admirative, une affection gênée mais dont on s’écarte. Tout un petit monde commerçant s’est organisé autour de la gare pour exploiter cette manne providentielle : cafetiers, marchands de chaussures, lacets, cartes postales, bonnets, nettoyeurs de chaussures, photographes …

Julien Le Blant est un extraordinaire témoin de cette intense activité et de ces moments empreints d’une grande intensité émotionnelle.

La permission étant une forme de cadeau empoisonné, à la joie intense des retrouvailles succède peu de temps après la tristesse infinie de la séparation qui pourrait être la dernière.