LES RÉFRACTAIRES

Les Réfractaires 1894 – huile sur acajou de 76 x 117cm – Historial de la Vendée

D’après Julien Le Blant Les Réfractaires (1894) Photographie de l’atelier Goupil, 1894, 14,5 x 21,5 Bordeaux, musée Goupil, inv. 93.II.8.148

Sujet

Cette scène représente une des causes de la rébellion vendéenne. On y voit un groupe de réfractaires au tirage au sort qui longe la Loire. Un réfractaire, c’est un conscrit qui ne s’est pas présenté dans le délai d’un mois au capitaine de recrutement. Le service militaire est alors de cinq ans. Pour échapper à un service aussi long, il existe plusieurs possibilités : tirer un bon numéro, se faire remplacer, être exempté ou alors être réfractaire. Le jeune homme qui fait ce choix doit alors se cacher, ses parents peuvent subir une amende ou être passibles de poursuites judiciaires. Les hommes que l’on voit ici ont été faits prisonniers par la Garde nationale et la Gendarmerie.

Face à la menace des états européens coalisés, la France révolutionnaire a, pour la première fois de son histoire, recours à la conscription. Elle décide d’appeler sous les drapeaux tous les citoyens français depuis l’âge de dix-huit ans jusqu’à quarante-cinq ans accomplis, non mariés, veufs sans enfants par tirage au sort. La Vendée devait fournir 4200 hommes. Les membre des municipalités et institutions républicaines étaient dispensés de ce service militaire et la bourgeoisie se payait des remplaçants. Beaucoup de jeunes paysans refusèrent de se présenter au tirage au sort. Après toutes les vexations dont les populations de l’ouest s’estimaient avoir été l’objet de la part de la République, la coupe était pleine et cette loi la fit déborder. Des émeutes éclatèrent sur tout le territoire de ce qui va devenir la Vendée militaire. Dès le 11 mars 1793 tombaient les premières victimes. Deux jours plus tard, Cathelineau et sa troupe partirent en guerre contre la République. C’est le début de la guerre de Vendée. Sous l’Empire, Napoléon Ier a besoin de renforcer ses troupes. La conscription est censée répondre à cette demande. Dans le nord des Deux-Sèvres où le calme a encore du mal à revenir après les Guerres de Vendée, les réfractaires sont encore assez nombreux. À force de fuir les gendarmes et de vivre clandestinement, certains de ces jeunes gens finissent parfois par former des bandes et tomber dans la criminalité.

En 1882, Julien Le Blant expose pour la première fois avec les aquarellistes. Sur les quatre œuvres qu’il propose, une d’elles traite du thème des réfractaires.

Le même sujet aussi traité par Le Blant en 1889 dans Les Chouans de Balzac

Critiques de l’époque

« La surprise nous attend ailleurs. M. Julien Le Blant nous la réservait. C’est un nouveau. Il s’était déjà révélé au Palais de l’Industrie. Il se révèle, dès son début aux aquarellistes. Ce qu’il nous apporte, c’est la Bretagne, la Bretagne révoltée, la Bretagne des Chouans. Il nous montre « les Réfractaires », prisonniers, entraînés à travers les landes farouches par un détachement de grenadiers, et nous trouble. Le thème est simple et poignant ; les captifs sont vus de dos, s’enfonçant dans l’inconnu, pendant que deux jeunes femmes les suivent des yeux, comme un souvenir du passé. » (L’Intransigeant)

« … Et cette longue bande de Réfractaires vendéens que les soldats de la République poussent devant eux, comme les sbires du tzar chassent les convois de transportés en Sibérie ; comme c’est morne et beau ! » (L’Art populaire)

« Nous ne saurions trop louer la composition si curieuse, si nouvelle, vraiment trouvée, des Réfractaires. Ces hommes vus de dos, qu’escorte un détachement de fantassins, coiffés du feutre de grenadier ou du casque à chenille des chasseurs, et que regardent, avec une pitié touchante, deux pauvres femmes, forment un tableau d’une impression saisissante. Que dire du paysage, sinon qu’il est admirablement rendu, admirablement vrai, preuve, pour nous certaine, que M. Le Blant a rapporté de Bretagne ces études où il place ainsi les drames qu’il veut peindre ? En résumé, il y a, dans les aquarelles exposées par M. Le Blant, un tempérament personnel, un dessinateur de premier ordre et un coloriste d’une clarté séduisante. » (Le Panthéon de l’Industrie.)

