Huile sur toile (1888)
Localisation actuelle : En attente d’un nouveau musée de l’infanterie (normalement Draguignan). Anciennement au musée de l’infanterie de Montpellier.
« M. le ministre de la guerre se propose de faire exécuter, pour chacun de nos régiments, un tableau signé de l’un de nos peintres en renom et représentant le haut fait particulier à chacun de ces régiments. M. Turquet, désireux de s’associer à l’entreprise, a demandé de prendre les dix premiers de ces tableaux au compte du ministère des beaux-arts. Ces dix tableaux ont été distribués à MM. Protais, Berne-Bellecourt, Dupray, Le Blant, Lewis-Brown, Delahaye, Renard, Artus, Aimé Morot et Sergent. Plusieurs de ces tableaux figureront, assure-t-on, au prochain Salon. » (Chronique des Arts et de la Curiosité)
Le Blant se voit offrir 5000 francs (environ 16’500 euros actuels) pour réaliser une œuvre sur le thème du 9e de ligne de la bataille de la Moskova.
« L’heure des revers a sonné. On est en 1812, en Russie. C’est cette terrible bataille de la Moskowa qui nous fit perdre tant de monde. Tandis que le général Caulaincourt est mortellement blessé à la tête du 5e cuirassiers, le prince Eugène a pris le commandement du 9 de ligne et le conduit à l’attaque de la redoute de Borodino, qu’il enlève. C’est Julien Le Blant qui va servir, avec son habileté ordinaire, leur part de gloire à nos bons petits fantassins. » (Le Gaulois du 4 octobre 1886)
Tous les critiques ne s’accordent pas sur la réussite de l’œuvre et la stratégie utilisée par son auteur pour décrire les combats :
« L’enlèvement de la redoute de Borodino, par le « 9e de ligne de la Moskova », sous la conduite du prince Eugène, dû au pinceau de M. Julien Le Blant, nous donne la sensation de la mêlée. Seulement, cette sensation est gâtée par la vue des soldats du premier plan qui, trop penchés, trop tendus, semblent près de tomber. » (Le Radical)
« Le peintre a choisi le moment où, conduit par le prince Eugène, le Troisième enlève à la baïonnette la grande redoute de Borodino. Il y a dans cette page assurément beaucoup d’entrain et de vigueur. Les petits lignards, un peu étranges avec leurs pantalons blancs et leurs énormes schakos, s’élancent vaillamment contre l’ennemi déjà culbuté. Au centre, la figure élégante et sévère du prince Eugène dessine son mâle profil sur la fumée blanche. Au loin on aperçoit les cuirassiers abordant la redoute par un autre côté et commençant à sabrer les Russes pris de flanc. Tout cela est puissamment rendu. Il semble qu’on entende le canon gronder et pétiller la fusillade. Néanmoins ce tableau, quoique fait sur commande, ou peut-être à cause de cela, est loin d’offrir l’originalité et le curieux intérêt des œuvres précédemment exposées par l’artiste. » (Le Salon)
« Parmi les peintres militaires, je ne m’arrête pas à M. Le Blant, qui a été souvent plus heureux que cette année et dont j’attends une revanche. » (Lettres et Arts)
Sujet
La bataille de la Moskova, ou bataille de Borodino, opposa la Grande Armée commandée par Napoléon Ier à l’armée impériale russe menée par le feld-maréchal Mikhaïl Koutouzov. Elle a lieu le 7 septembre 1812 à proximité du village de Borodino, à 125 kilomètres de Moscou. Le nom de Moskova, plus évocateur que celui de Borodino, est choisi par Napoléon pour désigner cette bataille, et fait référence à la rivière qui coule à plusieurs kilomètres du champ de bataille et non au lieu où se déroulèrent les combats. Qualifié de « bataille des géants », elle est la plus importante et la plus sanglante bataille de la campagne de Russie, impliquant plus de 250 000 hommes pour des pertes estimées à 70 000 hommes.