En 1894, Julien Le Blant participe pour l’avant-dernière fois au Salon en reprenant sur toile ce même sujet.

Le tableau exposé à l’historial de la Vendée.

« M. Julien Le Blant, qui s’est voué depuis quelques années à l’illustration, art dans lequel il excelle, a toujours sur chevalet quelque épisode du genre historique qui rappelle les sujets auxquels il doit ses premiers succès. Les « Réfractaires » sont encore un souvenir des guerres de Vendée ; nous y retrouvons les qualités de l’artiste, sa façon à la fois large et précise et sa qualité maîtresse, le caractère, par le type, le geste, l’exactitude des horizons et la sobriété du rendu.» (Le Figaro Salon)

« Les «Réfractaires», un petit chef-d’œuvre de M. Le Blant, très coutumier du fait.» (Le Salon)

« Et combien plus poétiques, plus poignants sont encore les « Réfractaires », de M. Julien Le Blant. Fidèle à sa « spécialité », ce sont des Bretons que nous montre encore le peintre des guerres vendéennes. Mais combien son paysage est vrai et comme l’attitude de ses « réquisitionnaires » est exacte. Ce petit tableau vous produit le même effet que la lecture de ce merveilleux chapitre premier des Chouans, où Honoré de Balzac s’est montré le premier et le plus génial des paysagistes. » (Le Salon)

Avec ses soldats qui s’éloignent dans le lointain, Julien Le Blant se retire définitivement de la peinture d’histoire et des guerres de Vendée. Ce tableau a appartenu à l’écrivain Marc Elder, critique et historien d’art, Chevalier de le Légion d’Honneur, Prix Goncourt et conservateur du château des ducs de Bretagne à Nantes avant d’être aujourd’hui propriété du Conseil Général de Vendée. Il est exposé à l’historial de la Vendée aux Lucs-sur-Boulogne.

TOUDOUZE – LA VENGEANCE DES PEAUX-DE-BIQUE

En 1896, les éditions Hachette publient La vengeance des Peaux-de-bique (1793) de Gustave Toudouze enrichi de 52 dessins de Julien Le Blant, dont 16 hors texte, gravés par Devos, Privat, Rousseau, Steinmann, Romagnol et Léveillé.

« La Vengeance des Peaux-de-Bique, par Gustave Toudouze, est un fragment de l’histoire vendéenne. Claude Bodereau, dit Peau-de-Bique, est un de ces héros de la lande et du bocage qu’on admire malgré l’indignation que peut soulever leur rébellion criminelle, faisant cause commune avec les Prussiens et les Anglais qui envahirent la France en 93. Le jeune chouan a pour frère de lait un petit tambour républicain, Fanfan Rataplan. Cet émule de Bara après avoir délivré la mère et les sœurs de Peau-de-Bique, prisonnières à Laval, tombe entre les mains du royaliste. Il pense être tué, mais heureusement une réconciliation s’opère entre les deux frères ennemis, prélude de celle que Hoche devait réaliser entre la Vendée et la mère-patrie. C’est Julien Le Blant, le peintre les Chouans, qui a illustré ce récit. Les cinquante-trois dessins de la Vengeance des Peaux-de-Bique fait de ce roman très intéressant, très littéraire, une véritable œuvre artistique. » (L’Attaque)

Comme transition de l’histoire aux œuvres d’imagination, M. Gustave Toudouze nous donne dans la Vengeance des Peaux-de-Bique, un ouvrage qui participe des deux genres. Le fond de ce récit, c’est l’épopée guerrière des Bleus et des Chouans, dans le Maine, la lutte des batailleurs de Mayenne et des paysans vendéens fanatisés par un chef mystérieux, « Loup-Garou », le vieux sorcier. Au premier plan, se dressent deux jeunes héros, le royaliste Claude Bodereau, dit Peau-de-Bique, et Fanfan Rataplan, le petit tambour républicain, deux ennemis acharnés, qui finissent par se réconcilier quand ils découvrent qu’ils sont frères de lait. Cette œuvre, l’une des plus émouvantes que M. G. Toudouze ait tirées de sa fertile imagination, est superbement illustrée de 53 compositions de M. Julien Le Blant, le célèbre peintre des Chouans. (Journal des débats politiques et littéraires du 21 décembre 1896)