Préparatifs
Depuis son entrée sur le territoire russe, Napoléon souhaite engager une bataille décisive face à un ennemi qui ne cesse de se dérober. Cette campagne qu’il entreprend comme une guerre purement politique, nécessite une victoire éclatante afin d’obliger le tsar Alexandre Ier à demander la paix et à conclure un nouveau traité d’alliance favorable à la France et à sa stratégie de blocus continental. Côté russe, le tsar, faisant face à des dissensions entre ses généraux quant à la stratégie à adopter, nomme Koutouzov commandant en chef de ses armées le 18 août. Ce dernier, après avoir laissé la Grande Armée s’approcher de Moscou sous les harcèlements incessants des cosaques, se décide enfin, aux portes de celle-ci, à fortifier ses positions et à livrer bataille.
La bataille
Au cours de cette confrontation, les Français réussissent à s’emparer des principales fortifications russes, dont la redoute Raïevski et les « flèches » défendues par le général Piotr Bagration, qui est tué lors de l’assaut. La victoire est française dans la mesure où Napoléon contraint les forces russes à battre en retraite et s’ouvre la voie vers Moscou. Cependant, cette victoire est une victoire à la Pyrrhus : les pertes de chaque côtés sont immenses (environ 30 000 soldats français tués ou blessés pour 45 000 côté russe) et bien que fortement réduite, l’armée russe qui dispose de réserves peut encore représenter une menace. Ainsi, Koutouzov, sans raison aucune (il n’a pas réussi à bloquer la route de Moscou et a perdu plus d’hommes que Napoléon), affirme qu’il à triomphé de l’ennemi à Borodino, le nom russe de la bataille.
La redoute Raïevski
Les cuirassiers saxons de La Tour-Maubourg attaquent les cuirassiers russes. La redoute Raïevski se trouve à droite, dans la fumée. À l’arrière-plan, on distingue l’église de Borodino. Détail du Panorama de Borodino.
Pendant ce temps, Eugène de Beauharnais pénètre dans Borodino après de durs combats contre la Garde russe, et progresse vers la redoute principale. Cependant ses troupes perdent leur cohésion, et Eugène doit reculer sous les contre-attaques russes. Le général Delzons se place alors devant Borodino pour protéger le village. Au même moment, la division Morand progresse au nord de Semionovskoïe, tandis que les forces d’Eugène franchissent la Kalatcha en direction du Sud. Eugène déploie alors une partie de son artillerie et commence à faire refluer les Russes derrière la redoute. Appuyés par l’artillerie d’Eugène, les divisions Morand et Broussier progressent et prennent le contrôle de la redoute. Barclay lui-même doit rallier le régiment Paskevitch en déroute. Koutouzov ordonne alors au général Iermolov de reprendre la redoute ; disposant de trois batteries d’artillerie, ce dernier ouvre le feu contre la redoute tandis que deux régiments de la Garde russe chargent la position. La redoute repasse alors aux mains des Russes.
L’artillerie d’Eugène continue à pilonner les Russes alors qu’au même moment, Ney et Davout canonnent les hauteurs de Semionovskoïe. Barclay envoie des renforts à Miloradovitch, qui défend la redoute tandis qu’au plus fort de la bataille, les subordonnés de Koutouzov prennent toutes les décisions pour lui : selon les écrits du colonel Clausewitz, le général russe semble être « en transe ». Avec la mort du général Koutaïsov, qui commandait l’artillerie russe, une partie des canons, situées à l’arrière des lignes russes, sont inutilisés, tandis que l’artillerie française fait des ravages dans les rangs russes.
Nouvel assaut
À 14 heures, Napoléon ordonne un nouvel assaut contre la redoute. Les divisions Broussier, Morand et Gérard doivent charger la redoute, appuyés par la cavalerie légère de Chastel à droite et par le second corps de cavalerie de réserve à gauche. Le général Auguste de Caulaincourt ordonne aux cuirassiers de Wathier de mener l’attaque contre la redoute. Observant les préparatifs français, Barclay déplace alors ses troupes pour renforcer la position, mais elles sont canonnées par l’artillerie française. Caulaincourt mène personnellement la charge et parvient à enlever la redoute, mais il est tué par un boulet. La charge de Caulaincourt fait refluer la cavalerie russe qui tente de s’opposer à elle, tandis que la gauche, où Bagration a été mortellement blessé, et le centre russe, sévèrement mis à mal, donnent des signes de faiblesse. À ce moment, Murat, Davout et Ney pressent l’Empereur, qui dispose de la Garde impériale en réserve, de l’engager pour porter l’estocade finale à l’armée russe, mais celui-ci refuse.
Barclay demande alors à Koutouzov de nouvelles instructions, mais ce dernier se trouve sur la route de Moscou, entouré de jeunes nobles et leur promettant de chasser Napoléon. Toutefois, le général russe se doute bien que son armée est trop diminuée pour combattre les Français. Les Russes se retirent alors sur la ligne de crête située plus à l’est. Napoléon estime que la bataille reprendra le lendemain matin, mais Koutouzov, après avoir entendu l’avis de ses généraux, ordonne la retraite vers Moscou. La route de la « Ville sainte » est ouverte à la Grande Armée.
Bilan
Les pertes sont très élevées dans les deux camps. La Grande Armée perd environ 30 000 hommes : selon P. Denniee, inspecteur aux revues de la Grande Armée, il y aurait eu 6 562 morts, dont 269 officiers, et 21 450 blessés1. En revanche, selon l’historien Aristide Martinien, les Français perdent au total 1 928 officiers morts ou blessés, incluant 49 généraux4. Les Russes perdent environ 44 000 hommes, morts ou blessés, dont 211 officiers morts et 1 180 blessés. 24 généraux russes furent blessés ou tués, dont Bagration qui meurt de ses blessures le 24 septembre et Toutchkov5. Du côté français, le manque de ravitaillement, causé par l’allongement des lignes d’approvisionnement, pour les soldats valides fait que certains blessés meurent de faim ou de négligences dans les jours qui suivent la bataille.
Conséquences
Les Français prirent Moscou (à 125 km) le 14 septembre. Le soir même, d’immenses incendies ravagent la ville. Les derniers feux seront éteints le 20 septembre au soir. Moscou, essentiellement construite en bois, est presque entièrement détruite. Privés de quartiers d’hiver et sans avoir reçu la capitulation russe, les Français sont obligés de quitter la ville le 18 octobre pour entamer une retraite catastrophique.
La bataille de la Moskova est considérée comme une victoire tactique française. Elle ouvre la voie de Moscou à Napoléon. Les pertes françaises, quoique très importantes, restent inférieures au nombre de morts et blessés russes.
Bien que la bataille ait été vue comme une victoire pour Napoléon, des historiens contemporains considèrent Borodino comme une victoire à la Pyrrhus6. Murat et le vice-roi Eugène de Beauharnais, cités par Philippe de Ségur dans son Histoire de la Grande-Armée pendant l’année 1812, font état de l’inertie et de l’indécision de Napoléon pendant cette bataille, comme si son génie en avait été absent. En fait, l’Empereur avait souffert d’une fièvre et de douleurs qui, en affectant sa santé, l’avaient privé de ses facultés habituelles de stratège extraordinaire.
L’Empire russe a aussi revendiqué la victoire, les troupes s’étant repliées en bon ordre. La Russie affirma sa revendication sur la victoire en nommant une classe de cuirassé classe Borodino à la fin du XIXe siècle. En 1949, l’URSS fonda la ville de Borodino dans le kraï de Krasnoïarsk.
L’Enlèvement de la redoute est également une courte nouvelle de Prosper Mérimée, publiée en septembre 1829 dans La Revue française. Il s’agit de l’évocation d’une surprenante densité de la prise de la redoute de Chevardino ou Schewardino (dans sa nouvelle, Mérimée écrit Cheverino), qui eut lieu le 5 septembre 1812, deux jours avant la bataille de Borodino. La source de cette nouvelle aurait été inspirée à Prosper Mérimée par le témoignage oral d’un lieutenant. La nouvelle donne une image peu reluisante de la guerre.
La Librairie des Bibliophiles réédite La Mosaïque en 1887 avec un dessin de Le Blant pour illustrer L’Enlèvement de la redoute.