« La Vengeance des Peaux-de-Bique, par Gustave Toudouze, — Le fond de ce roman, c’est l’épopée guerrière des Bleus et des Chouans, dans le Maine, la lutte acharnée des bataillons de Mayence et des paysans vendéens fanatisés par un chef mystérieux, « Loup-Garou », le vieux sorcier. En face du jeune Claude Bodereau ou Peau-de-Bique, l’ardent défenseur de la cause royaliste, se dresse Fanfan Rataplan, le petit tambour, qui poursuit sans trêve son ennemi jusqu’au jour où il apprend que celui-ci, dont la mère et les sœurs sont prisonnières à Laval, n’est autre que son frère de lait. Il sent dès lors tomber toute sa haine, entreprend de sauver les captives et y réussit ; mais il tombe juste à ce moment sous les coups de Peau-de-Bique qui, à son tour, est laissé pour mort. Finalement les deux frères se réconcilient sous l’égide de Mlle de Grave, la bonne fée secourable dont la figure plane doucement sur ce drame étrange et sanglant, qu’emplissent le frisson des grands bois et le hurlement sinistre de la chouette. Julien Le Blant, le célèbre peintre des Chouans, a magistralement illustré l’œuvre de G. Toudouze. » (La Libre Parole 14 décembre 1896)

« Enfin, le roman historique est présent, un roman de chouannerie : La vengeance des Peaux de bique, écrit, avec le souci de la vérité, par Gustave Toudouze. C’est une des grandes épopées républicaines, la lutte des bataillons de Mayence contre la Vendée fanatisée. Toudouze a lait revivre les passions aux prises, et les a évoquées dans leurs décors exacts : vieilles villes, campagnes du Maine, grands bois mystérieux où gémit la chouette. Il a été aidé en cela par son illustrateur, M. Julien le Blant, qui s’est fait, comme on sait, une réputation à reconstituer les scènes de cette époque et de cette région. » (La Justice 24 décembre 1896)

« La Vengeance des Peaux-de-Bique, par Gustave Toudouze, retrace la guerre des Bleus et des Chouans dans le Maine. L’auteur s’est efforcé de vanter les mérites des uns et des autres, mais on voit que ses sympathies sont pour les premiers. […] On redressera comme il convient quelques-unes des appréciations ; mais on remarquera les dessins toujours vivants de M. Julien le Blant. » (La Gazette 24 décembre 1896)

Le carrefour de la belle étoile

Ce livre écrit en 1986 par Anne Bernet était resté inédit. Les illustrations originales de J. Le Blant ont été réalisées en 1896 pour le livre de Gustave Toudouze « La Vengeance des Peaux-de-Bique ». Curiosité, ou cadeau inespéré fait au lecteur : tel peut apparaître Le carrefour de la Belle-Etoile, longue nouvelle, ou bref roman, comme bon vous semble, qu’Anne Bernet écrivit en 1986, au tout début de sa carrière et qui représente, si l’on excepte ses chansons et ses articles, sa première œuvre littéraire, à ce jour restée inédite. Le lecteur retrouvera pourtant dans ce texte de jeunesse l’essentiel, déjà, de sa thématique et comme un avant-goût des livres à venir. L’Ouest, les Chouanneries, la Vendée, Dieu, le Roi, tout s’entrecroise dans cette histoire d’une vengeance, et d’une rédemption, en apparence également impossibles. Au fil de ce récit mis en abîme, riche en rebondissements, où l’influence de Barbey d’Aurevilly, comme celle de La Varende se devine, revivent deux siècles d’ancrage dans les antiques fidélités catholiques et royales, tour à tour incarnées dans des personnages drolatiques ou tourmentés, mais jamais exempts de grandeur.